L’Ambassadeur François Chih-Chung Wu, Représentant de Taiwan à Paris, m’a adressé le courrier ci-dessous au sujet du discours de Xi Jinping prononcé à Pékin le 02 janvier 2019, vis-à-vis de Taïwan. On ne peut effectivement que s’inquiéter des propos menaçant du Président de la République Populaire de Chine vis-à-vis de Taïwan.
+ + + * * * * * ++ +
Monsieur le Sénateur,
Il ne vous aura sans doute pas échappé la teneur menaçante des propos tenus par le Président chinois Xi Jinping, vis-à-vis de Taïwan, lors de son discours prononcé à Pékin le 02 janvier 2019.
Je vous fais parvenir, sous ce pli, pour information, un article du Monde qui résume honnêtement le contenu des déclarations du dirigeant chinois et celui de la réponse apportée par la Présidente taïwanaise TSAI Ing-Wen ainsi qu’un document clarifiant la position de nos autorités.
Mon Gouvernement déplore la volonté affichée de la Chine de nier la réalité politique existant entre les deux rives et n’entend pas céder à ses injonctions ni à ses menaces pas plus que de subir son idéologie politique totalitaire. Taïwan est fondamentalement attaché aux principes démocratiques, aux libertés et aux droits de l’Homme et ce sont sur ces bases seules que les conditions d’un dialogue « pacifique » pourront être réunies.
Je vous remercie par avance de tout le soutien que vous pourriez nous apporter pour que les valeurs démocratiques qui fondent la société taïwanaise ne soient pas foulées au pied par un régime qui menace ouvertement les citoyens de Taïwan et qui fait peser, de surcroit, de lourdes incertitudes sur la paix et la stabilité dans la région Asie-Pacifique. Je reste bien entendu à votre entière disposition pour toute information complémentaire.
Avec mes remerciements anticipés et en l’attente d’avoir l’honneur de vous revoir, je vous prie d’agréer, Monsieur le Sénateur, l’expression de ma haute considération.
Amb. François Chih-Chung WU
Représentant
+ + + * * * * * ++ +
Le président chinois « n’exclut pas » la force pour récupérer Taïwan
Xi Jinping a proposé un système similaire à celui de Hongkong pour réunifier Taïwan à la Chine populaire, mais a essuyé un refus net de la présidente taïwanaise.
Par Simon Leplâtre Publié le 02 janvier 2019 à 18h23 - Mis à jour le 02 janvier 2019 à 20h44
Pour récupérer Taïwan, la Chine est prête à tout, y compris à utiliser la force, a menacé le président chinois, Xi Jinping, mercredi 2 janvier. Lors d’un discours au Palais du peuple, à Pékin, le chef de l’Etat a proposé une solution à « un pays, deux systèmes » pour Taïwan, sur le modèle de Hongkong. Pas de quoi rassurer les Taïwanais, attachés au statu quo dans leurs relations avec ce voisin puissant et autoritaire. Peu après le discours du président chinois, son homologue taïwanaise, Tsai Ing-wen, a répondu fermement : hors de question pour Taïwan d’accepter une unification aux conditions chinoises.
Le discours de Xi Jinping célébrait l’anniversaire du dégel, en 1979, des relations entre la Chine communiste et la République de Chine, nom officiel de Taïwan depuis la fuite des nationalistes chinois sur l’île du sud de la Chine, après leur défaite face aux communistes, en 1949. Un événement que le président chinois décrit comme un accident de l’histoire, destiné à être réparé : « La question taïwanaise a pour origine la faiblesse de la nation », a-t-il avancé. La réunification « est une nécessité pour le retour en force de la nation chinoise dans la nouvelle ère », a-t-il ajouté.
S’il n’a pas défini de calendrier, le président de la République populaire de Chine et secrétaire général du Parti communiste a affirmé que les divisions politiques entre la Chine et Taïwan « ne peuvent pas être transmises de génération en génération », insistant sur les « liens du sang » qui unissent les Chinois et les « compatriotes de Taïwan ». Le numéro un chinois a pourtant réitéré la possibilité de recourir à la force pour reprendre l’île. « Nous ne promettons pas de renoncer au recours à la force et nous nous réservons le droit de prendre toutes les mesures nécessaires », a-t-il déclaré, provoquant les applaudissements des délégués du comité permanent de l’Assemblée nationale populaire.
« Valeurs démocratiques »
La veille, Tsai Ing-wen avait demandé à la Chine de respecter Taïwan : le gouvernement chinois « doit répondre à nos différends de manière pacifique et nous traiter d’égal à égal », avait-elle déclaré lors de ses vœux. Mais après le discours de Xi Jinping, elle a de nouveau pris la parole lors d’une conférence de presse pour insister : « Le peuple taïwanais chérit les valeurs démocratiques, c’est son mode de vie ». « Si le gouvernement chinois ne traite pas son peuple avec bienveillance, ne peut garantir les droits de l’homme et s’il ne laisse pas son peuple voter… alors les Taïwanais verront avec suspicion les intentions de la Chine », a ajouté le ministère taïwanais des affaires étrangères dans l’après-midi.
Le président chinois a proposé aux Taïwanais la solution « un pays, deux systèmes », inspirée de la formule définie par Deng Xiaoping lors de la rétrocession de Hongkong à la Chine, en 1997. Mais cet exemple fait plutôt figure d’épouvantail pour Taïwan : « “Un pays, deux systèmes” paraît assez illusoire, vu la situation à Hongkong, où les libertés individuelles sont sous pression, estime Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’université baptiste de Hongkong. Le discours de Xi Jinping est à mon avis très décalé par rapport à la réalité taïwanaise : il ne prend pas en compte le fait que la République de Chine reste présente, avec son drapeau, sa monnaie, son armée… C’est un Etat, la situation ne peut pas être comparée à celle de Hongkong ou de Macao. »
Taïwan n’a jamais déclaré son indépendance, d’où son statut ambigu : le territoire a tous les attributs d’un Etat, mais n’est reconnu que par une poignée de petits pays, que Pékin s’attache à ramener un par un dans son giron.
La Chine n’a cessé de renforcer sa pression sur Taïwan, depuis l’arrivée au pouvoir en 2016 de Tsai Ing-wen, la présidente issue du Parti progressiste démocratique, plus frileux à l’égard de Pékin que le Kouomintang, au pouvoir avant elle. Tsai Ing-wen s’est attiré les foudres de Pékin pour avoir refusé de reconnaître le « consensus de 1992 », un accord sur le fait qu’il n’existe qu’une seule Chine, mais qui laisse ouverte la question de savoir de quelle entité politique il s’agit. Depuis, Pékin a multiplié les mesures de rétorsion, à la fois diplomatique, militaire et économique, alors que la Chine absorbe plus de 30 % des exportations taïwanaises.
La « main tendue » par Xi Jinping ne devrait rien arranger, tant les conditions de son appel au dialogue sont restrictives. « La proposition de dialogue démocratique n’est ouverte qu’aux forces politiques qui acceptent le principe de la Chine unique et le “consensus de 1992”. Cela ferme le dialogue à la moitié de l’échiquier politique, donc cela n’a aucun sens, pointe Jean-Pierre Cabestan. Il y a un grand décalage entre le discours, les garanties offertes aux Taïwanais et la réalité. Et là où le discours est très faible, c’est sur le processus de rapprochement. »
A Taïwan, les sondages d’opinion montrent qu’une majorité de Taïwanais continuent de préférer le statu quo, tandis que les partisans de l’unification, comme de l’indépendance, restent très minoritaires.
+ + + * * * * * ++ +
Notre point de vue suite [du gouvernement taïwanais] au discours du Président Xi Jinping à l’occasion du 40ème anniversaire du « Message aux compatriotes de Taïwan » de la Chine
1. Les demandes de Taïwan
Le 2 janvier, le Président Xi Jinping a prononcé un discours pour commémorer le 40ème anniversaire du « Message aux compatriotes de Taïwan » de la Chine, avec l’intention d’imposer aux Taïwanais le prétendu « principe d’une seule Chine » ainsi que le concept « Un pays, deux systèmes ». Il a aussi déclaré que la Chine n’avait pas renoncé à l’usage de la force contre Taïwan. Non seulement cette déclaration ne tient pas compte de l’existence de la R.O.C. (Taïwan), mais elle omet le fait que les deux côtés sont administrés par deux gouvernements différents. Dans le même temps, la Chine refuse d’admettre la forte opposition de la population de Taïwan au principe « Un pays, deux systèmes ». Compte tenu de l’impact négatif du discours du Président chinois sur la paix et la stabilité dans ta région Asie-Pacifique, la communauté internationale observe ses effets avec attention.
Le gouvernement de la R.O.C. (Taïwan) exhorte les autres pays à conserver des relations actives avec Taïwan et à appeler à une résolution pacifique de la question des relations entre les deux rives du détroit à chaque fois que l’occasion s’en présente. Taïwan souhaite coopérer étroitement avec les pays qui partagent les mêmes idées pour mieux assurer la paix, la stabilité et la prospérité de la région Asie-Pacifique.
2. La position de Taïwan
2.1 Le refus de la Chine de renoncer à l’usage de la force contre Taïwan a un effet négatif sur la paix et la stabilité de la région Asie-Pacifique :
Ces dernières années, la Chine n’a cessé de renforcer ses capacités militaires, menaçant ainsi les pays de la région. Elle a aussi envoyé des avions et des navires militaires autour de Taïwan, faisant d’elle le pays qui brise le statu quo et qui crée des problèmes. De telles actions violent le principe de la Charte des Nations unies qui consiste à user de moyens pacifiques pour résoudre les différends internationaux.
2.2 Les pressions chinoises contre la population de Taïwan violent les valeurs fondamentales de démocratie, de liberté et de droits humains tout en étant contraire à sa volonté :
Taïwan partage avec de nombreux autres pays le respect de la démocratie, de la liberté, des droits de l’homme, de la liberté religieuse et d’autres valeurs fondamentales. Au fil des ans, la Chine autoritaire n’a cessé de bafouer les droits humains, la liberté religieuse et d’autres valeurs fondamentales, sapant gravement la Déclaration universelle des droits de l’homme.
2.3 Le prétendu « principe d’une seule Chine » ignore la réalité :
La R.O.C. (Taïwan) est un pays indépendant et souverain qui compte 17 alliés diplomatiques et qui a développé des relations substantielles avec la plupart des autres pays dans le monde. Dire que le « principe d’une seule Chine » obtient le consensus de la communauté internationale est totalement faux. Parmi les 178 alliés diplomatiques de la Chine, seuls 51, donc moins d’un tiers, ont reconnu pleinement et explicitement le prétendu « principe d’une seule Chine » dans leurs communiqués diplomatiques respectifs ou autres documents établissant les relations avec la Chine. Les Etats-Unis, le Japon, les membres de l’Union européenne et d’autres importantes démocraties avancées dans le monde ont leur propre « politique d’une seule Chine » et n’acceptent pas le « principe d’une seule Chine » proclamé par la République populaire de Chine. Témoignant devant le Congrès américain, le secrétaire d’Etat adjoint d’alors James Kelly avait clairement précisé que la « politique d’une seule Chine » des Etats-Unis n’était en aucun cas le même que le « principe d’une seule Chine » de la République populaire de Chine. Avec son propre processus de démocratisation, Taïwan possède son propre Président et son propre Parlement élus démocratiquement, ainsi qu’une presse riche et diversifiée qui jouit d’une totale liberté. Taïwan possède sa propre armée, conduit ses propres affaires étrangères de manière indépendante, frappe sa propre monnaie, édite ses propres passeports et visas, tout en exerçant une juridiction absolue et exclusive sur son propre territoire. Taïwan n’est en aucun cas une partie de la Chine.
2.4 Taïwan continuera de travailler au respect du statu quo dans le détroit et à l’amélioration des relations entre les deux rives :
Tout en approfondissant ses liens avec les autres pays démocratiques, Taïwan n’a pas l’intention de s’éloigner de la Chine. Depuis son entrée en fonctions, la Présidente Tsai Ing-wen n’a eu de cesse de montrer sa bonne volonté envers la Chine. En retour, la Chine a séduit cinq des alliés diplomatiques de Taïwan, et des avions et des navires de l’Armée populaire de libération ont fait régulièrement le tour de Taïwan comme moyen d’intimidation. La Chine continue de faire obstacle à la participation de Taïwan à des organisations internationales, a eu recours à la désinformation pour s’immiscer dans les élections taïwanaises et dans des débats électoraux sensibles, et elle n’est pas capable de coopérer en fournissant les détails de sa réponse à l’épidémie de fièvre porcine africaine, contrairement aux termes des accords inter-détroit existants. Ces actions ont endommagé gravement l’impression du public taïwanais vis-à-vis de la Chine, dont l’attitude arrogante et entêtée n’a fait que rendre les deux rives du détroit un peu plus éloignées l’une de l’autre.
2.5 L’existence d’un Taïwan démocratique est en phase avec l’intérêt commun de la communauté internationale :
Taïwan est un partenaire de confiance, un succès démocratique, et une force du bien dans le monde. Dans un monde toujours plus connecté, les pays devraient ignorer le prétendu « principe d’une seule Chine » ainsi que le concept « Un pays, deux systèmes » de la Chine qui nuisent à leur propre intérêt national et renforcer les interactions avec Taïwan.