La ministre du Travail annonce, dans une interview accordée aux « Echos », la création d'une « aide exceptionnelle, ciblée sur des personnes qui travaillaient significativement avant la crise », qui devrait concerner 300.000 bénéficiaires, dont 70.000 jeunes.
Les Echos, Par Alain Ruello, Leïla de Comarmond, Publié le 26 nov. 2020 à 06:00
Quel bilan tirez-vous du déploiement du plan jeunes lancé cet été ?
Ce plan se déploie très bien. Sur octobre, 923.000 jeunes ont été embauchés, soit le même nombre que l'année dernière. Les intentions de recours à la prime à l'embauche d'un jeune (jusqu'à 4.000 euros, NDLR) font l'objet à ce stade de 128.000 demandes : près de sept sur dix en CDI, une sur cinq en CDD de 3 à 6 mois et le reste en CDD de 6 à 12 mois. S'y ajoutent les 172.000 demandes de l'aide pour l'embauche d'un apprenti (jusqu'à 8.000 euros, NDLR). Malgré le second confinement , je pense que nous allons battre le record de 353.000 contrats d'apprentissage signés en 2019 dans le secteur privé.
Pour autant Emmanuel Macron a annoncé des moyens accrus pour ce plan. Qu'est-ce qui manque ?
Le plan est bâti sur un principe : tout jeune qui s'engage dans un accompagnement renforcé, une formation ou un parcours vers l'emploi doit pouvoir bénéficier d'une rémunération s'il en a besoin. Nous avons identifié des trous dans la raquette auxquels il faut remédier. On veut en particulier s'assurer qu'il n'y ait pas de rupture dans les parcours parce qu'un jeune n'est plus éligible à une aide financière. C'est le cas par exemple quand on passe de la Garantie jeunes à une prépa-apprentissage. Je vais proposer un élargissement du bénéfice de la rémunération de stagiaire de la formation professionnelle.
Cet élargissement du soutien financier pourrait aussi être étendu aux jeunes en accompagnement intensif par Pôle emploi ou dans le cadre du programme « objectif premier emploi » de l'Apec pour lesquels il n'y a pas de soutien financier actuellement.
À qui devront-ils s'adresser pour toucher cette aide ? Sous quel délai ?
A l'un des acteurs du service public de l'emploi, Pôle emploi, Missions locales ou Apec. Et très vite comme l'a demandé le Président.
Concernant les jeunes étudiants qui se retrouvent en grande difficulté en l'absence de possibilité de travailler, allez-vous aller plus loin que ce qui a déjà été annoncé ?
La ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui est en pointe sur ce dossier a déjà annoncé la création de 1.600 emplois pour lutter contre l'isolement des étudiants . Ce nombre pourrait être augmenté. Tout cela devrait être précisé très rapidement. Le président de la République a été clair : il n'y a pas de temps à perdre.
Emmanuel Macron a également promis une mesure exceptionnelle pour les extras, les saisonniers, les travailleurs précaires, bref tous ceux qui vivent de contrats courts, lesquels ont fortement chuté avec la crise. Vous aviez déjà promis aux partenaires sociaux une concertation express sur le sujet qui n'a toujours pas démarré…
Dans le cas des stations de montagne, j'ai déjà annoncé la possibilité de recruter ceux qui ont une clause de réembauche ou ceux qui ont une promesse d'embauche pour éviter que ces contrats, de quatre mois en moyenne, soient cassés si la saison démarre plus tard.
Plus globalement, malgré une amélioration des chiffres du chômage, les demandeurs d'emploi qui tirent un revenu de contrats courts sont en grande difficulté. Il est important de comprendre que cela concerne des secteurs très différents. J'ai proposé au Premier ministre l'instauration d'une aide exceptionnelle, ciblée sur des personnes qui travaillaient significativement avant la crise même s'ils alternaient période de travail et de chômage, pour leur garantir un revenu de remplacement mensuel minimal.
Cela concernerait combien de personnes ?
Environ 300.000 personnes, dont 70.000 jeunes. Cette aide, individualisée, sera versée par Pôle emploi. Son versement durera le temps que le marché du travail se stabilise.
Comment évolueront les taux de prises en charge de l'activité partielle au-delà du 31 décembre ?
Il est clair que les entreprises fermées administrativement continueront de bénéficier d'une prise en charge totale, sans limitation de durée. Pour le reste, les ajustements seront arrêtés dans la semaine.
Le chef de l'État a annoncé que le télétravail à 100 % allait perdurer jusqu'aux vacances de Noël. Et après ? S'oriente-t-on vers un nombre de jours de travail à domicile obligatoire, comme le dit le président du Medef ?
Le protocole sanitaire concernant les entreprises va continuer à s'appliquer dans ses termes actuels jusqu'aux vacances de Noël. Nous l'avons évoqué avec les partenaires sociaux : un télétravail à 100 % à chaque fois que c'est possible. Pour la suite, on entend tous les difficultés exprimées par de nombreux salariés en télétravail cinq jours sur cinq. Un récent sondage réalisé pour le ministère a montré qu'il restait une marge de progression sur le télétravail mais que six salariés sur dix qui travaillent chez eux à 100 % souhaiteraient revenir sur leur lieu de travail au moins un jour par semaine. Il y a une demande d'un peu plus de souplesse.
Nous allons échanger sur ce point avec les partenaires sociaux lors de notre prochain rendez-vous hebdomadaire, lundi. Nous pourrons discuter avec eux par exemple de la possibilité de permettre aux salariés de revenir au moins un jour par semaine au bureau.
La négociation sur le télétravail s'achève. Que pensez-vous de son résultat ?
Le gouvernement ne peut que se féliciter que les partenaires sociaux aient travaillé à définir un cadre clair de mise en oeuvre du télétravail dans les entreprises d'autant plus nécessaire compte tenu de la situation. Lors de cette négociation, il y aura eu d'importantes évolutions de part et d'autre dont j'espère qu'elles permettront d'aboutir à un accord. Nous avons suivi les discussions avec beaucoup d'attention au vu de l'importance du sujet en contribuant parfois à lever les malentendus et à fluidifier les échanges.
Quelles règles vont devoir respecter les entreprises qui veulent proposer à leurs salariés de se faire tester ?
Il y aura un ajustement du protocole sanitaire en entreprise pour intégrer deux éléments nouveaux. D'une part, les entreprises devront se déclarer en préfecture pour réaliser des tests, d'autre part, les résultats devront être enregistrés sur la plateforme sécurisée SI-DEP (Système d'Informations de DEPistage) qui permet le traçage. Sur la façon dont doit être menée une campagne de dépistage collectif ciblé, les entreprises et les collectivités locales qui souhaitent en organiser peuvent consulter le guide du ministère de la Santé. Il est très complet puisqu'il traite y compris de la fiabilité des tests. Cela dit, nous avons parfaitement conscience que toutes les entreprises n'auront pas la capacité de mener des campagnes, en particulier les plus petites. C'est pourquoi nous continuerons d'organiser des tests par exemple dans les zones d'activité.
Le chef de l'État a annoncé des mesures pour permettre l'isolement des malades du Covid. Seront-ils indemnisés dès le premier jour, réglant ainsi le problème du jour de carence maladie dans la fonction publique ?
Il est trop tôt pour le dire. La réflexion est en cours avec les parlementaires sur le dispositif à mettre en place, y compris les mesures incitatives. Ce que je peux vous dire, c'est que nous souhaitons vraiment que soit respecté l'isolement des personnes malades : c'est une des clefs pour éviter une troisième vague et un troisième confinement.
Les syndicats se sont inquiétés d'un retour des mesures d'assouplissement des durées du travail récemment. Qu'en est-il sur le sujet, et notamment le travail du dimanche ?
Nous avons échangé sur le sujet avec les organisations patronales et syndicales lundi dernier. S'il pouvait y avoir des inquiétudes, notamment concernant les horaires tardifs d'ouverture des magasins, elles ont été levées avec l'instauration d'une fermeture des commerces à 21 heures ce qui empêche de fait le travail de nuit.
Concernant les ouvertures le dimanche, elles sont traditionnellement nombreuses en décembre, dans cette période de fêtes. Certains commerces avaient déjà déposé des demandes, mais d'autres n'avaient pas anticipé. En outre, la réglementation actuelle ne permet pas forcément à tous les commerçants notamment dans les activités de service de fonctionner le dimanche. Je vais donc adresser une instruction aux préfets pour faciliter les demandes d'ouvertures exceptionnelles sur le dernier dimanche de novembre et les quatre dimanches du mois de décembre. Pour la suite, il pourra y avoir des discussions localement s'il y a des demandes.
Où en est le dispositif de reconversion professionnelle pour qu'un salarié puisse retrouver un travail dans un secteur différent ?
Nous sommes en train de le finaliser avec les partenaires sociaux. Comme nous voulons l'expérimenter, nous lançons ce vendredi un appel à manifestation d'intérêt pour les territoires intéressés, d'industrie notamment, dans lesquels une gouvernance fonctionne et qui, pour certains d'entre eux, connaissent les situations que l'on vise. Soit dans un bassin d'emplois des entreprises qui connaissent des baisses d'activité et d'autres qui recrutent. Il faut que des projets soient concrétisés dès le premier trimestre 2021.
Leila de Comarmond et Alain Ruello