Regagner le siège en France est une épreuve pour nombre de salariés expatriés. Soucieuses de pallier les échecs, les entreprises s'outillent.
« Les Français n'ont jamais vu d'un bon oeil ceux qui partent. La mobilité ne fait pas partie, comme l'immigration d'ailleurs, de la culture française. On ne s'est jamais vraiment intéressé à ceux qui partent, et encore moins au fait qu'ils rentrent un jour. » Assumé par Hélène Conway-Mouray, la sénatrice représentant les Français établis hors de France, ce diagnostic est partagé par les acteurs de l'expatriation, avocats fiscalistes, responsables Comp & Ben (rémunération et avantages sociaux) et blogueuses spécialisées. Selon une étude Brookfield, 24 % des expatriés quittent leur employeur dans l'année suivant leur retour. Régression en termes de responsabilités, manager réfractaire à reprendre un candidat imposé, routine du siège, la greffe prend avec peine faute de préparation.
Un retour non anticipé
Dans une banque française, un responsable RH confie, sous couvert d'anonymat, que le contrat local est un billet aller sans retour… « Le détachement pur, maintenant un lien avec le siège, n'est plus la règle. Les contrats locaux, plus avantageux pour l'entreprise, sont privilégiés, voire exigés dans certains pays comme le Maroc pour des questions réglementaires. Par nature, ils incluent rarement les conditions de retour », observe Sophie Marinier, avocate du cabinet LPA-CGR. Sur les 3,5 millions de Français installés à l'étranger, des milliers reviennent néanmoins chaque année, après avoir connu des fortunes diverses. « Le retour dans le pays d'origine est moins accompagné que le départ, le terrain d'atterrissage étant considéré comme plus familier pour le collaborateur », reconnaît volontiers Maud Le Saux, chargée de mobilité internationale chez Schneider Electric. « Le retour constitue une source de stress pour l'expatrié dès le départ. Ce sujet est récurrent lors des dîners entre expats », confirme Alix Carnot, directrice du développement et du pôle carrières internationales d'Expat Communication. Une étude Humanis-Caisse des Français de l'étranger (CFE)-Expat Communication, réalisée le mois dernier, l'atteste : une longue expatriation, supérieure à trois ans, accroît les risques d'échec de la relocalisation. 32 % des expatriés se disent franchement inquiets quant à leur capacité à retrouver un poste en France.
Des salariés de facto acteurs de leur carrière
« L'entreprise ayant transféré la responsabilité du pilotage de carrière au salarié, le rebond au siège est difficile pour celui qui méconnaît les récents mouvements internes ainsi que la nouvelle politique managériale », constate Alix Carnot. Les DRH confessent leur stratégie d'implication des salariés : « Les individus se doivent d'être acteurs de leur propre carrière. Maintenir les liens avec le pays d'origine fait également partie de leur feuille de route, la date de retour étant connue dès le départ », rappelle Maud Le Saux. Les services RH ont d'ailleurs multiplié les outils (bourses emplois, réseaux sociaux d'entreprise, intranet, etc.) permettant de réduire les distances.
Saint-Gobain et Schneider Electric, deux exemples
Conscientes de quelques loupés, certaines entreprises ont rectifié le tir et professionnalisé les process des retours au point d'impliquer la direction générale. Chez Saint-Gobain, le PDG, Pierre-André de Chalendar, supervise lui-même deux fois par an les revues de personnel des trois principales zones géographiques avec sa DRH, Claire Pedini. Les plans de succession des postes stratégiques sont régulièrement remis à jour en lien avec le responsable de la zone concernée. Exemple : une experte en R&D promue à la direction d'un centre de recherche entre de ce fait dans les plans de succession de plusieurs sites sous le regard conjoint du responsable mondial de la R&D et des responsables de zone impliqués dans le jeu de chaises musicales. « Pour chaque aspirant au départ, un ou deux débouchés potentiels sont envisagés de manière à rebondir et à capitaliser sur les expériences acquises », décrit Claire Pedini.
Chez Schneider Electric, un « sponsor » est nommé lors du départ et épaule si besoin le collaborateur durant son exil et dans l'anticipation de la prochaine étape de carrière. « Six mois avant la fin du détachement, l'entreprise s'assure que l'activité ne sera pas en risque selon les différents scénarios envisagés », explique Maud Le Saux. Soudaine pénurie de compétences sur une zone ou a contrario effectifs pléthoriques sur un site, la continuité des opérations doit être correctement assurée. « Chaque trimestre, le reporting des retours à dix-huit mois est étudié ligne à ligne par le comité de direction de manière à désigner un sponsor au sein du codir ou du comex. L'implication du top management permet d'identifier rapidement des solutions ancrées à la fois dans les people reviews et les projets de développement », explique Anne Lebel, directrice des ressources humaines de Natixis.
Peu d'évaluation et de coaching d'impatriés
Dans les faits, les missions d'attente ou les postes transitoires sont légion dans certains sièges, contraints d'« occuper » des salariés sans affectation. « Le diagnostic des compétences développées durant l'expatriation repose sur un énorme malentendu. L'expatrié imagine avoir aiguisé des talents techniques ou des savoirs - la pratique de langues rares - dont les opération n els n'ont pas forcément d'utilité immédiate. Symétriquement, leurs compétences clefs ont pu régresser au regard de celles leur ex-équipe », constate Alix Carnot.
Pour recaser à bon escient, de trop rares services RH offrent des assesment aux impatriés, mais la pratique est onéreuse et difficile à mettre en place car elle impute le budget d'un service pour un élément exogène. Le coaching de retour est également sous-développé pour les mêmes motifs, sauf pour les conjoints. « Conscientes qu'une expérience professionnelle à l'international constitue une rétrogradation pour la carrière des accompagnants, les entreprises leur financent des forfaits de retour vers l'emploi ne serait-ce que pour amortir le choc culturel inversé de la famille et préserver l'attrait de l'expatriation », constate Alix Carnot, qui aborde le sujet dans son livre, « Chéri(e) on s'expatrie » (Eyrolles). « Pour pourvoir certaines destinations difficiles, en Russie et en Asie, les packages doivent rester attractifs. ».
Depuis peu, des services en ligne
De longue date, le gouvernement a conscience des marges de progrès. En 2015, Hélène Conway-Mouray a établi des recommandations favorisant l'impatriation. Parmi celles-ci, la création d'un simulateur en ligne, intitulé Retour en France qui aborde les démarches administratives mais aussi les clefs du retour à l'emploi. Bercy a également planché sur l'amélioration du régime fiscal des « impatriés » qui s'applique depuis quelques mois aux Français et résidents étrangers transférant leur résidence fiscale dans l'Hexagone à condition d'avoir vécu a minima cinq ans hors des frontières.
Voulu par le Premier ministre Manuel Valls pour surfer sur la vague du Brexit, et faire revenir en France les exilés, ce statut permet d'exonérer d'impôt sur le revenu durant huit ans - contre cinq ans auparavant - les primes d'impatriation perçues au retour : « Cette carotte fiscale, qui s'exerce sur les suppléments de rémunération voués à faciliter la réinstallation en France, constitue un avantage notoire bien que plafonné », évalue Mathieu Selva-Roudon, avocat du cabinet LPA-CGR. A cette fleur fiscale encore peu utilisée s'ajoutent des exonérations applicables aux revenus dits passifs : « Pour respecter le patrimoine que ces expatriés ont structuré dans leur ancien pays de résidence notamment dans la perspective de leur retraite, certaines plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, ainsi que les revenus de capitaux mobiliers perçus à l'étranger sont exonérés à hauteur de 50 %. »
Le gouvernement Philippe entend aller encore plus loin. En annonçant vendredi son intention de supprimer « la tranche supérieure de la taxe sur les salaires » pesant sur les revenus du secteur financier, l'exécutif espère attirer quelques-uns des 100.000 salariés de la finance qui pourraient être relocalisés à Paris. En attendant la rupture concrète de la Grande-Bretagne avec l'Union, les entreprises temporisent. Saint-Gobain se montre attentif aux négociations mais sans anticiper leur issue. Les banques - dont HSBC qui envisage de déplacer plus d'un millier d'emplois vers Paris - font savoir que les migrations envisagées seront traitées comme de nouvelles missions, bon nombre de salariés de ces établissements étant de nationalité étrangère. « L'élection d'Emmanuel Macron semble plus déterminante dans la décision de retour en France que le Brexit », relève Alix Carnot.
Marie-Sophie RAMSPACHER
Les Échos (10/07/17)