Entretien avec Richard Yung, sénateur représentant les Français établis hors de France, vice-président de la commission des finances, président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC)
Emmanuelle Hoffman, avocat au barreau de Paris, a eu l’occasion de rencontrer le sénateur Yung qui depuis des années, à la fois dans le cadre de son mandat de sénateur mais également de président du CNAC, milite et agit au service de la propriété intellectuelle.
Emmanuelle Hoffman : Après le rejet de l’amendement proposé en juillet, quel bilan dressez-vous aujourd’hui de la législation sur l’impression 30 ?
Richard Yung : Le CNAC est en train de réaliser un rapport sur le sujet, qui devrait être publié fin décembre. Aujourd’hui, le premier bilan que l’on peut établir, c’est surtout la difficulté de quantifier l’importance de cette technologie 3D. Comment va-t-elle évoluer ? Est-ce qu’elle deviendra incontournable dans certains domaines ? Est-ce que l’évolution sera beaucoup plus lente dans d’autres secteurs ?
Les entreprises ne font pas non plus état d’un besoin particulier de légiférer, elles ne semblent pas gênées par le développement de l’impression 3D. Et puis on connaît déjà la position du ministère : ne pas légiférer, pour ne pas mettre des bâtons dans les roues aux start-up, toujours plus nombreuses, qui se lancent dans la technologie 3D.
Dans ce contexte, légiférer serait une erreur, le terrain n’est manifestement pas propice.
E. H. : Il est vrai que c’est le même discours que tiennent les start-up avec qui l’on discute à l’UNIFAB : les entreprises ne veulent pas être bloquées par une législation qui manquerait de souplesse. Mais la solution ne serait-elle pas de travailler ensemble ?
R. Y. : En effet, il faudrait laisser les entreprises se développer, mais obtenir d’elles un engagement, une reconnaissance que les droits de propriété intellectuelle sont importants.
E. H. : Pourquoi ne pas établir une norme, autre qu’une loi, telle qu’une charte de conduite ?
R. Y. : L’idée d’une charte déontologique à destination des fabricants d’imprimantes 3D serait en effet une bonne alternative à une proposition de loi, solution encore trop précoce. Mais cette charte serait-elle efficace ? On peut en douter car elle n’aurait aucune force contraignante.
E. H. : Quelles autres solutions pourrait-on imaginer pour encadrer le développement de l’impression 3D ?
R. Y. : Le rapport du CNAC recensera l’ensemble des solutions proposées pour encadrer l’impression 3D, car il y en a beaucoup : les rapports sur cette technologie se multiplient et de nombreuses solutions sont avancées. On pourrait par exemple créer un comité de liaison, comme celui qui existe en droit d’auteur, où les ayants droit et les banques élaborent ensemble les poursuites en matière de contrefaçon. On pourrait aussi imaginer créer une offre de programmes légaux de téléchargement de fichiers CAO. On m’a également parlé d’un système japonais où l’imprimante vérifie que le programme qu’elle utilise est légalement téléchargé.
E. H. : Nous ne sommes donc pas pour encadrer le phénomène. L’amendement proposé en juillet avait au moins le mérite d’attirer l’attention sur le sujet et de faire une première tentative de régulation. Si on ne fait rien, le risque n’est-il pas d’intervenir trop tard, comme cela a été le cas pour les ventes de contrefaçon sur eBay ou encore la question du téléchargement illégal ?
R. Y. : C’est effectivement le risque. De plus, les solutions juridiques que l’on a établies devraient être en accord avec la législation européenne : je pense ici au cas des DRM pour la musique, qui n’ont pas résisté au droit européen. Mais avant même des solutions techniques ou juridiques, il faudrait informer le consommateur et apposer par exemple les règles essentielles du droit de la propriété intellectuelle sur les imprimantes 3D, établir des notices d’information sur les risques de la contrefaçon, par exemple à destination des fablab.
Propos recueillis par Emmanuelle Hoffman
Gazette du Palais, édition spécialisée (mercredi 23, jeudi 24 décembre 2015)