Comme à l’Assemblée, certains des 23 sénateurs LREM expriment des différences sur certains choix du gouvernement. André Gatollin a des « doutes » sur la loi anti-casseurs. Avec d’anciens socialistes, comme Frédéric Marchand ou Richard Yung, ils aimeraient voir la « dimension sociale » mieux défendue.
50 abstentions de députés LREM sur la loi anti-casseurs, départ du groupe de La République en Marche du député écologiste Matthieu Orphelin… Ça tangue au groupe de la majorité présidentielle de l’Assemblée. Qu'en est-il au Sénat ? Avec un groupe minoritaire de 23 membres, la situation est différente. D’autant que le Sénat est dirigé par la droite et n’a constitutionnellement pas le dernier mot sur les textes de loi.
Tous les sénateurs interrogés assurent que le groupe est uni. « On a une très grande cohésion » assure André Gattolin, sénateur LREM des Hauts-de-Seine. « L’ambiance au groupe est bonne. On n’est pas à l’Assemblée : on est un petit groupe, on se voit souvent et chacun a la parole » ajoute Patricia Schillinger, sénatrice LREM du Haut-Rhin.
André Gatollin « regrette profondément » le départ de Matthieu Orphelin
Reste que les sénateurs LREM ne sont pas imperméables aux questions que se posent certains de leurs collègues députés. D’autant qu’une bonne partie est issue des rangs du PS ou de la gauche. Le départ de Matthieu Orphelin ne laisse pas ainsi insensible André Gatollin. « Je le regrette profondément » avoue le sénateur des Hauts-de-Seine, ancien d’EELV et proche de Daniel Cohn-Bendit, « c’était la vraie cheville ouvrière auprès d’Emmanuel Macron, notamment pour l’arrivée d’un certain nombre d’écologistes dans la majorité ». Celui qui a surtout rejoint Emmanuel Macron sur l’Europe ajoute : « On voit bien que sur certains arbitrages, quand on est de sensibilité écologique, on n’est pas très content ». Mais André Gatollin souligne aussitôt que « la fermeture des quatre centrales à charbon, des deux tranches de Fessenheim ou l’abandon de Notre-Dame-des-Landes, ça n’avait pas été fait avant ».
Julien Bargeton, sénateur LREM de Paris, « regrette » aussi le choix de Matthieu Orphelin, mais « pense qu’il aurait été plus utile qu’il reste à l’intérieur ». « Faire de la politique, c’est faire des compromis et soutenir sa famille jusqu’au bout » ajoute Patricia Schillinger. Au groupe LREM du Sénat, l’idée d’un départ n’est clairement pas dans l’esprit des sénateurs. « On n'est que 23, on ne va pas en perdre 1… » sourit l’un de ses membres, « alors qu’à l’Assemblée, à 312, ce n’est pas pareil, c’est plus difficile d’exister ».
« Je comprends l’attitude d’un certain nombre de mes collègues de l’Assemblée qui se sont abstenus »
C’est surtout la question de la loi anti-casseurs, un texte à l’origine déposé par le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, qui semble mal passer chez certains, comme au Palais Bourbon. Là aussi, André Gattolin se pose des questions :
« Sur la loi anti-casseurs, les 50 abstentions montrent qu’il y a débat. C’est aussi un sujet qui n’était pas dans le programme du Président. Personnellement, sur l’article 2 j’ai des doutes sur le fait de confier au préfet, donc encore une puissance administrative, le choix de décider si une personne peut participer ou pas à une manifestation ».
Même doute chez Richard Yung, sénateur LREM (ex-PS) représentant les Français établis hors de France : « A titre personnel, je comprends un peu les réticences sur l’article qui donne au préfet le pouvoir d’interdire de manifester. Je comprends l’attitude d’un certain nombre de mes collègues de l’Assemblée, qui se sont abstenus ». Il met en garde : « Un jour, ça peut être dans les mains d’autorité, de gouvernements, qui ne seront pas animés des meilleures attentions… »
Sous couvert d’anonymat, un autre membre du groupe confie aussi sa gêne : « Cette mesure pose des inquiétudes. Si le RN est au pouvoir un jour et commence à tout interdire, ça peut être très violent… La définition de l’interdiction est large. Ça peut interroger ».
« Nous partageons, pour ceux qui viennent de la famille de gauche, cette volonté d’avoir une dimension sociale »
La question sociale n’est pas non plus absente des réflexions. Michel Amiel, sénateur LREM des Bouches-du-Rhône, ne cachait pas ses critiques sur l’ISF, fin novembre. « La suppression de l’ISF est un vrai cadeau aux très riches » avait-il dit à publicsenat.fr, sans pour autant demander son retour.
Aujourd’hui, il souligne qu’« il faut être attentif sur les mesures qui peuvent être prises pour la réduction des inégalités. Car on en est loin ». « Avec les gilets jaunes, on a quand même lâché 11 milliards d’euros », reconnaît-il. Mais Michel Amiel verrait d’un bon œil de nouvelles mesures qui touchent les plus riches : « Les niches fiscales pourraient être plafonnées pour les plus hauts revenus. Ça pourrait être une piste intéressante », qui vient d’être évoquée par le ministre Gérald Darmanin.
« Nous avons des débats entre nous. Nous sommes force de proposition, nous essayons d’instiller notre petite musique sur tel ou tel texte » explique de son côté le sénateur LREM du Nord, Frédéric Marchand. Cet ancien socialiste aimerait voir le gouvernement marcher davantage sur sa jambe gauche : « Nous partageons aussi, pour ceux qui viennent de la famille de gauche, mais aussi pour d’autres, cette volonté d’avoir une dimension sociale. Et il ne faudra pas rester insensible à ce qui sera dit à l’issue du grand débat national ».
« Equilibre entre des valeurs de gauche et de droite »
Pour André Gatollin, toute l’architecture gouvernementale illustre ce déséquilibre. « C’est vrai qu’on a un président de la République et une majorité parlementaire qui s’est construit plutôt sur un axe centre/centre gauche. Et le fait qu’on ait un gouvernement qui se positionne assez clairement, par ses principaux ministres, au centre droit, pose une question d’équilibre entre des valeurs de gauche et de droite » analyse le sénateur des Hauts-de-Seine, qui croit « à la concertation » (voir la première vidéo).
Pour Richard Yung aussi, il faudrait « certainement » des mesures plus sociales, « en particulier par une politique de rapprochement avec la CFDT ». À cet égard, il « salue l’arrivée de Philippe Grangeon à l’Elysée comme conseiller, qui est assez proche de cette solution ».
Au sein du groupe, on veut voir ces différences d’expressions comme positives. « On a essuyé des critiques pour dire que les groupes LREM étaient béni-oui-oui, la preuve que non » dit-on. « On se dit les choses franchement. Sur la privatisation d’ADP, on a eu un vrai débat en interne sur l’opportunité de le faire » souligne un sénateur marcheur. « Ici on est libre » confirme un autre sénateur LREM. Réaliste, le même ajoute : « On est 23 sur 348. Ce n’est pas notre vote qui va changer quelque chose ! » Les rapports de force sénatoriaux minimisent en effet l’impact d’éventuels désaccords…