Ces attaques et ces menaces violentes ne peuvent être acceptées dans une démocratie parlementaire. Les justifier, voire les encourager comme le font les extrémistes de gauche et de droite est condamnable et ne sera pas toléré.
Par contre, il est nécessaire de dialoguer même avec ceux qui le refusent (CGT) et de chercher des solutions de compromis.
Une année de violences contre les députés La République en marche
Permanences saccagées, domiciles vandalisés, menaces… Retour sur les agressions et intimidations subies par les élus de la majorité en 2019.
Sophie Beaudouin-Hubiere n’a pas oublié son sujet de philosophie du baccalauréat : « Existe-t-il une violence légitime ? » « J’y réfléchis encore », confie la députée de Haute-Vienne, au terme d’une année marquée par plusieurs épisodes de contestations violentes ciblant en particulier les députés de La République en marche (LRM).
Le 21 novembre, cette quadragénaire organise une réunion sur la réforme des retraites à la Maison du peuple de Limoges. « Tu as un comité d’accueil », la prévient un « marcheur » quelques minutes avant le début. La députée sait que la CGT, qui refuse de prendre part au rendez-vous, a prévu de manifester devant ce bâtiment Art déco, également siège historique du syndicat. Elle sort chercher une collègue qui vient coanimer la rencontre. A son retour, impossible de pénétrer dans la salle. Les manifestants lui barrent la route, vivant comme une « provocation » le choix de ce lieu symbolique pour une telle réunion. « Allez camarade, tu peux rentrer mais elle, elle ne peut pas rentrer », lance un militant au chef de file de la CGT locale.
Dans cette manifestation politique somme toute classique, la députée sent qu’autre chose se passe. « Ça commence à ne plus devenir bon enfant, relate-t-elle. Les rires deviennent sarcastiques, les visages se ferment. » Une femme lui saisit brusquement le bras, lui fait faire « trois quarts de tours sur [elle]-même ». « N’oublions pas qu’elle est aussi pour le glyphosate ! », lance la manifestante, en référence au vote plus ancien de la députée contre l’inscription dans la loi de l’interdiction du pesticide. « Les regards haineux, vous ne pouvez pas le décrire », souffle encore la députée en se remémorant la scène.
En décembre, plusieurs réunions publiques sur la réforme des retraites ont ainsi été empêchées de se tenir. « Aucune intimidation ne fera renoncer les députés LRM à dialoguer avec les Français pour construire avec eux leur avenir », a dénoncé Gilles Le Gendre, président du groupe majoritaire de l’Assemblée après l’incident de Limoges. Le 12 décembre, la permanence du député Sacha Houlié, à Poitiers, a été envahie par plusieurs dizaines de manifestants munis de fumigènes, laissant deux de ses salariées en état de choc.
Emoi politique
Une vague d’actions violentes qui en rappelle deux autres. Cet été, un nombre substantiel de permanences de parlementaires ont été dégradées par des membres des Jeunes agriculteurs et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui protestaient contre l’adoption du CETA, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Un mode de contestation classique : au cours de la loi El Khomri, des dizaines de parlementaires socialistes avaient également subi des dégradations.
Mais, durant l’hiver, les domiciles de plusieurs députés ont été visés par des violences d’une autre nature dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ». Comme un symbole, la maison du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a été elle-même la cible d’un début d’incendie volontaire le 9 février, déclenchant un émoi politique. Quelques jours plus tard, à l’Assemblée, il traversait comme chaque semaine la haie d’honneur de la garde républicaine au son des tambours pour rejoindre l’Hémicycle. Exceptionnellement, les huit présidents de groupes parlementaires l’accompagnaient en signe d’unité nationale face à des faits sans précédent.
Quelques mois plus tôt, les deux véhicules de la députée Jacqueline Dubois avaient été incendiés à son domicile en Dordogne, et une quarantaine de « gilets jaunes » avaient pénétré sur la propriété de Mireille Robert dans l’Aude. En Vendée, la maison de l’élue MoDem Patricia Gallerneau – décédée en juillet – avait été emmurée. Des modes de contestation ne visant plus la fonction derrière le député, mais la personne.
« Un système de pression et d’intimidation »
« Dans les phases de colère et de désespoir, vous avez besoin de trouver un exutoire, note Sophie Beaudouin-Hubiere. Ça a toujours été comme ça pour les élus, mais aujourd’hui il y a des limites qui sont franchies par certains. » « Deux ou trois fois sur un rond-point où je discutais avec des “gilets jaunes”, je me suis dit : je vais en prendre une », relate Bruno Questel. Le député LRM de l’Eure a vécu un « choc » avec sa famille un soir de décembre 2018. Des coups de feu ont retenti dans le noir, à quelques pas de son domicile à Bourgtheroulde. Le député a porté plainte. Affaire classée sans suite faute de preuve sur l’identité des auteurs des faits. « Désormais, s’il y a un bruit la nuit, ce n’est plus la même chose », confie le député.
Ce mode opératoire semble avoir inspiré d’autres opposants à la politique du gouvernement. En août, en pleine mobilisation des agriculteurs contre le CETA, le député de la Creuse Jean-Baptiste Moreau découvre des affiches à son effigie, inspirées des avis de recherche des westerns américains. A son visage est accolée l’expression « Wanted ». « Il ne manque plus que le “dead or alive” [mort ou vif] », s’indigne immédiatement l’élu sur Twitter qui accuse à l’époque « l’ultragauche ».
« Le côté no limit du mouvement des “gilets jaunes”, et en même temps le fait que, par la terreur, des choses ont évolué, expliquent peut-être que certains se disent : ça paye si on veut faire bouger les choses », analyse Anne-Laure Cattelot, députée du Nord. Le 12 décembre, sur la départementale 651, un convoi syndical contre la réforme des retraites s’est arrêté devant l’entreprise appartenant à sa famille à Saint-Rémy-Chaussée. L’élue n’est pas présente, mais ses proches lui ont décrit des manifestants « sortis avec des banderoles, un véhicule garé en travers de la barrière de l’entreprise » et installant leur « patator », engin de propulsion à fortes détonations.
Même si aucune dégradation n’est à déplorer, la députée pointe le symbole : « Dans l’histoire politique il n’y a pas eu beaucoup de manifestations devant des bâtiments appartenant à la famille d’un député ! Les manifestants sont venus là pour m’emmerder, me toucher. J’appelle ça un système de pression et d’intimidation. Jamais Anne-Laure Cattelot ne doit être inquiétée, ni ses proches, tout comme je souhaite que jamais mon premier ennemi politique, Marine Le Pen, ni ses proches ne soient inquiétés pour leurs positions. Sinon ça s’appelle un système mafieux ou médiéval. »
« On ne sait plus où sont les limites »
« Dans l’esprit de tout un chacun on est tous pourris, il y a une suspicion de malhonnêteté », déplore Bruno Questel. Les macronistes ne sont pas les premiers à endurer cet antiparlementarisme. Mais les députés perçoivent qu’il s’est accentué avec l’arrivée de nouveaux visages, inexpérimentés en politique et issus d’un parti tout neuf, à l’Assemblée nationale. « Lors des élections de 2017, les citoyens ont fait tout voler en éclat. Peut-être que c’est ce qui libère la parole, on ne sait plus où sont les limites », observe Sophie Beaudouin-Hubiere.
« Le programme n’a pas été débattu au fond à cause de l’affaire Penelope Fillon et du débat Le Pen-Macron qui n’en a pas été un, analyse pour sa part M. Questel. Certains considèrent donc que notre élection est un choix contraint, et qu’à partir de là, on n’est pas légitimes. » Patrick Mignola, président du groupe MoDem de l’Assemblée, va plus loin : « Ceux qui provoquent la violence sont les oppositions de droite et de gauche qui nous ont fait un procès en illégitimité, comme si on avait putsché le pouvoir ! Je comprends qu’ils aient été très mécontents qu’on leur ai piqué leur jouet mais ils ont joué avec le feu. »
« Il y a beaucoup de colère dans le pays. Lorsqu’on envoie des forces de l’ordre contre les grévistes et les manifestants, on attise les tensions, défend pour sa part le député communiste des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville. Evidemment nous sommes tous pour le débat, la confrontation d’idées et le respect de l’intégrité des individus. Cela dit, la majorité a à répondre des choix qu’elle fait. Que des manifestants s’invitent dans des lieux pour faire valoir leur opposition, cela fait partie du rapport de force. »
« Voir sa permanence attaquée, ça n’est jamais agréable, ce n’est pas une pratique souhaitable dans la démocratie, mais c’est le jeu de syndicats contestataires », poursuit Anne-Laure Cattelot qui rappelle que « les maires aussi se font insulter, ou menacer de mort ».
« Aucune violence n’est légitime »
« Le fait qu’on n’ait plus de carrière politique fait qu’on n’est pas blasés et donc plus bousculés par ce type d’action », constate Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée. Le 3 octobre, avec Jean-Baptiste Moreau et Sophie Beaudouin-Hubiere, il est sorti « manu militari » du sommet de l’élevage à Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme) par des opposants au CETA au cours d’un débat sur le traité de libre-échange les traitant de « guignols ». « Ce qui m’inquiète, c’est l’impact des intimidations, que des gens refusent de voter par peur, redoute-t-il. Je n’exclus pas que ça ait été le cas. »
Lors de la ratification du CETA, de très nombreux députés LRM s’étaient abstenus ou avaient séché le vote. « A la marge, on a des collègues que cette violence a f
ortement bousculés. Aucun de nous n’était prêt à ça. Donc oui, certains sont plus prudents », confirme Sophie Beaudouin-Hubiere. Cette petite fille de Résistant garde son sujet de philosophie du bac en tête. « Dans un pays où la démocratie et la liberté d’expressions sont clairement respectées, aucune violence n’est légitime », assène-t-elle. Mais soumis à de fortes tensions, certaines atteignent leur but.