Post-scriptum / Fouad Laroui / Jeune Afrique du 8 au 14 mai
C’est triste, une maison vénérable, pour ne pas dire historique, dont l’imposant portail, qui a vu entrer et sortir tant d’hommes et de femmes illustres, se ferme lentement, lentement mais définitivement… C’est triste, un lieu de mémoire qui perd la mémoire, inexorablement, livré aux philistins qui bâtiront un énième hôtel pour rupins sur les ruines d’un temple où soufflait l’esprit…
L’Institut français d’Amsterdam, communément appelé « maison Descartes », va fermer le 30 juin prochain. Le buste de Descartes, qui, depuis plus d’un demi-siècle, accueillait le visiteur d’un œil bienveillant, pour tout dire philosophe, sera vendu au plus offrant. On l’estime à quelques milliers d’euros. En vendant ma collection de timbres, je pourrai peut-être l’acheter. Toujours ça de sauvé du désastre. Les livres de la médiathèque seront, semble-t-il, offerts à la bibliothèque municipale. Je la fréquente, cette bibliothèque, je ne suis pas sûr que les Pléiades reliées pleine peau trouveront leur place sur les étagères du lieu le plus branché de la ville.
Des pétitions ont circulé, des lettres indignées ou attristées ont été adressées à l’Élysée, à Matignon, au Sénat… Peine perdue. Les Excellences qui se succèdent au Quai d’Orsay ne semblent pas trop s’émouvoir de voir disparaître ce foyer d’où rayonnait la culture française et francophone. Trop cher, disent-ils… Soyons sérieux : l’Institut français à Amsterdam coûte, à l’année, quelques heures de vol d’un Rafale. Ô temps, suspends…
La maison Descartes, c’est, pour votre serviteur, vingt-cinq ans de souvenirs inoubliables. Michel Serre, chaleureux et brillant, Claudel, si sympathique, Boris Cyrulnik, émouvant, Assouline, fin érudit, Amélie Nothomb, follement elle… Et je me souviens des éclats de rire de Fatou Diome, d’une table ronde fraternelle avec Anouar Benmalek et Colette Fellous (le Maghreb était à l’honneur…), de Henri Lopes, majestueux, etc.
Coïncidence, le piteux départ de la France s’accompagne de l’arrivée triomphale… du Maroc ! Le royaume a acheté un superbe immeuble en face du zoo, dans l’un des plus beaux quartiers de la ville. Des dizaines d’artisans, dépositaires d’un savoir-faire ancestral, sont venus de Rabat transformer l’endroit en un morceau d’Empire chérifien. Tout est prêt. Il ne reste plus qu’à l’inaugurer, ce bel oiseau nommé Dar al-Maghrib.
Et voici le plus étonnant : conformément à sa volonté d’affirmer sa diversité sans complexe, le Maroc a prévu de donner sa place à la francophonie dans la programmation de Dar al-Maghrib. La prochaine fois que Houellebecq, Modiano ou Mabanckou viendront à Amsterdam, c’est peut-être là qu’on pourra les rencontrer. Le Maroc au secours de la francophonie à Amsterdam ? L’Histoire s’amuse. On peut en sourire, on peut grincer des dents… Mais qu’en pense-t-on, au Quai d’Orsay ?