Le Point, 05/12/2012
Caprices.
C’est une drôle de confrérie que ces diplomates pas comme les autres.
Chaque automne, Nathalie Goulet revient à la charge. La sénatrice UDI soumet un amendement qui n’aboutit jamais. Elle ne demande pourtant pas grand-chose, tout juste économiser une dizaine de millions d’euros en supprimant cinq des vingt-six ambassadeurs thématiques qui peuplent le Quai d’Orsay. Mais il y a toujours une bonne raison pour sauver ces diplomates pas comme les autres. D’ailleurs la France vient tout juste de se doter d’un nouvel ambassadeur thématique Jean Lévy, chargé des grands événements sportifs…
Jacques Chirac est à l’origine de cette fonction. L’objectif du chef de l’État c’était de conférer au négociateur français de la conférence du Millénaire, en2000, un titre ronflant, donc un poids supplémentaire dans les échanges. Bonne idée, qui existe d’ailleurs dans d’autres pays, mais vite dévoyée. Pas avare, la République multiplie depuis les postes d’ambassadeurs thématiques. L’imagination est au pouvoir : on crée un poste d’ambassadeur chargé des relations avec la société civile, un autre chargé de la coopération avec l’Asie, un autre – interdit de sourire– chargé de la mobilité externe des cadres supérieurs… « La coopération avec l’Asie c’est très bien, mais pourquoi n’y a-t-il rien avec l’Amérique, par exemple ? » peste le sénateur PS Richard Yung, auteur d’un rapport très critique sur le sujet auquel, dit-il, le gouvernement n’a accordé aucune attention.
Les intitulés fantasques, et souvent exotiques, ne sont pas la seule bizarrerie de cette confrérie. Le statut est aussi hors normes. D’abord, le mode de désignation échappe à toutes les règles. Alors que la Constitution impose une nomination en conseil des ministres, ceux-ci n’ont eu besoin, pour la moitié d’entre eux, que d’une vulgaire note de service du Quai d’Orsay pour représenter la France. De même, s’interroge dans son rapport le sénateur Yung, pourquoi conférer le titre d’ambassadeur quand un directeur de service peut très bien faire l’affaire ? « Tel est (…) le cas des ambassadeurs chargés de l’adoption internationale », écrit-il. Ensuite, les missions sont assez vagues. Quelle est leur étendue, quand prennent-elles fin ? Mystère, mystère. « Et s’ils sont censés remettre un rapport annuel, bien peu d’entre eux le font », se plaint Richard Yung. De là à dénoncer des emplois de complaisance, il n’y a qu’un pas que certains franchissent. « On aide les recalés du suffrage universel ! » s’emporte Goulet, quand Yung évoque « le fait du prince ». La nomination de Pierre-André Wiltzer est la plus emblématique. Ministre de la Coopération de Chirac, il souhaite récupérer en 2004 son siège de député. Problème : sa circonscription est occupée par sa suppléante, Nathalie Kosciusko-Morizet. Qu’à cela ne tienne, Wiltzer est nommé ambassadeur pour la sécurité et la prévention des conflits. Et NKM reste en place.
L’aspect économique est sans doute moins critiquable. Tous ceux qui ont mis leur nez dans cette confrérie en conviennent : ce n’est pas en supprimant quelques diplomates de cette eau qu’on remplira les caisses de l’État. La plupart d’entre eux sont issus du ministère des Affaires étrangères, donc déjà rétribués par l’État. Reste une dizaine d’ambassadeurs qui, tel Michel Rocard, chargé de la négociation pour les pôles arctique et antarctique, représentent bénévolement (ou presque) la France. La Cour des comptes, qui prépare un rapport sur ces ambassadeurs, confie déjà qu’aucun dérapage financier n’est en vue. Toutefois, le député PS François Loncle a repéré qu’un des ambassadeurs touchait 145000 euros par an, plus 15000 euros de frais.
L’an dernier, François Loncle s’alarmait déjà, dans une question écrite au gouvernement, de « l’impact financier (…) en ces temps de disette budgétaire » de cette caste. Le Quai d’Orsay a tenté de l’apaiser en promettant de « supprimer six ambassadeurs thématiques à courte échéance ». Un an plus tard, l’ensemble des ambassadeurs thématiques est toujours en place. Ils ont même accueilli un nouveau collègue !
Le statut des 26 ambassadeurs
17 sont issus du ministère des Affaires étrangères, 2 viennent d’autres ministères, 7 sont des « personnalités extérieures » (avec, selon les cas, indemnités, frais de voyage et de mission).
Chargé de promouvoir la cohésion sociale
Gilles de Robien, 72 ans
L’ancien député UDF de la Somme et ministre jusqu’en 2007devient la même année ambassadeur.
Chargé de la coopération décentralisée avec l’Asie
Jacques Valade, 83 ans
Ancien ministre et sénateur UMP (1989-2008), il est nommé en 2008.
Déléguée à la coopération régionale dans l’océan Indien
Claudine Ledoux, 54 ans
Ex-maire PS de Charleville-Mézières, battue aux législatives en 2012, nommée en 2013 par Laurent Fabius.
Chargé des négociations sur le changement climatique
Serge Lepeltier, 60 ans
Battu en 2010 pour mener la liste UMP aux régionales, le maire de Bourges était en fonction de 2011 à 2013.Il succède à Brice Lalonde.