La Tribune| Fabien Piliu | 02/05/2013
Le ministre de la Consommation a présenté ce jeudi son projet de loi qui officialise notamment l'action de groupe, la class action à la française. Reste l'épreuve du Parlement. Les lobbies parviendront-ils à édulcorer le texte, conformément au souhait de la plupart des entreprises ?
Le plus dur commence-t-il pour Benoît Hamon ? Ce jeudi, le ministre délégué à la Consommation a présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la consommation. Ce texte a de nombreux objectifs : faire enfin respecter les délais de paiement fixés par la loi de modernisation (LME) de 2008, renforcer les autorités de la concurrence, renforcer l'information des consommateurs et rééquilibrer les relations entre les consommateurs et les assureurs. Malgré l'importance de ces objectifs, il est à peu près assuré que c'est l'introduction dans le droit français de l'action de groupe, un lointain parent de la classe action américaine, qui devrait faire l'objet des discussions les plus âpres lors de l'examen du texte au Parlement.
Benoît Hamon s'attaque en effet à un véritable serpent de mer. Avant lui, Jacques Chirac en 2005 et en 2007 et Nicolas Sarkozy en 2012 avaient, de l'Elysée, demandé à leur gouvernement respectif de créer des class action à la française. Ce dispositif aurait la vertu de rééquilibrer les relations entre les consommateurs et les entreprises en donnant aux premiers plus de pouvoir en cas de litiges avec les seconds.
Mais, à chaque fois, effrayés par les dégâts financiers et les atteintes à l'image de marque de l'entreprise causés par les class actions aux Etats-Unis, les lobbies et la plupart des organisations patronales avaient obligé le gouvernement à reculer. Un exemple : en 2009, Vivendi avait été condamné aux Etats-Unis à verser une amende estimée à 9 milliards de dollars pour avoir enfreint les règles du droit boursier américain et dissimulé au marché, durant cette période, la réalité de sa situation financière, lésant ainsi les investisseurs détenteurs de titres du groupe.
L'Histoire peut-elle se répéter ?
Pour témoigner de leur bonne volonté sur ce sujet, un certain nombre d'entreprises, essentiellement les grands groupes qui ont la capacité financière pour le faire, ont mis en place une médiation interne pour résoudre les litiges et régler les préjudices à l'amiable.
Sous les coups de boutoirs des lobbies, l'Histoire se répétera-t-elle ? Richard Yung, le sénateur socialiste des Français établis hors de France, qui avait élaboré avec Nicole Bricq, alors sénatrice, un dispositif similaire en 2010 déplore la réaction des organisations patronales, qui « prennent prétexte de la crise et usent d'arguments spécieux pour défendre le statu quo ». « L'introduction d'une procédure d'action de groupe dans le droit français ne représente pas une menace pour notre économie en période de crise. De plus, les mécanismes d'action de groupe mis en place chez nos voisins européens n'ont pas eu d'impact négatif sur la compétitivité des entreprises », estime-t-il.
Eviter les abus
Razzi Hammadi, le député PS de Seine Saint Denis, rapporteur du projet de loi, est confiant, estimant que ce texte, qui n'est qu'une « première étape », évite les abus et les effets pervers de la class action américaine. Ainsi, le texte prévoit que ce soient les associations de consommateurs agréées qui recueilleront les requêtes des consommateurs, afin d'éviter les plaintes en justice infondées. Avec ce procédé, les plaignants n'auront pas à payer de frais d'avocat, quel que soit le préjudice, comme c'est le cas aux Etats-Unis où sévissent les « chasseurs de plaintes ». « Avec le juge, le projet de loi intègre donc deux filtres qui préviennent les abus constatés outre-Atlantique », explique-t-il à La Tribune.
Lorsqu'il rappelle en Conseil des ministres que ce projet de loi est « le fruit d'une année de travaux, de concertations, de consultations tant des associations de consommateurs que des représentants des entreprises », que plus 8.000 avis ont été recueillis, Benoît Hamon affiche également une certaine confiance. « L'action de groupe offrira une voie de recours collectif efficace pour traiter les litiges de consommation de masse, et assurer la réparation des préjudices économiques qui découlent de la violation des règles de concurrence. Le gouvernement a veillé à ce que cette réforme majeure ne déstabilise pas l'activité économique, et ne risque pas d'importer dans le droit français les dérives parfois observées dans d'autres pays », a-t-il expliqué ce jeudi.
Le candidat Hollande avait beaucoup promis
La santé et l'environnement ayant été exclu du champ d'application de l'action de groupe, d'autres secteurs peuvent-ils également être « épargnés » par l'action de groupe. « C'est inenvisageable, ce ne sont pas les mêmes codes qui les régissent », avance Razzi Hammadi. De fait, l'action de groupe n'a pas encore fait son entrée dans le code de la santé et le code pénal. Seul le code du commerce et de la concurrence sont pour l'instant ciblés. Et après ? « Nous avons préféré avancer code par code pour éviter les attaques frontales », explique Razzi Hammadi. Alors que le candidat Hollande avait promis des actions au pénal pour régler tous les litiges, que Christine Taubira, la Garde des Sceaux souhaitait que les préjudices dans le domaine de la santé soient concernés par la loi, Benoît Hamon semble avoir préféré de limiter délibérément - et temporairement ? - la portée du texte pour qu'il ne soit pas retoqué.
Un texte au Parlement en juin
Celui-ci sera présenté en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale lors de la deuxième semaine de juin. Il sera débattu par les députés à partir du 24 juin.