Quelle place pour les expatriés français dans le commerce extérieur de leur propre pays ? C’est la question que nous avons posée à la ministre du Commerce extérieur français, Nicole Bricq. Entre la création de la "Marque France" et les nombreux autres projets du ministère, les entrepreneurs français établis hors des frontières paraissent être de véritables relais de la diplomatie économique.
Hervé Heyraud, président du site lepetitjournal.com : Nous aimerions avoir votre point de vue et votre opinion sur le commerce extérieur qui passe par l’expatriation par la présence de Français à l’étranger.
Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur français : Lors de mes déplacements, j’ai pu constater que le public a profondément changé. Par rapport à la vision que l’on pouvait avoir de par le passé, l’horizon est aujourd’hui fait de jeunes, de petites et moyennes entreprises (PME). Ainsi, les Français font de plus en plus leur carrière à l’étranger. Ces individus restent très attachés à la mère patrie, mais ils font leur carrière à l’étranger alors même que le terme expatrié était souvent associé aux missions temporaires. Maintenant, le terme correspond beaucoup plus à un état d’esprit de conquête, d’implantation. Ce n’est plus le même public, et leur mission a changé.
Hervé Heyraud : En quoi, pour vous, les expatriés représentent-ils des acteurs importants du commerce extérieur français ?
Nicole Bricq : Les expatriés sont des acteurs de la diplomatie économique. Ces mêmes acteurs représentent la France. Je considère qu’il y a un grand nombre de Français, dans énormément d’entreprises étrangères, à des places de responsabilités qui peuvent porter avec eux les valeurs qui font la France, et d’une manière plus générale l’Europe. La France dispose d’une sensibilité européenne liée la responsabilité sociale et environnementale que d’autres n’ont pas.
Ce qui est apprécié chez les Français est l’esprit d’initiative, que beaucoup d’hexagonaux ont par ailleurs. Ces personnes prennent des risques, alors que d’autres nationalités sont plus moutonnières. Il existe cependant une contrepartie : nous sommes, nous Français, quelques fois énormément individualiste. Mais on a le défaut de sa qualité (sourire).
Hervé Heyraud : Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait évoqué le terme de « diplomatie économique ». En ayant vous-même parlé, de quelle manière allez-vous travaillez ensemble ?
Nicole Bricq : Portant la politique commerciale de la France, j’anime la vie diplomatique de terrain. J’accompagne les entreprises lors de mes déplacements à l’étranger, je discute avec mes homologues, je prends part aux discussions, pour la France dans la politique commerciale, avec les pays tiers. Je suis ainsi l’animatrice de terrain. Je considère néanmoins qu’il est normal que le chef de la diplomatie française mobilise ses ambassadeurs dans la priorité économique qui est celle du gouvernement.
Mais j’ai la faiblesse de penser, c’est aussi ma force, que dans la politique économique, le redressement de nos comptes de la balance commerciale est une priorité. Dans une période ou l’Europe est en difficulté, je vois bien que les entreprises se déplacent sur des marchés plus lointains. Nous avons besoin de trouver des relais de croissance à l’étranger. C’est mon travail d’aider les entreprises à leur faciliter la tâche.
Hervé Heyraud: Vous avez récemment lancé un audit pour les dispositifs d’aides à l’exportation. Quelles sont justement les mesures que vous souhaitez mettre en place ?
Nicole Bricq : Nos financements sont éparpillés, et pas suffisamment lisibles. Ma mission consiste à démocratiser l’aide à l’exportation, mais aussi à rationnaliser notre offre de manière à ce qu’au fur et à mesure du développement des entreprises, ces dernières trouvent le crédit ou la garantie correspondant à leur croissance. Ces entreprises peuvent avoir besoin de fonds propres, c’est pour ça que la Banque Publique d’Investissement (BPI) a déjà, au travers de Oséo et de CDC entreprises, des capitaux. L’appel à projet est lancé, mais en même temps, elles ont besoin de trésorerie, de garanties qui soient adaptées aux risques qu’elles prennent en fonction des pays. Actuellement, on doit faire face à un chevauchement entre Oséo et Coface. La BPI va ainsi rationaliser ce dédale. Dans le même temps, les régions françaises vont être les pilotes de l’export. Certaines s’organisent même pour qu’un comptoir unifié soit créé.
Hervé Heyraud : Il existe une ligne de crédit spécifiquement sur l’export alloué par la BPI, c’est bien ça ?
Nicole Bricq : Au travers de CDC entreprise, qui est une filiale de la Caisse des dépôts qui apporte des fonds propres, nous avons déjà lancé un appel à projet, pour que des fonds puissent se créer pour tenir le coût à l’exportation. Cela représente 150 millions d’euros qui sont d’ores et déjà disponibles. La BPI a un volet international, qui tient à cœur à la fois à son patron et aux entreprises.
Hervé Heyraud : Vous avez parlé d’Ubifrance, est ce que vous avez envisagé une réorganisation par rapport aux missions à l’étranger ? L’Etat s’occupe au final beaucoup plus des gros entrepreneurs en laissant les petites entreprises bien souvent à l’écart...
Nicole Bricq : J’ai demandé à Ubifrance de réorganiser son action des priorités dans ces pays et de modifier sa manière de travailler : il faut moins de one shot, d’avantage d’accompagnement, ce qui constitue la priorité du Pacte de compétitivité que le Premier ministre a défendu en novembre. Ubifrance doit accompagner pendant 3 ans 1 000 PME. Ainsi, il faut un travail continu pour dégager des courants d’affaires. Inutile de préciser que la sélection de ces entreprises doit se faire sur le territoire national. Ces dernières doivent par la suite être accompagnées à l’étranger. Ce travail est le moins spectaculaire, mais le plus difficile.
Hervé Heyraud : Vous attendez le rendu des travaux aux alentours du 15 mai pour votre dossier « Marque France », qu’est-ce qui devrait selon vous ressortir ?
Nicole Bricq : La « Marque France » est une marque qui doit raconter tout de suite un imaginaire. La personne doit se dire : « tient c’est français ! » Il doit être différent de celui véhiculé à l’étranger. Le but est de mettre en avant ce qui ne l’est pas encore à l’étranger comme les ingénieurs, les prix Nobel ... Même si nous sommes moins bons commerciaux que d’autres, j’observe, grâce aux Français de l’étranger, que les choses bougent beaucoup. L’imaginaire véhiculé doit être celui de l’économie.
La mission va nous proposer cela à partir de plusieurs variantes. Nous avons besoin de cette marque ombrelles pour permettre à ceux qui font du made in France de s’abriter dessous. En même temps, dans beaucoup de produits exportés, il y a une part d’importation, c’est pour cela qu’il faut rester ouvert au commerce mondial. Avec cette Marque, l’Hexagone sera capable de trouver sa place dans la mondialisation.
Hervé Heyraud : Y a-t-il des zones géographiques plus prioritaires que d’autres ?
Nicole Bricq : Cela dépend des secteurs. En ce qui concerne l’agroalimentaire, on sait que la Chine va capter 30% de la demande mondiale. On sait aussi que sur le mieux vivre en ville, certains pays comme le Koweït ont d’ores et déjà affiché leur priorité : le pays a de l’argent, il veut faire vite et bien. De même en Turquie, et en ce qui concerne les pays du Maghreb, les villes nouvelles n’en finissent plus d’éclore. La France est très bonne en transport, elle est capable d’apporter des tramways, des métros, des trains ... mais aussi des métro-câbles pour les villes en déclinaison ! De surcroît, la France peut apporter tout ce qui tourne autour de la ville durable.
Je crois beaucoup à l’opérationnel et aux témoignages : lorsqu’on réussit quelque part, cette réussite donne envie aux autres de nous imiter.
Hervé Heyraud : Est-ce qu’il y a des réflexions avec vos homologues du commerce extérieur des autres pays pour justement avoir des actions communes européennes ?
Nicole Bricq : La politique commerciale est européenne. Nous avons un conseil informel à Dublin des ministres du commerce extérieur. D’importants sujets sont posés sur la table, comme l’accord de libre échange qui se profile avec les Etats-Unis. Cet accord entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis intègrera plus de 50% du commerce mondial. Cela est plus que bénéfique pour l’UE, d’autant plus que les Etats-Unis sont très bien repartis – leur rythme de croissance atteint les 2,5%.
Il faut aussi trouver des alliances concernant la réciprocité. Comme vous le savez sûrement, les marchés publics ne sont pas toujours ouverts dans les pays avec lesquels nous faisons des accords, ce qui n’est pas possible durablement.
Hervé Heyraud : Le Volontariat International en Entreprise (VIE) est-il un objectif majeur de votre ministère ?
Nicole Bricq : Le VIE est une des priorités du Pacte de compétitivité de novembre dernier. Son objectif est d’atteindre une augmentation de 25% de son nombre. On passerait ainsi de 7400 à 9000 VIE. Ubifrance doit effectuer la sélection, mais nous avons un potentiel de 40.000 candidats. La démocratisation du système est primordiale. Il y a énormément de « top top » qui vont dans les grands groupes car ils pensent à leur carrière, mais nous avons aussi besoin de bac +2 ! J’attends que les régions prennent en charge les VIE, et que les grandes entreprises fassent en sorte que les PME puissent y accéder. J’attends aussi beaucoup des conseillers du commerce extérieur (CNCCEF); mission que j’aimerais voir remplie par eux.
Certains pays nous envoient un message : « vous n’ouvrez pas assez vos frontières à nos ressortissants, que ce soit des hommes d’affaires, des jeunes ou des chercheurs ». C’est trop compliqué et trop long d’avoir un visa par exemple. Ce message doit être entendu par mes homologues.
De plus, les gens partant en VIE doivent avoir les mêmes droits de retraite, de sécurité sociale... Les PME ont besoin de ces jeunes, ce sont ces mêmes jeunes qui développent bien souvent des marchés locaux. Et je ne parle pas des binationaux !
Propos recueillis par Hervé Heyraud et Marion Icard (Lepetitjournal.com) - jeudi 21 mars 2013