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Je vous souhaite la bienvenue sur ce site archive de mon mandat de sénateur des Français hors de France.

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Richard Yung
Octobre 2021

Libération, Arnaud Vaulerin — 29 janvier 2018 à 19:46

En cas de divorces, beaucoup de parents, notamment occidentaux, restent impuissants : nombre d’enfants sont «enlevés» par le père ou la mère, sans que les autorités locales n’interviennent. Les associations lancent un cri d’alarme.

C’est le genre de vocabulaire d’ordinaire employé pour des affaires criminelles, des intrigues mafieuses et des guerres. On le retrouve de plus en plus dans la bouche de parents séparés de leurs enfants, privés à la fois de droit de visite et de garde. Ils parlent d’«otage», d’«enlèvement», de «violation» et de «kidnapping» pour raconter des histoires qui charrient souffrances, silences et injustices entre le Japon et de nombreux pays. Plusieurs centaines d’enfants binationaux et des dizaines de milliers d’autres uniquement japonais sont victimes des manquements de la «bureaucratie judiciaire japonaise», comme le formule sans détour John Gomez, président de l’ONG Kizuna («lien» en japonais) à Tokyo, qui milite pour le droit d’un enfant de voir ses deux parents. Cet Américain s’alarme du «mépris du Japon pour les droits et le bien-être de l’enfant». Et de la situation de pères et de mères abandonnés et sans beaucoup de recours.

Le 25 janvier, le sénateur LREM Richard Yung a posé une question orale au gouvernement français pour attirer l’attention de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, sur les difficultés rencontrées par certains ressortissants français pour exercer au Japon leurs droits parentaux.[note]

«Je ne la reverrai pas»

Le Français Emmanuel de Fournas est l’un d’eux. Depuis le 7 juin 2015, il n’a pas revu sa fille Claire, née en janvier 2012. Cet ancien chef d’entreprise dans le secteur du bio a épousé sa femme, japonaise, en 2011. Après plusieurs années de vie commune en Thaïlande, le couple se sépare en 2014. La mère s’installe au Japon avec la petite Claire, le père effectue des allers-retours, tentant de maintenir un contact avec sa fille. Sur fond de tensions médicales et familiales, commence alors un long parcours judiciaire entre les tribunaux français et japonais, avocats et commissariats.

Dans ce qui ressemble à une descente aux enfers, Emmanuel de Fournas est même placé en garde à vue en mai 2015 au Japon, pendant vingt-trois jours, avec placement à l’isolement, test ADN et fouille anale. Il est accusé de «harcèlement» et même soupçonné de vouloir enlever sa fille. «Je me suis retrouvé dans un vide de droits fondamentaux terrible, raconte-t-il depuis Toulouse où il vit. J’étais présumé coupable. Un policier japonais a fini par me dire qu’à partir du moment où ma fille avait été enlevée, je ne la reverrai pas. Le Japon fonctionnait ainsi selon lui.»

Un diplomate japonais qui souhaite rester anonyme tente une explication culturelle : «La prise de conscience de la situation des enfants séparés a été tardive au Japon. Selon les principes du code civil, la garde partagée n’est pas reconnue. Traditionnellement, le foyer est constitué des deux parents et du ou des enfants. Une fois qu’il est brisé par un divorce, l’enfant "n’appartient" plus qu’à un des deux parents. Après, bien sûr, les parents peuvent se mettre d’accord.» C’est souvent compliqué. Les cas les plus nombreux concernent des citoyens américains, britanniques, australiens ou même italiens. En France, le ministère de la Justice dit avoir été saisi officiellement de «quatorze dossiers depuis l’entrée en vigueur de la convention de La Haye entre la France et le Japon le 1er avril 2014».

Cette année-là, après trois décennies de polémiques dont certaines ont abouti à des suicides, l’archipel finit par ratifier ce texte sur les enlèvements internationaux d’enfants. Sans aucun effet rétroactif, cette convention vise à «assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant et à faire respecter effectivement les droits de garde et de visite existant». Elle est explicite et précise sur les engagements des parties signataires. Mais, de l’avis de pères et mères français, américains, britanniques que Libération a contactés, le «Japon viole» la convention de La Haye et s’en «sert uniquement au bénéfice de parents nippons», sans «se soucier de la tragique situation des enfants binationaux, les premières victimes»,écrivent des Français qui tentent de défendre leur cas. «Force est malheureusement de constater que le Japon ne satisfait pas pleinement aux obligations qui lui sont imposées par la convention de La Haye, a dénoncé Richard Yung dans sa question au Sénat, la semaine dernière. Par ailleurs, il est regrettable de constater que l’exercice effectif d’un droit de visite continue de dépendre du bon vouloir du parent japonais.»

Bataille procédurale

Fin décembre, des Français ont constitué un collectif : «Sauvons nos enfants-Japon». Ils ont rencontré des conseillers consulaires (Evelyne Inuzuka, Thierry Consigny) et des parlementaires. Tout en frappant aux portes des consulats et ambassades qui apprécient modérément cette mobilisation peu en harmonie avec la diplomatie officielle. Ils martèlent que le Japon ne respecte pas la convention. Ils en veulent pour preuve que les autorités de l’archipel n’ont pas mis en œuvre des ordres de retour d’enfants binationaux dans un autre pays. Pis, ces décisions de justice ont été rejetées par la Cour suprême du Japon le 21 décembre. Ce jour-là, plusieurs ordonnances de retour préalablement rendues en faveur de James Cook, un Américain père de quatre enfants enlevés par leur mère japonaise, ont été annulées, donnant un redoutable signal aux parents privés de leur progéniture.

Abigaël Morlet redoute un scénario similaire. Cette Française a eu deux enfants entre 2007 et 2009 avec son mari japonais dont elle s’est séparée. Elle est lancée dans une bataille procédurale avec celui qu’elle accuse d’être un «pervers narcissique». Elle a obtenu l’autorité parentale exclusive, le droit de garde en France. Mais au terme d’un procès, son ex-mari a obtenu que l’autorité parentale soit partagée avec des droits de visite et d’hébergement (des DVH dans le jargon des couples séparés) au Japon. «Si mes enfants repartent dans l’archipel, je ne les reverrai pas, assure cette ancienne enseignante. Il y a un risque réel que leur père ne respecte pas le DVH et ne les renvoie pas en France. Et on ne peut pas compter sur la police japonaise pour appliquer les ordonnances de retour. Elle se contente de venir frapper à la porte et ne fait rien si l’autre parent refuse. Et il n’est pas interdit de penser que, moi aussi, je sois arrêtée et placée en garde à vue pendant vingt-trois jours si je me rends au Japon.» Elle a proposé à son ex-mari de venir voir ses enfants en France en novembre et décembre, il a refusé. Elle vit dans la crainte d’une décision de justice lui intimant l’ordre de confier son fils et sa fille à leur père.

Les autorités japonaises font profil bas. Elles ont créé une cellule de suivi au sein du ministère des Affaires étrangères. «Si je comprends bien, poursuit notre diplomate au fait de l’esprit de la convention de La Haye, le problème n’est pas la non-application, mais plutôt la lenteur, la mollesse dans la mise en œuvre. Surtout, les agents chargés de la mise en exécution de ces arrêts judiciaires [ordonnances de retour, ndlr], ne sont pas vraiment habitués. Ils hésitent à intervenir rapidement et par la force dans des affaires civiles et familiales toujours délicates.»

Mais de l’avis de plusieurs parents et experts, le «cœur du problème réside dans la branche judiciaire», analyse John Gomez de l’ONG Kizuna. «C’est le concept de "principe de la continuité" qui est problématique. C’est-à-dire que, dans l’esprit des juges, les enfants restent avec le parent qui les a enlevés. Autrement dit, on entérine et on valide le kidnapping», explique cet Américain mobilisé depuis dix ans sur ce douloureux dossier. Il balaie d’un revers de main les explications culturalistes, les probabilités de discrimination envers les étrangers, les femmes ou les hommes. Durant ces dix années d’activisme, il a croisé des victimes de tout genre, de toute catégorie et de toute nationalité. Ce qui l’amène à parler de «véritable violation de droits de l’homme commis dans l’archipel». A partir des statistiques officielles sur le nombre de divorces et celui des naissances, il assure que chaque année au Japon, jusqu’à 150 000 enfants seraient privés d’un des deux parents à la suite d’une séparation.

Se faire entendre

Le Français Stéphane Lambert, qui vit en banlieue de Tokyo, en sait quelque chose. Il a rencontré sa femme japonaise et a vécu à l’étranger avec elle et leur fils, Nathan, né en 2012. Puis ils sont rentrés au Japon en février 2013. Deux ans et demi plus tard, la mère a kidnappé l’enfant. Stéphane Lambert dit avoir obtenu très péniblement du tribunal de Yokohama un droit de visite de quatre heures par mois. Mais la mère a déménagé et le père a perdu la trace de son enfant qui souffrirait de «troubles du développement». Il s’est tourné vers la police japonaise, qui lui a indiqué qu’elle n’interviendrait pas. Quand il a frappé à la porte des autorités consulaires françaises, il s’est entendu répondre : «On ne peut rien faire, le Japon est souverain.» Déboussolé et désargenté, Stéphane Lambert a rejoint le collectif des parents français.

Ces femmes et ces hommes veulent être plus offensifs pour se faire entendre. La députée des Français de l’étranger pour la région Asie-Pacifique, Anne Genetet, qui les a rencontrés et demande la «mise en œuvre effective du droit», les met en garde contre une «démarche trop agressive qui fermerait les portes du Japon». Mais le sénateur Richard Yung a demandé au ministre des Affaires étrangères si, «soucieux du respect de l’intérêt supérieur des enfants issus de couples franco-japonais, […] la France, en lien avec d’autres Etats, ne pourrait pas entreprendre de nouvelles démarches auprès du Japon». Aujourd’hui, certains parents n’ont plus d’autres choix que de faire du bruit. Seul espoir pour revoir leurs enfants.

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Note : La question a été déposée le 25 janvier, mais elle sera posée en séance le 13 février avec réponse du ministre.