Les opposants aux contrôles d’identité abusifs, qui attendaient cette décision, espèrent qu’elle fasse jurisprudence.
LE MONDE | 09.11.2016 à 15h27 • Mis à jour le 10.11.2016 à 06h40 | Par Julia Pascual
C’est une décision de principe inédite que la Cour de cassation a rendue, mercredi 9 novembre, en matière de contrôle d’identité. C’est la première fois que la plus haute juridiction était amenée à se prononcer sur ce sujet, sur la base de recours contre l’Etat portés par treize personnes – d’origine africaine ou nord-africaine – qui estimaient avoir fait l’objet de contrôles « au faciès ».
Mercredi, la Cour a définitivement condamné l’État dans trois cas – en l’occurrence des contrôles d’identité ayant eu lieu dans le quartier commercial de la Défense, en décembre 2011. Elle a considéré qu’« un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde ».
Avancée majeure
Au stade précédant de l’appel, le 24 mars 2015, l’État avait été condamné à verser des dommages-intérêts (1 500 euros) dans cinq dossiers. Il s’était alors pourvu en cassation. Et les requérants qui n’avaient pas eu gain de cause dans les huit autres dossiers avaient fait de même. « Que la Cour de cassation se soit prononcée sur un, deux ou treize dossiers nous est égal, précisait mercredi Me Félix de Belloy, qui a défendu en première instance et en appel les treize hommes à l’origine de cette bataille judiciaire initiée en avril 2012. La Cour de cassation a fixé les règles. Elle a confirmé qu’un contrôle fondé sur l’apparence physique est discriminatoire et que c’est une faute lourde. » Réagissant à la décision, le Défenseur des droits a salué « une avancée majeure pour la garantie des droits des citoyens ».
La Cour de cassation a aussi précisé la façon dont la discrimination doit être prouvée. La personne qui saisit le tribunal « doit apporter au juge des éléments qui laissent présumer l’existence d’une discrimination », comme, par exemple, l’attestation d’un témoin présent sur les lieux. « C’est ensuite à l’administration de démontrer, soit l’absence de discrimination, soit une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs ». En matière de contrôle au faciès, la charge de la preuve est donc aménagée, à l’image de ce qui se fait en droit du travail. « C’est une innovation majeure, s’est réjoui Me Félix de Belloy. On sort de plusieurs décennies de non-droit. »
Son confrère, Me Thomas Lyon-Caen, qui a défendu les requérants devant la Cour de cassation, envisage une prochaine étape : « Se mobiliser sur la traçabilité des contrôles ». Actuellement, les contrôles « ne font l’objet d’aucun enregistrement », a rappelé la Cour de cassation, sauf s’ils ont conduit au déclenchement d’une procédure judiciaire ou administrative. Leur cadre se résume à trois situations principales. Ils peuvent être réalisés en cas de flagrant délit, de risque de trouble à l’ordre public ou sur réquisitions du procureur de la République. « C’est très large, estime Me Slim Ben Achour, également avocat des requérants. La pratique qui s’est développée, c’est celle d’une patrouille de policiers qui contrôle quand elle veut. Et on a aucune trace de cette activité-là. »
François Hollande avait promis d’instaurer un récépissé lors de chaque contrôle d’identité, avant de faire marche arrière, une fois élu
A rebours de cette latitude large et du risque d’arbitraire qui en découle, l’avocat considère que la décision de la Cour de cassation va pousser les forces de l’ordre à réformer leurs pratiques pour pouvoir démontrer, en cas de poursuites, que les contrôles sont fondés sur des critères objectifs et individualisés. Lanna Hollo, juriste d’Open Society Justice Initiative, une fondation du milliardaire George Soros qui soutient les treize requérants, veut croire que l’arrêt « contraint les autorités françaises à respecter enfin la promesse électorale faite en 2012 par le président Hollande de “lutter contre le délit de faciès” ».
Un sujet absent des programmes électoraux
François Hollande avait en effet promis d’instaurer un récépissé lors de chaque contrôle d’identité, avant de faire marche arrière, une fois élu. Confronté à la forte opposition des syndicats de police devant ce qu’ils considéraient être une mesure stigmatisante, M. Valls, alors ministre de l’intérieur, a abandonné l’idée d’un récépissé, lui préférant celle du port obligatoire du matricule. « Cela n’a rien changé », martèle Bocar N., l’un des treize requérants, membre du Collectif contre le contrôle au faciès, et dont le cas n’a pas donné lieu à une condamnation de l’État. « Les pratiques continuent et il faut que l’ensemble de la société se saisisse de ce sujet. Il s’agit d’améliorer les relations entre la police et la population. »
Mardi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a justement rendu un avis dans lequel elle rappelle qu’« un ensemble convergent d’études a mis en évidence la surreprésentation des jeunes hommes issus des minorités visibles dans les contrôles de police ». La pratique serait devenue un véritable « un abcès de fixation des tensions police-population », en plus de n’être utile qu’à la découverte d’une part marginale d’infractions.
La CNCDH remet à l’ordre du jour l’idée de « comptabiliser » les contrôles d’identité et de « mettre en place sans attendre un système de traçabilité, permettant à la personne contrôlée de disposer d’un document attestant de ce contrôle ». Malgré ces préconisations, et aussi historique soit la décision de la Cour de cassation, celle-ci intervient à un moment où le sujet n’est plus du tout porté au sein du gouvernement. Les candidats à la primaire de la droite et du centre ne l’ont pas davantage abordé dans leur programme.