par Karim Pakzad, Chercheur à l’IRIS
Du 29 août au 1er septembre, le XXIVe Congrès de l’Internationale Socialiste (IS) s’est tenu à Cape Town, en Afrique du Sud, à l’invitation de l’African National Congress (ANC). La présence de près de 160 partis et organisations représentant près de 140 pays, ainsi que celle du président sud-africain, Jacob Zuma, à la tribune du Congrès tout au long de ses travaux, représentaient à l’évidence un succès pour cette organisation. Cependant, les débats qui se sont déroulés lors des réunions de préparation du Congrès, en particulier ceux tenus au sein du Comité financier et administratif (SIFAC) et du Comité éthique – lequel examine les demandes d’adhésion ou de changement de statut d’un membre – mais également les débats développés dans les séances plénières du Congrès, ont révélé au grand jour la crise d’identité que traverse l’IS depuis quelques temps.
L’IS est l’organisation mondiale des partis sociaux-démocrates, socialistes et travaillistes rassemblant actuellement 160 partis. L’origine de cette organisation remonte aux mouvements ouvriers de la fin du XIXe siècle. Mais sa forme actuelle date de sa refondation opérée lors du Congrès de Francfort de 1951. Après l’ONU, elle demeure la plus grande organisation mondiale. Près de 50 de ses membres se trouvent actuellement au pouvoir, comme le Parti socialiste français.
D’une part, à travers ses comités thématiques, cette organisation a contribué aux débats mondiaux portant sur les grandes questions économiques, sociales et environnementales. Mais elle a aussi mené des activités en faveur de la paix dans plusieurs régions du monde. Par exemple, la contribution de l’IS au succès des accords d’Oslo entre les Israéliens et les Palestiniens. Le Parti travailliste israélien et le Fatah palestinien sont aujourd’hui membres de l’IS.
Toutefois, particulièrement depuis la fin des années 1990, une politique d’ouverture non maîtrisée a abouti à l’élargissement « quantitatif » de cette organisation au détriment des critères « qualitatifs », tels que le respect des règles démocratiques et des droits humains, la laïcité, l’opposition à la peine de mort, le droit à l’avortement, etc., qui sont inscrits dans la Charte éthique de l’IS. En plus, cette politique d’ouverture n’est pas accompagnée de sanctions, y compris l’exclusion, à l’égard des membres pris en flagrantes contradictions avec les valeurs défendues par l’IS, sauf dans de rares exceptions.
De surcroît, un fonctionnement insuffisamment transparent aux mains d’une équipe peu encline au changement (le secrétaire général est en poste depuis 24 ans, sans intention de quitter cette fonction de sitôt), vient se rajouter à la crise d’identité de l’IS.
L’onde de choc de la révolution arabe a ébranlé la quiétude de l’IS. Au lendemain de la fuite du dictateur tunisien Ben Ali, de la chute de son semblable égyptien, Hosni Moubarak, mais aussi après l’éviction du président ivoirien, Laurent Gbagbo, le monde a pris connaissance avec stupéfaction que leurs partis respectifs, les RCD, PND et FPI, étaient membres à part entière de l’IS. Cette situation durait depuis plusieurs années, en dépit des mises en garde adressées aux responsables de l’IS par certains partis, dont le Parti socialiste français, notamment sur le maintien du RCD et du PND au sein de l’organisation. A l’initiative des Français, une lettre signée par de nombreux dirigeants des partis européens, maghrébins et d’autres continents avait même réclamé une réforme profonde de l’IS, afin que soit appliquée plus strictement sa charte éthique et soit amélioré son fonctionnement dans la transparence.
En 2011, un groupe de travail avait vu le jour et proposé de profondes modifications du statut et du fonctionnement de l’IS. Cependant, il est vite apparu que la réforme de l’IS ne pouvait être menée à bien avec à sa tête la même direction, responsable en grande partie des dérives de l’IS. Ainsi, quelques semaines avant la tenue du Congrès, une candidature est apparue, en la personne de Mona Sahlin, ancienne présidente du Parti social-démocrate suédois, ancienne responsable syndicale et plusieurs fois ministre. Nul doute que cette candidature aurait pu redonner ses lettres de noblesse à l’IS.
Face à Mona Sahlin, s’opposait le secrétaire général sortant, Luis Ayala, un ancien réfugié politique chilien de l’époque du général Pinochet, symbolisant, aux yeux de beaucoup de partis, non seulement l’immobilisme de l’IS, mais aussi les erreurs que cette grande organisation progressiste a commises sur le plan politique, en particulier vis-à-vis des révolutions tunisienne et égyptienne. Il était soutenu par le président de l’IS, le Grec Georges Papandréou, la majorité des partis d’Amérique Latine et quelques petits partis africains. De son côté, Mona Sahlin avait le soutien des grands partis, majoritairement européens, mais aussi africains, asiatiques, moyen-orientaux (comme le Fatah), nord-américains et maghrébins.
Si, arithmétiquement, le secrétaire général a été réélu avec 46 voix contre 36 pour Mona Sahlin, l’analyse plus approfondie du scrutin révèle une forte contestation sur l’orientation et le fonctionnement de l’IS. Le discours de candidature de Mona Sahlin, réaffirmant avec conviction les valeurs progressistes, a eu un grand écho chez les congressistes. Sans faire véritablement campagne pour son élection, elle a mis en évidence la forte propension chez les grands partis de tous les continents à souhaiter la modification des structures existantes de l’IS afin de l’adapter aux exigences du monde actuel et d’être en mesure de mener une politique de solidarité internationale.
Il est à souligner que le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (ETTAKATOL) tunisien a été promu au statut de membre de plein droit, et les sociaux-démocrates égyptiens à celui de membre consultatif. Mais, en même temps, sous prétexte de raisons administratives, notamment de retard dans le paiement des cotisations, l’exécutif de l’IS a privé de droit de vote certains grands partis tels que le PvdA de Pays-Bas ou encore le SLD de Pologne.
L’année 2013 s’annonce donc comme déterminante pour l’avenir de l’IS et sa vocation à être une organisation mondiale des progressistes. Plusieurs grands partis ont exprimé leur volonté de poursuivre une politique de solidarité internationale active en dehors de l’IS, si cette organisation n’est plus capable de se réformer. La question est désormais posée : l’Internationale Socialiste changera-t-elle ou pas ?