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Richard Yung
Octobre 2021

LE MONDE | 02.02.2016 à 11h48

« Quelles mesures avez-vous déjà prises pour réagir à un attentat ? » ; « Lesquelles envisagez-vous ? » ; « Pouvez-vous joindre tous vos salariés en poste ou en déplacement à l’étranger ? » ; « Sauriez-vous les reloger dans l’urgence ? » Ces questions adressées par le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d’Orsay aux directions sécurité des entreprises ont davantage été posées en 2015 qu’auparavant.

Plusieurs centaines d’entreprises se sont tournées vers le CDCS, car « elles constatent une exposition aux risques de plus en plus importante pour leurs salariés », explique son directeur, Patrice Paoli. La préoccupation grandit. Quelque 300 entreprises étaient présentes le 21 janvier à la 10e édition du rendez-vous annuel entre le Quai d’Orsay et le monde des entreprises sur « la sécurité des entreprises françaises à l’étranger ».

La prise de conscience s’est traduite par des actes. En 2008, de grands industriels comme Lafarge et Alstom n’avaient pas de directeur sécurité. Ce n’est plus le cas. « Depuis dix ans, les entreprises se sont professionnalisées, d’une part en renforçant les directions sécurité et d’autre part avec la montée en compétences des RH à l’international », explique Jean Pautrot, président du Conseil Magellan de l’international, qui regroupe des professionnels des ressources humaines à l’international.

Le 11 septembre 2001 a été le premier déclencheur. L’année suivante, il y a eu l’attentat de Karachi qui a tué 11 salariés français de la Direction des constructions navales (DCN). Et plus récemment, en 2013, la prise d’otages sur le champ gazier d’In Amenas, en Algérie, qui a fait 38 morts. Le parquet de Paris vient d’ouvrir une enquête sur les manquements de la sécurité sur ce site.

Dans le déni

Mais nombre d’entreprises sont encore dans le déni. « Quand on interroge les dirigeants d’entreprise, ils ont conscience du danger, mais beaucoup croient encore que ça n’arrive qu’aux autres ; 80 % des dirigeants d’entreprise considèrent que la menace a augmenté, mais 20 % n’ont pas de dispositif de gestion de crise. Et ceux qui n’ont pas de directeur sécurité n’envisagent pas d’en recruter », indique Olivier Hassid, directeur général du Club des directeurs de sécurité des entreprises.

La typologie des comportements des entreprises est relativement simple. Au-delà des différences culturelles, les sociétés se divisent entre les « business first », qui maintiennent les projets de mobilité de leurs salariés, et les autres, qui aujourd’hui prennent davantage de précaution avant d’autoriser le départ de leur personnel. Procédure de sécurisation du lieu de résidence, possibilité d’escorte, suivi GPS du personnel avec l’accord des syndicats sont par exemple des mesures qui se systématisent. « Fondamentalement, l’évolution du comportement des entreprises dépend du PDG », estime M. Hassid.

En termes d’organisation, « la problématique de la sûreté devient de plus en plus transversale, de la direction de la sûreté aux responsables des ressources humaines », note Laurent Mereyde, président de la commission sûreté internationale du Cindex, un club interentreprises sur les politiques de mobilité internationale. Les manageurs recourent aux outils traditionnels du Quai d’Orsay : fiches conseils, fiches « réflexes », cartographie des risques. Mais certains estiment que la cartographie n’est plus vraiment adaptée au risque terroriste. Les entreprises ont besoin d’accompagnement davantage sur mesure.

Leurs demandes au CDCS sont de deux ordres. La première est une évaluation précise et actualisée des risques sécuritaires. Partenariats, création de réseaux, audits… les échanges entre acteurs politiques et économiques prennent des formes très diverses pour établir l’état le plus précis possible de la menace.

La diplomatie économique a rejoint depuis 2012 le ministère des affaires étrangères, et la régularité des échanges s’est révélée particulièrement efficace lors d’événements récents : « C’est grâce à ces contacts réguliers que l’on a été capable d’indiquer toutes les chambres dans lesquelles se trouvaient des Français » lors de l’attaque de l’hôtel Radisson Blu, à Bamako, en novembre 2015, affirme Alain Juillet, le président du Club des directeurs de sécurité des entreprises.

« Rappelez-vous Karachi »

La seconde demande des entreprises concerne les conseils sur les mécanismes sécuritaires, à savoir méthodes d’anticipation et exercices de crise. « Les grandes entreprises demandent au CDCS de venir évaluer ce qu’elles ont mis en place », indique Christian Masset, le secrétaire général du ministère des affaires étrangères et du développement international.

Les entreprises recourent davantage au portail Ariane, où elles peuvent déclarer leurs salariés en déplacement à l’étranger. Trois cent cinquante mille comptes y ont été ouverts. Certaines entreprises disent même exiger l’inscription sur Ariane avant de délivrer les billets d’avion à leurs collaborateurs. Les salariés inscrits sont ainsi joignables et informés par le Quai d’Orsay en temps réel. Le directeur du CDCS estime que les entreprises devraient y « inscrire tous leurs salariés ».

L’approche du CDCS est d’établir jusqu’où une entreprise peut emmener ses salariés dans une zone à risques. « Rappelez-vous Karachi », alerte le CDCS lorsque les entreprises négligent la sécurisation du personnel. L’employeur a une obligation de résultat qui engage sa responsabilité civile et pénale. Il risque une condamnation pour « faute inexcusable » s’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les salariés, comme l’a rappelé la cour d’appel de Rennes en 2007 à la DCN, après la mort des 11 techniciens et ingénieurs dans l’attentat de 2002.

« Mais renforcer la sécurité a aussi un coût, pour élaborer une politique adéquate, mettre en place un plan de gestion de crise », indique M. Hassid. Avec les grandes entreprises, les relations sont établies de longue date, mais l’enjeu est aujourd’hui de toucher les entreprises de taille intermédiaire et les PME, qui sont très nombreuses à intervenir à l’étranger.