Rue89, 21/10/2013
Enfin, il se passe quelque chose. Après les articles du Monde sur la surveillance de la France par la NSA, à la faveur d’un partenariat sur les documents d’Edward Snowden, le gouvernement français se fâche tout rouge.
Manuel Valls réclame des explications sur ces « révélations choquantes ». Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius convoque l’ambassadeur américain à Paris pour lui passer un savon.
Débat national en Allemagne
Depuis le mois de juin, la France réagit plus que mollement à la publication des PowerPoint de la NSA, alors qu’elle se savait surveillée au même titre que d’autres Etats européens.
En Allemagne, cette affaire d’espionnage généralisé sous couvert de lutte antiterroriste a provoqué un débat national. En première ligne se trouvaient la presse et les parlementaires, exigeant du gouvernement qu’il dise ce qu’il savait. L’opposition social-démocrate a obtenu la création d’un commission d’enquête.
En France, seuls une dizaine de députés (sur 577) et un sénateur (sur 348) ont interrogé l’exécutif sur le sujet avant les vacances parlementaires du mois d’août. Les représentants sont-ils blasés de ce côté du Rhin ?
Au Sénat : « On n’espionne pas ses alliés ! »
Ce sénateur socialiste solitaire, élu des Français de l’étranger, s’appelle Richard Yung. Le 4 juillet, il interroge Thierry Repentin, ministre des Affaires européennes.
« Le gouvernement français a demandé des explications au gouvernement américain. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si celui-ci les lui a fournies ? Si tel est le cas, quel sérieux peut-on leur accorder ? »
Le ministre s’en tient à la ligne défendue par François Hollande et Laurent Fabius. A cette date, le gouvernement est encore dans le flou. Avant de s’énerver, il faut en savoir plus.
« Ces pratiques, si elles étaient confirmées, sont inacceptables, et nous ne les accepterons pas. On n’espionne pas ses alliés ! »
Pourtant, aucun autre sénateur n’a réclamé d’en savoir plus, à part en abordant la question sous des angles périphériques :
- l’asile politique refusé à Edward Snowden (pour Jean-Louis Masson, non inscrit) ;
- le refus de survoler le territoire infligé au président bolivien Evo Morales (pour Gaëtan Gorce, socialiste).
A l’Assemblée, la langue de bois de Fabius
Du côté de l’Assemblée nationale, ce n’est guère plus impressionnant. Là aussi les questions tournent surtout autour de ces deux points précis, sans se concentrer ni sur l’éventuelle responsabilité française dans cette opération d’espionnage, ni sur les suites à donner à ces révélations.
A l’exception d’une poignée de députés plus incisifs :
- François Asensi (Front de gauche) prend le ministre des Affaires étrangères à témoin en séance et demande la suspension des négociations avec les Etats-Unis sur le traité de libre-échange transatlantique :
« Une question s’impose : la France avait-elle connaissance de ce système d’espionnage avant ces révélations ? L’affaire a éclaté le 5 juin. Je regrette que, trois semaines durant, notre pays n’ait pas eu une réaction ferme : il fallait convoquer l’ambassadeur des Etats-Unis. [...]
Je demande que la France obtienne la liste précise des entreprises et des personnalités françaises espionnées par la NSA. En nous espionnant, les Etats-Unis affaiblissent la France et l’Europe. »
Il obtient une réponse langue de bois de Laurent Fabius.
- Même résultat pour Laurence Dumont (socialiste), pour qui « l’affaire est grave et l’action est urgente ».
- Lionel Tardy (UMP) arrive à extorquer quelques détails au ministère de la Défense sur la manière dont la France procède pour protéger les informations classifiées.
La loi sur les données persos repoussée
Comme lui, quelques députés rappellent la nécessité d’un règlement européen sur les données personnelles (à l’ordre du jour du Parlement européen ce lundi), qu’ils voient comme un bouclier contre l’espionnage américain.
- Isabelle Attard (écologiste) va plus loin dans sa question à la ministre de l’Economie numérique Fleur Pellerin en lui rappelant ses engagements :
« Madame la ministre, vous avez annoncé un projet de loi “Protection des données personnelles” en février dernier. Quand sera-t-il présenté en Conseil des ministres ? Quelles mesures prendra le gouvernement pour s’assurer que les entreprises et le gouvernement américains n’accèdent pas à des quantités effarantes de données privées concernant les citoyens français ? »
Ce projet de loi, sans cesse repoussé, devrait être présenté en 2014. Sauf changement.
A la décharge du gouvernement...
Le 2 juillet, c’est aussi à Fleur Pellerin que s’adresse le député socialiste Arnaud Leroy, pour connaître « les mesures entreprises par le gouvernement pour découvrir le traitement fait par l’administration américaine des données personnelles de citoyens ou résidents français, mais aussi et surtout [...] les mesures envisagées afin de permettre une meilleure protection des données privées ».
Aucune réponse à ce jour. Ni pour Arnaud Leroy, ni pour Virginie Duby-Muller, qui a déposé deux questions dans la foulée de l’affaire Prism.
A la décharge du gouvernement qui ne s’est pas mouillé jusque-là, on ne peut pas dire que la plupart des parlementaires se soient montrés un tant soit peu concernés.