Le 30 avril 2009, je suis intervenu en séance au nom du groupe socialiste après la communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.
Vous trouverez ci-dessous le compte rendu de mon intervention. Pour le compte rendu intégrale de la communication et des débats, cliquez ici.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le fait d’être le dernier orateur inscrit dans ce débat me permettra de revenir sur certains des points qui ont été évoqués.
Je me réjouis de constater que notre hémicycle se peuple un peu, car il est bien triste qu’un débat d’une telle importance se déroule non pas à huis clos, mais devant un auditoire réduit.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Plus c’est important, moins nous sommes nombreux !
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, le G20 a sans doute été un grand succès en termes de diplomatie et de politique économique. Il a donné un sens au concept de multilatéralisme. Il a montré que nous allons vers un rééquilibrage, qu’il y a non plus une omnipuissance mondiale, mais une foultitude de partenaires. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le nombre des pays et des grandes organisations internationales qui étaient invités. Sans doute faudra-t-il quelque peu institutionnaliser le G20, en veillant toutefois à ne pas sombrer dans le bureaucratisme.
Comme cela a déjà été souligné, la grande absente de ce sommet fut, de sa propre faute, l’Union européenne. Le cœur de tous les vrais Européens a saigné en voyant l’Europe céder la deuxième place à la Chine.
Certes, la Commission manque d’allant, joue petit bras. Certes, le président Barroso traîne un peu la patte. Mais ce n’est pas la seule explication. Cette situation relève aussi du comportement des différents États qui, tels l’Allemagne et la France, ne parviennent pas à s’entendre. Quant au Royaume-Uni, il reste fidèle à lui-même.
En fait, nous nous agitons. Nous sautons sur notre chaise en demandant une politique coordonnée. Mais rien ne se passe !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Cela me rappelle quelque chose !
M. Richard Yung. Oui, le cabri ! (Sourires.)
Il est bien sûr difficile de définir une action commune, car les problèmes de chaque pays sont différents : les importations et la dévaluation compétitive pour l’Allemagne, le marché intérieur, la consommation et la faiblesse de l’appareil de production pour la France, une bulle immobilière gigantesque qui explose pour l’Espagne. Quant à l’Angleterre… c’est l’Angleterre !
Une politique unique ne peut certes pas remédier à des situations aussi diverses. Néanmoins, les États auraient dû coordonner leur action. Il est bien triste de constater que tel ne fut pas le cas.
J’en viens au système bancaire. Le problème des actifs toxiques reste entier. On n’a nettoyé ni le système bancaire mondial, ni le système bancaire américain, ni le système bancaire anglais, même si c’est sans doute dans ce pays que l’on a fait le plus.
De la même façon que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières, tous les pays ont des actifs toxiques, sauf la France ! C’est merveilleux ! Notre système bancaire ne détient pas d’actifs toxiques !
Tout le monde sait bien que tel n’est pas le cas. Du simple fait de la titrisation, outil diabolique, chaque fois que vous achetez des actions, vous acquérez 10 % ou 15 % d’actifs toxiques. En fait, vous ne savez pas exactement ce que vous achetez. Rappelez-vous l’expression de Warren Buffett : « Si je ne comprends pas, je n’achète pas ! »
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Cela ne l’a pas empêché de faire de très lourdes pertes !
M. Richard Yung. Certes, mais il possède tout de même la deuxième fortune mondiale. En tout état de cause, je souscris à ce principe.
Monsieur le secrétaire d’État, la question est de savoir ce que veut faire la France.
En Allemagne, Mme Merkel a institué un double système de structure de défaisance : le premier s’applique aux banques privées qui s’organisent en consortium et sera probablement assorti d’une garantie de l’État ; le second vise les banques des Länder et ne fera pas l’objet d’une garantie de l’État. Ces banques devront donc réaliser leur consortium et prendre leurs responsabilités.
J’admets volontiers qu’un tel modèle n’est pas transposable à la France. Mais c’est un exemple, et je demande au Gouvernement ce qu’il envisage pour nettoyer le système bancaire français.
Il faut, me semble-t-il, redescendre sur terre et revenir à des choses simples. Une banque commerciale a vocation non pas à spéculer, mais à recueillir des dépôts, à les rémunérer au taux normal du marché et à les transformer en prêts à l’économie.
Il est extraordinaire qu’une banque comme Dexia, issue de la fusion du Crédit local de France et du Crédit communal de Belgique, banque de père de famille qui finance les travaux d’assainissement ou d’électricité des communes, se retrouve avec 800 millions d’euros investis dans je ne sais quels produits spéculatifs : les bras m’en tombent !
Les banquiers sont devenus fous ! Il faut revenir à des choses simples.
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Les banques ont été privatisées !
M. Richard Yung. On les a privatisées, et l’argent a rendu les banquiers fous !
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Monsieur Yung, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Richard Yung. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Privatiser ! Nationaliser ! Ne s’agit-il pas de concepts d’un autre temps ?
[Longue digression de M. Philippe Marini]
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Yung.
M. Richard Yung. Mon propos ne portait pas sur la question de la propriété publique ou privée.
Simplement, il ne faut pas tout confondre ! Si l’on veut spéculer, il existe pour cela des structures spécifiques permettant de mesurer le degré de risque que l’on prend, contrairement à ce qui se passe dans d’autres banques, notamment commerciales, dont ce n’est pas la fonction.
M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. L’État lui-même spécule très bien !
M. Richard Yung. Je me limiterai à faire deux autres remarques, compte tenu de mon temps de parole.
Tout d’abord, à l’instar des précédents orateurs, je suis très heureux du renforcement des moyens du FMI, qui est une excellente mesure. Cela dit, il convient dans le même temps de poser le problème des conditions d’octroi des aides du FMI aux gouvernements en difficulté. Par le passé, cela a entraîné beaucoup de problèmes et de malheur, en particulier en Afrique. Le FMI doit avoir une approche souple et ouverte ; c’est le cas maintenant, me semble-t-il, mais il convient de souligner cette nécessité.
Par ailleurs, j’interrogerai le Gouvernement sur les paradis fiscaux. On en a beaucoup parlé, et la liste noire a mystérieusement disparu.
Mme Nicole Bricq, membre du groupe de travail. Elle est devenue grise !
M. Richard Yung. Oui, mais n’y figurent plus que de tout petits poissons, ceux qui ne peuvent pas se défendre ! Les gros n’y sont pas !
Un mandat de négociation a été prévu à l’article 24 des anciens accords du GATT, ou accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Monsieur le secrétaire d’État, ma question est la suivante : comment envisagez-vous la négociation avec les pays qui étaient inscrits sur la liste noire et qui figurent maintenant sur la liste grise ? Je suppose que, après avoir été rayés de la liste, ils partent en courant…
Pour conclure, j’évoquerai la sortie de crise, sujet qui a été abordé par le précédent orateur. Nous espérons tous, bien évidemment, que la crise s’achèvera le plus rapidement possible, car les coûts induits sont gigantesques. Nous ne pouvons même pas concevoir les chiffres en jeu, tellement ils dépassent l’entendement ! Lorsque la croissance reviendra et que les économies seront de nouveau stabilisées, il faudra faire face à tout cela. De quelle manière ? Aurons-nous la force, comme je le souhaite, d’être vertueux ? La tentation de la dévaluation, des jeux de parité, avec, comme corollaire, l’inflation, ce mal terrible qui tue tout le monde, est bien là ! C’est la solution la plus attrayante, car personne ne sent rien. Mais elle est mortelle !
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les réflexions que je voulais vous soumettre. Je n’ai pas de réponse immédiate, mais nous devons à mon avis y penser dès maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –MM. Jean-Pierre Chevènement, Jean-Jacques Jégou et Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)