L’ambassadeur des droits de l’homme pratique une diplomatie de convictions.
(La Chronique d’Amnesty International, octobre 2017 - Propos recueillis par Jean Stern.)
Parcours
1966, Naissance à Paris.
1988, Entre au ministère des Affaires étrangères. Premier poste à Kinshasa.
1994, Mission européenne d’observation des premières élections libres en Afrique du Sud.
2010, Sous-directeur pour l’Amérique du Nord au Quai d’Orsay.
2013, Directeur de cabinet du ministre délégué chargé du Développement.
2014, Directeur de l’Institut français de Londres.
On va fêter, en 2018, le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourquoi la France, qui en est le pays d’origine et fut celui de son lancement, a-t-elle besoin d’un ambassadeur pour l’incarner ?
François Croquette - C’est essentiel d’avoir dans notre réseau diplomatique un ambassadeur qui coordonne l’action sur les sujets de droits de l’homme. Ce poste existe depuis une bonne quinzaine d’années au sein du ministère des Affaires étrangères, afin que les personnes qui travaillent sur ces questions, et elles sont nombreuses, puissent se parler et coordonner leurs efforts.
Vous occupez ce poste d’ambassadeur des droits de l’homme depuis février 2017 après avoir exercé diverses fonctions diplomatiques. Quelle est la spécificité de votre poste actuel ? Comment travaillez-vous ?
Ce poste dont je suis très fier, est l’aboutissement de vingt-cinq ans de carrière au cours desquels j’ai eu l’occasion, de m’intéresser de près aux droits de l’homme, sur le terrain, comme à Kinshasa en ROC, à Moscou en Russie, auprès de ministres, comme Pascal Cantin au Développement, ou du président du Sénat, Jean-Pierre Bel. Dans ces différentes fonctions, la dimension des droits de l’homme a toujours été essentielle, y compris lorsque j’étais en charge de l’Institut français à Londres. C’est pour moi un fil rouge. Je peux aujourd’hui le conjuguer avec mon engagement personnel. Ce n’est un secret pour personne : je suis militant d’Amnesty International depuis vingt-cinq ans. Donc il s’agit aussi d’un aboutissement personnel. Nous sommes une petite structure, mais nous nous appuyons sur le réseau du ministère. Et mon long compagnonnage avec Amnesty et d’autres organisations de défense des droits de l’homme facilite les choses. Je crois à une forme de complémentarité entre l’action des ONG et celle du ministère des Affaires étrangères, sur le terrain et à Paris.
Un portrait de Mandela sur la façade du quai d’Orsay ouvre votre page Facebook. Quel est pour vous la portée du message de Mandela ?
Mandela représente pour moi plus qu’une icône. J’ai eu la chance de le rencontrer lors de sa première visite à Paris, puisque je suivais l’Afrique du Sud au Quai d’Orsay. En le raccompagnant à Roissy à l’issue de sa visite, j’ai été frappé de sa curiosité au sujet de notre pays. Nous avions croisé en traversant Paris une manifestation de lycéens et d’étudiants qui protestait contre une réforme. Il m’a interrogé sur leurs motivations, mais aussi sur les forces de police qu’il voyait déployées. Cela résume bien l’homme qui ne s’est jamais contenté de son statut d’icône. Il est resté accessible, sachant se mettre au niveau des préoccupations des gens.
Deux choses caractérisent la lutte contre l’apartheid, la non-violence sur le terrain et le recours aux opinions occidentales via le boycott des produits sud-africains. Que peuton retenir de ce message politique ?
Quand Mandela a été arrêté en 1964, c’était pour sa participation à la lutte armée. Un cheminement l’a amené à la non-violence, à prôner justice et réconciliation. On a beaucoup à apprendre de cette histoire, y compris en termes d’instruments pour défendre les droits de l’homme. Le boycott a été l’une des clés de la chute de l’apartheid. Il a été politiquement discuté à l’époque, le Royaume-Uni de Margaret Thatcher étant très réticent. On dit souvent que le boycott est dépassé, avec les nouveaux enjeux de la mondialisation. Mais il reste l’une des armes possibles qu’il ne faut jamais totalement écarter lorsque l’on est confronté à des situations de blocage total, d’absence de dialogue, avec le préalable absolu de la non-violence. Pour moi, dans un contexte donné, le boycott a fonctionné et a contribué au démantèlement de l’apartheid.
Y a-t-il d’autres ambassadeurs des droits humains dans le monde, et comment travaillez-vous ensemble ?
On n’est pas très nombreux ! Mais oui, cette fonction existe dans quelques pays européens, pas tous, et au-delà. C’est le cas des pays scandinaves, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Suisse, du Canada, de l’Argentine. Il y a aussi un « envoyé spécial » aux États-Unis, mais le poste est vacant pour le moment. Cela forme un embryon de réseau, qui permet de travailler à des projets conjoints. Il y avait aussi un ambassadeur pour les droits de l’homme en Russie, mais qui n’avait évidemment pas le même rôle dans le système russe actuel. Ce petit club se réunit deux fois par an, au niveau européen, et peut aussi échanger plus rapidement. La difficulté consiste à trouver un terrain d’entente, ne pas dupliquer des procédures et des institutions existant déjà, notamment en Europe. Mais l’arme qui nous est commune, c’est la souplesse. On peut être amenés à agir rapidement, et c’est une des plus-values que nous pouvons apporter.
N’avez-vous pas le sentiment parfois, de servir de caution à des politiques que vous n’approuvez pas forcément ?
Si c’était le cas, je ferais autre chose.
Dans la lutte contre le terrorisme, comment protéger à la fois les droits humains et les Libertés individuelles ?
L’équilibre entre sécurité et liberté est un sujet majeur. L’essentiel, est bien, au final de trouver un point d’équilibre pour préserver ce qui fait le socle de nos libertés publiques. La France est un État de droit et le restera. Je crois qu’il y a des institutions et des contre-pouvoirs - la presse, l’opposition - très attentifs à cet équilibre. Cela fait partie de notre force démocratique. L’important est de pouvoir parler de cet équilibre. Je le ferai dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) qui a été mis en place par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, auquel se soumettra la France en 2018. Ce sera pour nous l’occasion de répondre aux questions posées, et d’entendre d’éventuelles objections. Cette revue par les pairs est une avancée d’un système onusien qu’on a tendance parfois à critiquer pour sa lenteur et son impuissance.
Les gouvernements n’ont peut-être pas su expliquer aux opinions en quoi consiste l’EPU...
C’est vrai que la procédure reste un peu confidentielle, mais elle existe. Nous la prenons très au sérieux ici en France. Cela fait l’objet d’une concertation au niveau interministériel, mais également avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui nous fait des observations dont nous devons tenir compte dans la préparation du rapport soumis au Conseil des droits de l’homme. C’est un processus étalé sur plusieurs mois, et pour nous, l’occasion de revenir sur un certain nombre de difficultés. Nous constatons alors que nous avons pu apporter des réponses et que parfois nous sommes encore en retard. La piqûre de rappel est toujours utile. La question de la surpopulation carcérale en France revient régulièrement sur la table, et c’est à nous de prendre enfin en compte les remarques qui nous sont faites.
D’une manière plus large, de nombreux acteurs des droits humains, comme le Secrétaire général d’Amnesty Salil Shetty, pensent qu’on ne peut isoler la question des droits humains de celle de la justice sociale et des inégalités. Qu’en pensez-vous ?
Dans mon parcours, j’ai été amené à traiter des questions de développement, de changement climatique. Il me semble évident que c’est un continuum qui doit être traité comme tel. Cela vaut également pour la question de la pauvreté, que la France, historiquement, essaye de porter. Elle a récemment fait adopter une résolution sur l’extrême pauvreté au sein du Conseil des droits de l’homme. C’est ce qui a permis, à mon sens, le succès de la Cop 21 à Paris. Si on a pu réunir autant d’intérêts aussi divergents, c’est grâce à une prise -, de conscience de l’interdépendance entre ces problèmes, une prise en compte nouvelle de ce continuum. Après il faut le faire vivre. Il faut à la fois être réaliste et très ambitieux, mais ne jamais perdre de vue que ces problématiques de développement et de pauvreté, de lutte contre le changement climatique doivent être intégrées dans notre projet sur les droits de l’homme.
Les lois contre les ONG se multiplient dans de nombreux pays, au risque d’étouffer les sociétés civiles.
C’est une vraie préoccupation et vous avez raison de pointer ce qui est, à mon sens, une forme de matrice qui se reproduit dans un certain nombre de pays. Les dispositions législatives encadrant de façon très stricte le fonctionnement des ONG ont clairement pour but de les empêcher de fonctionner. Ces différentes lois, - en Russie, en Hongrie, en Chine, en Égypte, en Israël - ont la même philosophie. Pour s’opposer à cette dérive, nous sommes intervenus publiquement par exemple en Russie, notamment à propos de l’association Femmes du Don, dont la dirigeante, Valentina Tcherevatienko, a été la première à être inculpée au titre du financement par l’étranger des ONG. Pour l’instant, les poursuites sont abandonnées·, donc je crois que l’on peut être efficace. Il faut intervenir aussi bien en privé qu’en public pour faire connaître nos désaccords sur la stigmatisation du combat essentiel de la société civile. Je m’y emploie à chaque fois que je me déplace à l’étranger, Je rencontre quand c’est possible ces ONG pour affirmer notre soutien au travail de fourmi qu’elles mènent. Faire savoir notre soutien à la société civile est une partie essentielle de mes fonctions.
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La France accueille les Tchétchènes victimes de persécutions homophobes
Quelles sont les informations dont vous disposez sur la situation des LGBT en Tchétchénie ? Que pouvez-vous faire pour eux ?
François Croquette - C’est une politique de persécutions qui a été décidée, basée sur le ciblage et au final la liquidation d’une partie de la population au nom de critères, en l’occurrence l’orientation sexuelle. C’est gravissime et je crois sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe ou aux marges de l’Europe. Lorsque l’alerte a été déclenchée, grâce au travail de journalistes russes qui ont pris des risques énormes pour collecter les témoignages issus de cette république de Russie difficile d’accès et dangereuse pour les journalistes et les ONG, le ministre des Affaires étrangères s’est rapidement exprimé. L’Union européenne a relayé ses inquiétudes. Nos moyens d’action sont limités par le fait que nous nous trouvons sur le territoire de la Fédération de Russie. Nous demandons aux autorités russes de faire respecter les libertés fondamentales qu’elles se sont en principe engagées à protéger. Cela fait l’objet d’un dialogue robuste, qui se poursuit et n’exclut pas les prises de positions publiques. Lorsque le président de la République a reçu M. Poutine à Versailles, il lui a exprimé l’inquiétude forte suscitée par une telle politique. Les effets sont très difficiles à mesurer. Je pense que dans un premier temps cela a au moins ralenti ce qui semblait être une vague d’arrestations, de tortures et probablement d’exécutions. Cela ne l’a pas stoppée. Nous avons des informations sur le fait que la situation reste extrêmement précaire.
Est-ce que la France, et un certain nombre de pays européens, ont la capacité aujourd’hui d’accueillir des réfugiés LGBT tchétchènes ?
Oui, et nous le faisons à la mesure de nos moyens, mais la France prend sa part dans ce travail essentiel. Nous pouvons le faire, et j’insiste sur ce point. Grâce à l’action des ONG russes, des réseaux de solidarité mis en place pour venir en aide aux victimes de ces persécutions et qui ont approché quelques ambassades pour leur demander d’accueillir un certain nombre de ces personnes, je me suis rendu à Moscou pour les rencontrer. Je ne peux pas entrer dans plus de détails pour préserver l’identité et la sécurité de ces victimes. Il est essentiel qu’elles puissent témoigner dans des conditions de grande sécurité sur ce qu’elles ont vécu. Dans ce contexte, nous avons été amenés à délivrer des visas dans des conditions exceptionnelles pour permettre à des victimes de se rendre en France et de demander l’asile. Nous accueillons, et nous continuerons d’accueillir, des victimes des persécutions homophobes commises en Tchétchénie.