Renaud Honoré, Etienne Lefebvre, 12/06 à 19:27, mis à jour le 13/06 à 09:55
INTERVIEW - « L'Etat n'a pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles », déclare le ministre de l'Economie et des Finances. Dans une interview accordée aux « Echos », il dévoile les contours du plus important programme de privatisations lancé depuis dix ans.
Le projet de loi Pacte contiendra-t-il finalement un volet consacré à des privatisations ?
Nous nous donnerons dans la loi Pacte la possibilité de céder les participations que l'Etat détient dans trois entreprises, le groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), la Française des Jeux et Engie. Nous avons pris cette décision avec le président de la République et le Premier ministre pour employer le mieux possible l'argent des Français. Les parts de l'Etat dans ces entreprises cotées représentent environ 15 milliards d'euros qui sont aujourd'hui immobilisés et qui ne permettent pas d'investir pour notre avenir.
Nous voulons investir les ressources issues des cessions dans le Fonds pour l'innovation et l'industrie créé par le président de la République. Afin d'encourager l'innovation et la montée en gamme. C'est cela qui nous permettra d'être à nouveau en tête dans la compétition mondiale et de continuer à créer des emplois en France. Nous passons d'une logique de gestionnaire à une logique d'investissement dans l'avenir.
Ces cessions serviront-elles également au désendettement public ?
La dette est un poison lent qui pèse sur les générations futures et un poison d'autant plus redoutable que les taux d'intérêt remonteront un jour ou l'autre et alourdiront la charge de la dette. Nous voulons donc que ces cessions de participations permettent aussi d'accélérer le désendettement de l'Etat. Avec ces cessions nous agissons pour l'avenir des Français et les générations futures. J'ajoute à cela qu'elles vont également enfin clarifier le rôle que doit endosser à nos yeux un Etat stratège.
Quelle est la vision du gouvernement en la matière ?
Le projet de loi Pacte doit permettre de redéfinir la place respective de l'entreprise et de l'Etat dans l'économie française. L'entreprise est le lieu de la réalisation du profit mais elle est aussi beaucoup plus que cela, et c'est la raison pour laquelle nous modifierons le Code civil afin de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux de leur action.
L'Etat, pour sa part, doit être un Etat stratège. Il n'a pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles à la place d'actionnaires qui ont les compétences et les savoir-faire pour le faire mieux que lui. Un Etat stratège est un Etat capable d'inventer et de construire l'avenir des Français. Il doit garder la main sur des activités de souveraineté nationale, comme le nucléaire ou la Défense ainsi que sur les grands services publics nationaux comme la SNCF. C'est enfin un Etat qui fait respecter l'ordre public économique en France.
Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour acter cette décision de privatisation, qui était en suspens depuis des semaines ?
La précipitation est toujours mauvaise conseillère, surtout quand on prend des décisions stratégiques. Il s'agit de repenser la place de l'Etat dans l'économie française. Nous voulons fixer les meilleures modalités pour défendre l'intérêt général. Nous estimons que l'Etat est mieux à même de défendre l'intérêt général par la régulation plutôt que par la présence au capital. Il a donc fallu définir les conditions de renforcement de cette régulation. Il faut pouvoir reprendre la main.
Quelles sont les garanties prévues pour la régulation d'ADP ?
Toutes les fonctions régaliennes continueront à être assurées par l'Etat comme elles le sont aujourd'hui : la sécurité des frontières, la régulation du trafic aérien. Surtout, au terme d'une période de soixante-dix ans, l'Etat recouvrera la propriété de tous les actifs dont le foncier. C'est une amélioration majeure car actuellement, les actifs sont la propriété de l'entreprise seule, et non de l'Etat. Nous sommes en train de finaliser ce dispositif en prenant en compte l'avis du Conseil d'Etat.
Comment faire pour éviter les hausses de tarifs, si décriées dans le cas des autoroutes ?
Nous ne reproduirons pas l'erreur qui a été faite pour les péages d'autoroutes. Nous avons prévu de maintenir un contrat de régulation entre ADP et l'Etat. Ce contrat qui sera conclu tous les 5 ans fixera en particulier le niveau des redevances aéroportuaires. S'il y a désaccord, c'est l'Etat qui fixera lui-même le niveau des redevances. L'Etat maintiendra par ailleurs toutes les normes encadrant les nuisances sonores qui devront donc être pleinement appliquées par le nouvel exploitant. C'est une demande importante des élus locaux. Enfin, dans ce contrat de régulation, l'Etat pourra aussi prescrire certains investissements nécessaires au service public aéroportuaire.
La présence d'investisseurs chinois au capital d'aéroports régionaux a fait polémique. Vous réservez-vous un droit de regard sur les futurs actionnaires d'ADP ?
Oui. Nous veillerons à ce que les investisseurs contribuent au développement du service public aéroportuaire et ils devront se conformer à l'exigence d'un cahier des charges.
Et pour la Française des Jeux, comment les prérogatives de l'Etat seront-elles garanties ?
La question posée dans ce domaine est celle de l'addiction aux jeux. Nous créerons une nouvelle autorité indépendante pour les jeux d'argent et de hasard qui contrôlera l'activité de l'entreprise et s'assurera qu'elle lutte contre les pratiques excessives de jeux. L'Etat continuera par ailleurs de percevoir la totalité des recettes fiscales sur ces jeux, soit plus de trois milliards d'euros par an.
Les petits actionnaires seront-ils intéressés à ces opérations en capital ?
C'est un point essentiel. Le président de la République souhaite développer un véritable actionnariat populaire. C'est pourquoi nous permettrons aux Français de devenir actionnaires et une part du capital leur sera réservée. Le développement de l'actionnariat salarié sera également un axe important de la loi Pacte.
Quelle sera la part réservée ?
Le niveau sera défini dans les mois qui viennent.
Ne vaut-il mieux pas, pour l'Etat, conserver ses actifs et percevoir chaque année des dividendes ? Le précédent des autoroutes fait toujours débat...
Aujourd'hui, l'Etat détient quelque 9 milliards d'euros d'actifs au sein d'ADP, et obtient 174 millions d'euros de dividendes par an. C'est beaucoup d'argent immobilisé qui pourrait permettre de financer les investissements dans l'innovation et les secteurs d'avenir. Nous avons besoin d'une ressource régulière, sûre et pérenne. Ce sera le cas grâce au nouveau fonds pour l'innovation.
Concernant Engie, que prévoira la loi ?
Nous supprimons le seuil de détention minimum légal de l'Etat d'un tiers des droits de vote.
Quelle part de capital des trois sociétés sera vendue par l'Etat ? Pourrait-il se désengager totalement d'ADP et FDJ ?
Toutes ces décisions viendront le moment venu, une fois le texte adopté par le Parlement, fin 2018 ou début 2019.
Les opérations se feront-elles en 2019 ?
Nous déciderons le moment venu, mais tout dépendra aussi des conditions de marché. Et la aussi nous veillerons à la préservation des intérêts de l'Etat, en particulier en matière de sécurité des approvisionnements et de protection des infrastructures.
Ne craignez-vous pas les critiques sur le désengagement de l'Etat du secteur des transports, alors que la situation reste très tendue chez Air France ?
Non, car je le répète, l'Etat aura en réalité plus de pouvoirs qu'avant en matière de régulation aéroportuaire et restera bien évidemment le garant des contrôles aux frontières. L'Etat n'est en revanche pas le mieux placé pour gérer les commerces d'aéroport. Le sujet d'Air France est totalement distinct, il s'agit de redonner un élan à l'entreprise, pour qu'elle soit plus compétitive tout en relançant le dialogue social.
Dans le débat sur l'équilibre de la politique économique et social du gouvernement, le débat sur les privatisations va peser...
Opposer économique et social n'a pas de sens. Et c'est aux antipodes de l'action du gouvernement. Nous poursuivons la transformation économique engagée depuis plus d'un an avec des réformes qui allègent la fiscalité du capital et incitent à l'investissement. Il est aujourd'hui cohérent de permettre aux Français de devenir actionnaire d'entreprises précédemment détenues par l'Etat. Il était grand temps de redéfinir ce que l'on attend du rôle de l'Etat dans l'économie. Les privatisations marquent la volonté de créer davantage de richesses et de préparer notre avenir. Ce mouvement de transformation, nous le menons à un rythme raisonnable, sans brutalité, avec la vision de long terme portée par le président de la République.
Renaud Honoré et Etienne Lefebvre