Le quotidien Les Échos a consacré son éditorial du 30 octobre à l'élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil. Je partage totalement le point de vue de Jacques Hubert-Rodier.
Engrenage brésilien
La victoire de Jair Bolsonaro est un retour en arrière pour le Brésil, trente ans après la chute de la dictature militaire.
Le Brésil ? « Pays d'avenir, qui le restera longtemps », aurait dit perfidement Clemenceau. Avec l'élection dimanche de Jair Bolsonaro , un nostalgique de la dictature militaire qui a imposé son carcan sur le plus grand pays d'Amérique du Sud pendant vingt ans, cet avenir a le goût amer d'un retour dans le passé. Bien sûr, cet ancien député, un peu obscur jusqu'à présent, a remporté le scrutin démocratique haut la main.
Mais cette victoire, il la doit moins à son programme radical qu'au rejet par les électeurs de la corruption qui mine la vie politique brésilienne et de la violence quotidienne qui l'accompagne. C'est d'ailleurs au nom de la lutte contre la corruption que l'ancien président, Lula, a été envoyé en prison et empêché ainsi de se représenter. Le capitaine de réserve Bolsonaro, dont la violence et la vulgarité de certains propos rappellent les présidents américain Donald Trump et philippin Rodrigo Duterte, est donc avant tout le fruit de la déliquescence du modèle brésilien.
Nationalisme étroit
Mais son arrivée au pouvoir, qui sera effective en janvier 2019, n'est pas un cas isolé à l'échelle mondiale. Elle s'inscrit dans un mouvement plus large de rejet des élites et dans la montée d'un nationalisme étroit. Le Brésil n'est pas seul à rechercher une voie autoritaire et/ou illibérale. L'Europe a désormais Matteo Salvini en Italie, Viktor Orban en Hongrie, Jaroslaw Kaczynski en Pologne et un peu plus loin à l'est Vladimir Poutine en Russie, sans parler des poussées populistes ailleurs, y compris en France et en Allemagne. Presque partout, la démocratie libérale est menacée par la tentation de l'autoritarisme.
Plus près de Brasilia, plusieurs pays d'Amérique latine ont déjà franchi ce pas, sombrant dans la dictature et la répression des aspirations des peuples. Le Venezuela de Nicolás Maduro bien sûr, mais aussi le Nicaragua sandiniste de Daniel Ortega. Le risque est que le Brésil ne bascule à son tour.
Marche en arrière
Il faut donc espérer que les institutions démocratiques résisteront aux tentations autoritaires d'un Jair Bolsonaro. A ce stade, rien n'est acquis. Car, même fragmenté, le Parlement brésilien pourrait le soutenir sur certaines de ses mesures les plus radicales. Quant au pouvoir judiciaire, il n'est pas sûr qu'il puisse être un verrou suffisamment solide face à ces dérives. L'exemple du Venezuela de Maduro n'invite pas à l'optimisme. Caracas n'a en effet pas hésité à chasser les hauts magistrats qui entendaient s'opposer au pouvoir présidentiel. De même, Varsovie a démontré que l'on pouvait faire taire la justice en la plaçant sous l'autorité du pouvoir politique.
La marche en arrière ne sera pas facile à arrêter. Au Brésil et ailleurs, l'avenir n'est peut-être plus forcément démocratique. Un engrenage s'est enclenché.
Jacques Hubert-Rodier