Les Échos, Yves Bourdillon, 26/03 à 16:05, mis à jour le 27/03 à 16:46
La grande île africaine est le seul pays au monde où le niveau de vie a reculé depuis 1960. La présidentielle de novembre prochain a peu de chances de changer la donne.
Un désastre énigmatique. Madagascar, où une élection présidentielle se tiendra le 24 novembre prochain, est le seul pays au monde où le revenu par habitant a reculé en dollars constants (et de 30 %, qui plus est) depuis 1960, l'année de son indépendance. Il ne dépasse pas 400 dollars aujourd'hui, à cinq places du pays le plus pauvre du monde. Les trois quarts de ses 25 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Autre indice de sous-développement, Madagascar connaît des épisodes récurrents... de peste, maladie éradiquée dans le reste du monde depuis un demi-siècle.
Des atouts gaspillés
Un gâchis hallucinant quand on sait que les terres de la quatrième île de la planète sont un « rêve d'agronome », selon les mots d'un expert. Ses plages et paysages ont aussi de quoi séduire les touristes, et ses réserves de nickel, cobalt ou d'or les entreprises minières.
Autre atout, Madagascar n'est pas déchirée par les tensions interethniques, sources de sous-développement ailleurs. Et connaissait peu de violence susceptible d'effaroucher les investisseurs jusqu'à récemment - une campagne « Aok'Zay » (ça suffit) a été lancée en réaction à la montée des cambriolages et agressions sur les réseaux sociaux... auxquels sont connectés une infime minorité de Malgaches.
Le fantôme des crises politiques
Madagascar connaît d'ailleurs des épisodes de croissance encourageants, (+5 % enregistrés l'an dernier), une croissance financée par de vastes investissements publics. Le Fonds monétaire international, qui a présidé en 2016 à la mise en place d'un programme de réformes adossé à une Facilité élargie de crédit (FEC), attend +5,3 % cette année, si aucun cyclone ne vient ravager les plantations de vanille, comme celui d'il y a un an, qui avait provoqué la multiplication du prix par dix (à 600 euros le kilo).
Madagascar, qui pèse pour 80 % de la production mondiale dépend beaucoup de l'exportation de cette épice, la plus chère du monde derrière le safran. Le chef de l'Etat malgache, Hery Rajaonarimampianina, se targue aussi d'avoir obtenu il y a un an 6,4 milliards de dollars de promesses des bailleurs de fonds internationaux.
Mais depuis des décennies, les épisodes de croissance sont régulièrement annulés par une crise politique, au rythme d'environ une toutes les six ans depuis 1991. La dernière, en 2009, a vu le pays ostracisé par la communauté internationale. Une fatalité qui n'a rien de fortuit, selon les chercheurs du centre Développpement institutions et mondialisation (DIAL) Mireille Razafindrakoto, François Roubaud et Jean-Michel Wachsberger, auteurs de l'ouvrage « L'énigme et le paradoxe » paru récemment.
Rapine
Ils estiment que dans une économie « de rapine », avec des rentes faciles à prélever sur les ressources naturelles ou l'aide extérieure, tout décollage économique suscite des jalousies au sein des clans d'une « hyper-élite de dix mille personnes » peu intéressées à simplement « faire grossir et répartir le gâteau ».
Des jalousies conduisant régulièrement à des tentatives de renversement du pouvoir. Selon eux, la faiblesse des corps intermédiaires et des institutions (le pays figure au 155e rang mondial sur 180 en matière de perception de la corruption) et la paupérisation de la classe moyenne ne permettent pas de sortir de ce cercle vicieux. De quoi douter d'une amélioration substantielle de la situation après l'élection de novembre.
Régions françaises : des coopérations à relancer avec Madagascar
Frank Niedercorn, 26/03 à 16:14Mis à jour le 27/03 à 16:45
Malgré des résultats probants sur le terrain, dans les domaines de l'eau, de l'agriculture ou de la formation, la coopération entre collectivités françaises et malgaches s'est essoufflée.
Les villes, régions ou départements français vont-ils continuer à mettre la main à la poche pour aider Madagascar ? « Ce mode de coopération décentralisée présente l'avantage de travailler à l'échelle du terrain ce que les grands programmes internationaux ont du mal à faire. Cela permet de créer de la richesse réinvestie localement et de responsabiliser les collectivités partenaires dans un contexte ou l'Etat malgache se comporte souvent en prédateur », note David Hacquin, enseignant au Centre international d'études pour le développement local de l'Université Catholique de Lyon.
Et pourtant ce mode de coopération s'essouffle. Le montant total des sommes investies, 7 millions d'euros par an jusqu'en 2014, est retombé à 4,2 millions. Le coup d'Etat de 2009 a fait fuir les investisseurs internationaux et découragé une partie des collectivités. La décentralisation n'avance guère avec des chefs de région nommés par le gouvernement. Côté français, l'alternance politique a bouleversé la donne. Des collectivités importantes comme Rhône Alpes Auvergne, présidé par Laurent Wauquiez, ou les Hauts-de-France de Xavier Bertrand, ont décidé d'arrêter de financer des projets avec Madagascar.
Accès à l'eau
Sur le terrain, les résultats de 245 projets recensés sont pourtant souvent probants, « notamment pour les services de base », insiste David Hacquin. Dans un pays où 23 % seulement des habitants ont accès à l'eau courante, plusieurs projets financés par les Agences de l'eau , l'Europe et les régions permettent d'amener l'eau potable près des habitants avec la construction de bornes-fontaines. Avec un impact sanitaire immédiat comme dans ce quartier rural de la ville de Soavinandriana ou six points d'eau ont été aménagés pour les 450 habitants. « Dès que nous avons eu accès à une eau de bonne qualité, les problèmes d'infection et de diarrhées ont immédiatement cessé », assure le responsable du quartier.
Autre axe essentiel, le développement économique. Présent depuis 13 ans à Madagascar, le département de l'Ile-et-Villaine mène par exemple un programme pour faire émerger une petite filière laitière. En une dizaine d'années, pour un investissement de 80.000 euros par an, 400 producteurs ont été formés. « L'intérêt est économique puisque ces agriculteurs ont vu leur salaire multiplié par quatre. Il contribue à lutter contre la malnutrition grâce aux nutriments apportés par le lait », précise Guillaume Parizet, le coordinateur du programme.
De la précarité à l'autonomie
La région Nouvelle Aquitaine implantée depuis 2007 est désormais l'une des collectivités les plus actives à Madagascar. Son partenariat avec la région Itasy, à l'ouest de Tananarive, s'appuie sur une équipe permanente d'une dizaine de personnes, expatriés et malgaches, et des ONG spécialisées. Principaux axes, la formation et le développement agricole. Le Centre régional de formation agricole et rurale (CRFPA), dont la rénovation a été financée par la région, a dispensé 6.000 formations aux agriculteurs : diminution drastique des intrants chimiques, plantation d'espèces évitant l'érosion des sols, utilisation du compost, rotation des cultures... Mais aussi gestion et valorisation des produits.
« Notre métier consiste à aider les agriculteurs à passer de la précarité à l'autonomie en s'appuyant sur l'agroécologie », résume Yvonnick Huet, le directeur de l'association Agrisud qui pilote le volet agricole pour la région. Les espoirs reposent sur 350 « maîtres exploitants » bien formés et désormais amenés à diffuser leur savoir-faire. « Grâce aux résultats obtenus sur leurs parcelles, les maîtres exploitants convainquent les autres agriculteurs et peuvent ensuite les former », explique Fid Andriamirajo, le responsable local du projet.
En clôture des 2e Assises de la coopération des collectivités malgaches et françaises, début mars à Tananarive, Alain Rousset, le président de la Nouvelle Aquitaine, a promis de « reprendre son bâton de pèlerin » pour aller convaincre ses collègues de l'intérêt de cette coopération : « Le principal argument c'est celui de l'efficacité. Notre budget annuel est d'environ 350.000 euros. Les sommes en jeu sont raisonnables, l'effet levier important et les résultats sont là. »
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