Très bonne critique dan l’OURS du livre de notre camarade Matthieu Séguéla publié chez CNRS Éditions.
LE JAPON DU TIGRE
Les rapports entre Georges Clemenceau et le Japon sont précisément l’objet du travail de Matthieu Séguéla, qui publie une version remaniée de sa thèse sur Clemenceau et l’Extrême-Orient (dirigée par Maurice Vaisse) : 480 pages sur la relation entre un homme et un pays qu’il n’a jamais visité, l’exercice peut sembler difficile voire improbable. Le résultat est pourtant assez convaincant. Il associe en effet une histoire des représentations et une histoire des relations internationales.
L’auteur déconstruit tout d’abord les représentations : celles que Georges Clemenceau se fait du Japon, mais aussi celles de Clemenceau l’Asiatique, dont l’auteur offre un florilège, exhumant les écrits d’Edmond de Concourt, Édouard Drumont, Max Nordau, Ernest Judet, Georges Bernanos, Roger Martin du Gard ou Léon Daudet... Matthieu Séguéla étudie aussi la bibliothèque de Clemenceau. Il souligne notamment l’importance de la lecture du géographe anarchiste Élisée Reclus dans la connaissance qu’a Clemenceau de l’Extrême-Orient. L’homme politique français pratique aussi l’art de la collection, devenant l’un des praticiens du japonisme, que cet amoureux de l’impressionnisme considère aussi comme un avant-gardisme. Le radical épris de science admire aussi le rationalisme et la modernisation du Japon depuis l’ère Meiji. Des éléments de biographie personnelle interviennent enfin. Le premier est son séjour états-unien de 1865 à 1869. C’est en Amérique qu’il appréhende la place du Japon dans l’aire Pacifique et plus largement dans le monde.
L’AMI SAIONJI
Le second est la rencontre, à Paris, d’un étudiant japonais de bonne famille, avec qui il se lie d’amitié, Saionji. Coïncidence de l’Histoire, celui-ci devient, au nom du parti libéral, chef du gouvernement japonais du 7 janvier 1906 au 14 juillet 1908 et du 30 août 1911 au 21 décembre 1912. L’arrivée au pouvoir des deux hommes est donc presque simultanée puisque c’est en 1906 aussi que Georges Clemenceau accède pour la première fois à la présidence du Conseil. Saionji participe encore aux négociations internationales après la Première Guerre mondiale. L’histoire des relations internationales constitue précisément le second thème majeur de ce livre. C’est sous le gouvernement des deux amis, Clemenceau et Saionji, qu’est conclu l’arrangement franco-japonais du 10 juin 1907, qui permet de normaliser les relations entre les deux pays, la France alliée de la Russie et le Japon récent vainqueur de celle-ci. L’accord offre aussi la possibilité de laisser les mains plus libres à la France en Indochine... Matthieu Séguéla décrit ensuite par le menu les tentatives de Clemenceau pour faire intervenir le Japon aux côtés des Alliés pendant la guerre mondiale, avec un succès globalement limité. Il montre ensuite la place seconde du Japon à la Conférence de la Paix. Ces derniers éléments montrent la limite d’une relation entre ces deux pays lointains au début du XXe siècle, mais illustrent les potentialités d’anticipation de telles alliances et d’un rapprochement culturel (sinon à l’époque économique) entre Europe et Extrême-Orient, perspective que l’on peut relire à l’aune de la mondialisation survenue depuis. Comme Le Monde selon Clemenceau, cet ouvrage illustre aussi la grande curiosité d’esprit de l’un des principaux acteurs de l’histoire politique française.