Le Monde Économie | 03.04.2013
L'envolée des chiffres du chômage, à 3,18 millions de chômeurs fin février, favorise-t-elle l'expatriation des Français ? Pas si sûr. Plus de 1,6 million d'entre eux ont fait le choix de travailler et de vivre à l'étranger, et "la France est au douzième rang des pays d'expatriation pour la zone OCDE", soit 34 pays, indique Jean-Christophe Dumont, chef de division migrations internationales à l'Organisation de coopération et de développement économiques.
Mais l'augmentation du nombre d'expatriés, constante et régulière depuis vingt ans, s'est ralentie en 2012, à 1 %, contre 6 % en 2011 et 4 % en croissance moyenne annuelle depuis 2000.
Pour Jean-Christophe Dumont, cependant, "il faut être très prudent sur les interprétations de tendance. Les expatriés s'inscrivent dans les registres diplomatiques en fonction des risques du pays, ou pour des raisons personnelles. Dans les pays sans risque particulier, comme les Etats-Unis ou l'Allemagne, les années qui précèdent des élections importantes enregistrent généralement de fortes hausses d'inscriptions d'expatriés, suivies d'une correction technique l'année électorale", ce qui fut le cas de 2012.
LE PREMIER DEPUIS 2001
Alors, correction technique ou retournement de tendance ? L'OCDE ne pourra répondre clairement qu'en juin, lorsque les données 2012 auront été compilées pour la publication des Perspectives des migrations internationales 2013.
S'il devait se confirmer en 2013, ce ralentissement serait le premier depuis 2001. En Europe occidentale, qui accueille 49 % des expatriés enregistrés par la direction des Français de l'étranger, l'Allemagne a ainsi connu une baisse de 3 % du nombre d'expatriés inscrits au registre de l'administration consulaire.
En Amérique du Nord, troisième destination privilégiée des Français (12,7 %), le nombre d'expatriés n'a augmenté que de 0,9 % en 2012, contre 8,3 % en 2011 !
L'attractivité de l'Asie est, en revanche, devenue plus forte. "Les régions dans lesquelles la population expatriée a connu en 2012 une expansion plus forte que la moyenne mondiale sont l'Asie-Océanie et l'Afrique du Nord, en croissance de 3%", indique le ministère des affaires étrangères. Le continent asiatique compte déjà 7,5% des expatriés français.
EN TRAIN DE CHANGER
"Aux Etats-Unis, la difficulté pour obtenir le permis de travail incite les entreprises à recruter localement. L'Allemagne peut paraître un vieux pays, où la langue est un frein. En revanche, l'Asie est une région d'opportunités, qu'on peut aborder en ne parlant qu'anglais", avance Etienne Vauchez, directeur général d'Export Entreprise.
Bref, le visage de l'expatriation est en train de changer. Mais pour les expatriés eux-mêmes, ces changements sont davantage qualitatifs que quantitatifs. Depuis 2008, "la durée des contrats de travail d'expatriés est de plus en plus courte, tandis que le nombre d'expatriés qui travaillent en contrat local est en augmentation croissante", note Olivier Grenon-Andrieu, président d'Equance, société de conseil en gestion privée internationale.
La réduction des coûts liés à l'expatriation en période de crise et l'augmentation des contraintes législatives nationales (permis de travail aux Etats-Unis, quotas d'emplois locaux dans certains pays) incitent depuis 2008 les entreprises à limiter à la fois le nombre de contrats d'expatriés et leur durée au profit des locaux.
"POUR RESTER"
Les entreprises envoient un expatrié, puis recrutent localement pour le remplacer. Et "si l'expatrié ne souhaite pas rentrer à l'issue de son contrat, il passe en contrat local. De plus en plus d'expatriés changent de statut sur le tard pour rester dans leur pays d'accueil", explique Olivier Grenon-Andrieu.
Une enquête réalisée par le consulat de France à Shanghaï (Chine) confirme cette transformation. "Une majorité de personnes (55 %) sont sous contrat local, alors qu'elles n'étaient que 40 % dans ce cas en 2008. Inversement, la proportion de contrats expatriés-détachés a sensiblement baissé au cours des quatre dernières années, passant de 47 % à 30 % aujourd'hui. Ces chiffres confirment la tendance, observée parmi les multinationales, à la "sinisation" de leurs personnels et au recours plus fréquents aux contrats de droit local", indique l'enquête réalisée fin 2012 auprès des expatriés français implantés à Shanghaï.
A l'horizon 2020, la dernière enquête PricewaterhouseCoopers publiée en février sur la mobilité internationale prévoit la poursuite de ces tendances, avec davantage de contrats courts et une utilisation croissante par les grands groupes de profils "multinationaux" pour occuper les positions confiées jusque-là aux expatriés.
Anne Rodier