Par Louis Mermaz et Richard Yung | Sénateurs PS
Tribune publiée par Rue89
En l’espace de quelques jours, deux nouvelles très importantes ont retenti comme un coup de tonnerre sur notre vieux continent. Les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne viennent de donner leur accord à un "compromis" inique sur la proposition de directive "retour". Le débat n’est pas clos dans la mesure où ce texte doit être discuté dans quelques jours par le parlement européen.
Rarement un projet de directive aura autant fait débat. La controverse est justifiée car il est question d’harmoniser par le bas les législations européennes en matière de rétention et d’expulsion des étrangers en situation irrégulière.
Pour ce faire, deux dispositions totalement inacceptables sont envisagées. Il est proposé, d’une part, que la durée de rétention des étrangers, fixée à six mois -contre trois mois dans le projet initial de la Commission européenne-, puisse être prolongée jusqu’à dix-huit mois en cas de manque de coopération de la part de l’étranger ou en cas de difficultés pour obtenir les laissez-passer consulaires nécessaires à l’expulsion. Sachant qu’en France et dans de nombreux Etats de l’Union les autorités se voient régulièrement refuser la délivrance de ces laissez-passer, il y a fort à parier qu’un nombre conséquent de clandestins inexpulsables seront retenus pendant la durée maximale.
D’autre part, il est prévu de créer une double peine en assortissant systématiquement les décisions d’expulsion d’une interdiction de réadmission d’une durée de cinq ans. Rappelons que dans le projet de la Commission, il ne s’agissait que d’une possibilité laissée à la discrétion de chaque Etat.
Le "compromis" dégagé par la Commission, les Etats et le Parlement européen est encore plus mauvais que le texte adopté en septembre dernier et ne correspond en rien à la vision humaniste des migrations qui est prônée par le Parti socialiste européen (PSE).
D’aucuns prétendent que la mise en œuvre des mesures proposées constituerait une avancée pour les pays où la durée de rétention est illimitée ou supérieure à dix-huit mois. Cependant, ce texte risquerait surtout d’avoir des incidences négatives dans les vingt Etats membres sur vingt-sept qui appliquent une durée de rétention inférieure à dix-huit mois. Par ailleurs, de nombreux Etats membres, dont la France, n’appliquent pas l’interdiction de réadmission telle qu’elle envisagée dans la proposition de directive.
Il est donc à craindre que certains Etats profitent insidieusement de l’effet d’aubaine produit par la directive pour durcir leur législation.
Cette inquiétude est d’autant plus légitime que la conclusion de l’accord entre les vingt-sept fait suite à l’annonce, le 21 mai dernier, par le nouveau gouvernement italien de son intention d’allonger la durée de rétention des étrangers, qui devrait passer à dix-huit mois alors qu’elle est actuellement inférieure à six mois. Pis, il propose de faire de l’immigration clandestine un délit puni de six mois à quatre ans de prison! Silvio Berlusconi n’aura donc pas attendu l’adoption de la directive pour s’en prendre aux immigrés clandestins au nom de la lutte contre l’insécurité et, comble du cynisme, du respect des directives européennes. En Italie, le populisme xénophobe est bel et bien de retour et risque d’essaimer dans toute l’Europe.
Ces deux annonces confirment que les Etats membres s’engagent sur une pente dangereuse, celle de l’institutionnalisation de systèmes répressifs fondés sur l’enfermement des clandestins et la pénalisation du séjour irrégulier. Les dispositions contenues dans le pacte européen sur l’immigration (expulsions collectives, etc.) que la France soumettra à ses partenaires lors de sa présidence de l’Union sont loin de nous rassurer.
La presse internationale s’est d’ores déjà émue de cette évolution dangereuse, qui risque de ternir durablement l’image du vieux continent.
L’Union européenne marche sur la tête. Elle prétend aujourd’hui légiférer sur l’expulsion des étrangers en situation irrégulière alors même qu’il serait plus juste de s’accorder sur les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers qui frappent aux portes de l’Europe. Elle prendrait ainsi toute sa part de la misère du monde.
Les pratiques qui ont aujourd’hui cours en France et dans plusieurs Etats de l’Union, y compris dans ceux qui sont réputés être respectueux des droits de l’homme, ne parviennent pas à endiguer l’immigration clandestine et portent de sévères atteintes à ces droits. Plutôt que de stigmatiser les étrangers par le recours à l’enfermement, ne devrait-on pas plutôt proposer une politique européenne ambitieuse et courageuse ? Celle-ci pourrait par exemple consister à délivrer aux étrangers des visas permettant des allers-retours entre l’Europe et leur pays d’origine. Il pourrait aussi s’agir de fermer les lieux de rétention et de les remplacer par l’assignation à domicile. Une telle solution serait moins traumatisante et respecterait davantage la dignité des étrangers en situation irrégulière tout en leur donnant les moyens de faire valoir leurs droits.
Nous sommes convaincus de l’impérieuse nécessité de mettre en place une législation européenne exemplaire dont pourraient s’inspirer d’autres Etats dans le monde. C’est pour cette raison que nous appelons tous les parlementaires européens à rejeter la proposition de directive "retour".