Public Sénat, François Vignal, le 24.11.2015 à 17:41
Dans la cadre de l’examen du budget, le Sénat a adopté un amendement PS, contre l’avis du gouvernement, afin de lutter contre l’évasion fiscale des grandes entreprises, notamment du Net. Une attitude qui fait polémique alors que plusieurs multinationales communiquent sur leur solidarité après les attentats.
« Des géants du fast-food à ceux de l’Internet, les exemples ne manquent pas »
« De nombreuses entreprises détournent les bénéfices qu'elles réalisent dans un pays en payant des licences ou des redevances disproportionnées à des sociétés mères localisées dans des paradis fiscaux. Ces paiements colossaux ne correspondent à aucune activité économique réelle. Et n’ont comme seul objectif d’éviter à ces entreprises de payer des taxes et des impôts dans les pays où elle exerce des activités » a souligné le sénateur PS François Marc, ancien rapporteur de la commission des finances.
« Ce détournement de profits se fait au détriment de l'État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et des citoyens. Des géants du fast-food à ceux de l’Internet, les exemples ne manquent pas. Les négociations internationales sur ces sujets ont abouti à des évolutions techniques qui ne règlent nullement le fond du débat et risquent d'être facilement intégrées dans les business models de ces entreprises déloyales » a ajouté le socialiste, expliquant que « le dispositif proposé par l'amendement réintègre les profits détournés dans l'assiette de l'impôt ; il est calqué sur le régime mis en place au Royaume-Uni ». « Il y a une grande impatience chez nos concitoyens. Je pense à Booking, qui déclare en France un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros quand la réalité on est probablement dans un rapport de 1 à 10... » a ajouté Richard Yung, sénateur PS.
Solidarité à géométrie variable
Une évasion et optimisation fiscale qui passe encore moins quand ces entreprises communiquent sur leur solidarité avec la France après les attentats. « Nous nous honorions de (…) restaurer une juste taxation des projets réalisés par les Gafa. Au passage, je suis très heureuse de voir ces grandes multinationales être solidaires avec Paris (après les attentats), avec ce qui nous est arrivé et de mettre le bleu-blanc-rouge sur leur logo. Je leur dis « encore un effort : payez vos impôts en France ! » » a lancé la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann (voir la vidéo).
Une référence notamment à la fonctionnalité offerte par Facebook à ses utilisateurs après les attentats du 13 novembre afin d’ajouter en transparence un drapeau français à sa photo de profil. Autre exemple : après les événements, le logo à la pomme d’Apple était devenu bleu-blanc-rouge sur la page d’accueil de la marque. Son PDG exprimait son soutien sur Twitter.
Ou encore la chaîne américaine de cafés à emporter Starbuck, qui exprimait sur le réseau social sa « solidarité » avec ses amis à Paris. L’entreprise est aussi une championne de l’évasion fiscale, en direction des Pays-Bas…
« Faire cavalier seul serait illusoire »
Albéric de Montgolfier, rapporteur général du budget, n’a cependant pas soutenu l’amendement du groupe PS : « Mieux vaut promouvoir la coopération au niveau de l'OCDE, qui avance assez bien dans ce chantier. (…) Faire cavalier seul serait illusoire » selon le sénateur Les Républicains.
Un point sur lequel s’accorde l’exécutif. « On ne peut de toute façon pas agir seul, il faut à tout le moins se coordonner au niveau européen » corrobore le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, « cet amendement ne règle pas tous les problèmes ». Il ajoute : « La France est en première ligne du combat contre les pratiques inéquitables et immorales de certaines grandes entreprises. Beaucoup de dispositions ont déjà été prises », comme « le reporting pays par pays et les échanges automatiques entre administrations fiscales » ou « l'encadrement des prix de transfert ». « On peut toujours trouver que les choses ne vont pas assez vite, mais elles ne sont jamais allées aussi vite... » Le gouvernement s’est opposé à l’amendement socialiste.
« Les entreprises qui sont là ne font pas de cadeau, alors n’en faisons pas »
Bien que du même bord qu’Albéric de Montgolfier, Roger Karoutchi n’a cependant pas suivi l’avis du rapporteur général du budget. « J’ai été membre du conseil de l'OCDE : celui-ci commence par regarder les législations nationales, qui s'inspirent ainsi mutuellement. Adopter cet amendement ne gênera pas l'avancée des négociations, au contraire. En tout cas, je le voterai » a affirmé le sénateur Les Républicains des Hauts-de-Seine.
L’argument de la patience, invoquée par Christian Eckert, n’a pas vraiment plus au sénateur EELV André Gattolin : « On peut dire soyons patients, nous allons discuter. Mais excusez-moi, on voit ce sur quoi débouche ce type de réunion. On sera encore dans une logique de compromis. (…) Dans les négociations, le gouvernement pourra dire « je ne les tiens pas ces maudits sénateurs, ces maudits député ». Mais arrêtons d’être gentils avant d’avoir commencé de négocier. On n’est pas avec des Bisounours. Les entreprises qui sont là ne font pas de cadeau, alors ne faisons pas de cadeau ».