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Je me suis retiré de la vie politique à la fin de mon mandant en septembre 2021, je partage désormais mes réactions, points de vue, réflexion sur https://www.richardyung.fr

Merci de votre visite.

Richard Yung
Octobre 2021

Le 20 mai, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l’audition de Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), et John Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies (Africa CDC), sur l’aide publique au développement (APD) en Afrique face à la pandémie de COVID-19.

J’ai notamment interrogé M. Rioux sur les mesures de soutien aux entreprises africaines, dont celles détenues par des Français établis hors de France. Il m’a indiqué que l’AFD a proposé au Gouvernement de renforcer le dispositif ARIZ (Accompagnement du risque de financement de l’investissement privé en zone d’intervention), qui permet à Proparco (filiale de l’AFD dédiée au secteur privé) de proposer à plus de cent institutions financières privées une garantie pour couvrir un prêt individuel ou un portefeuille de prêts aux PME (jusqu’à 50%) ou aux institutions de microfinance (jusqu’à 75%). Ce dispositif est utilisé dans une quarantaine de pays (Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine, Asie).

Vous trouverez, ci-dessous, des extraits du compte rendu de l’audition.

M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons ce matin le Docteur Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies (CDC Afrique), et M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), pour parler de la crise du Covid-19 en Afrique.

Docteur Nkengasong, vous jouez un rôle éminent dans la lutte contre l’épidémie. Nous souhaitons que vous dressiez le bilan de l’épidémie en Afrique. Selon vous, le répit relatif dont le continent jouit sur le plan sanitaire va-t-il se poursuivre au cours des prochains mois ? L’Afrique va-t-elle échapper à la catastrophe tant redoutée ?

Monsieur Rioux, l’AFD a été chargée de déployer le plan « Covid-19 - santé en commun » dans le cadre de l’initiative décidée par le Président de la République et par ses pairs africains. Pouvez-vous nous présenter plus précisément cette enveloppe de 1,2 milliard d’euros en détaillant vos projets, la part des prêts et celle des dons ? Pour davantage d’efficacité, avez-vous raccourci les délais d’instruction et de préparation de ces actions ? Globalement, que fait l’AFD pour renforcer les systèmes de santé des pays africains ? Cette crise ne réoriente-t-elle pas la manière dont l’AFD conçoit notre aide à l’Afrique, sachant que le texte de loi censé apporter diverses précisions à cet égard est manifestement repoussé ?

Dr John Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies. - La pandémie de Covid-19 nous a montré à quel point le monde est interconnecté : il s’agit d’une crise mondiale, qui exige une solution mondiale par le biais de la solidarité mondiale. La présence de Covid-19 dans un pays, quel qu’il soit, est une menace terrible pour tous les autres pays du monde : c’est pourquoi nous ne pouvons pas laisser cette pandémie s’installer en Afrique, continent de quelque 1,3 milliard d’habitants.

À ce jour, 54 pays d’Afrique ont signalé, au total, environ 88 000 cas de Covid-19 et 2 800 morts. Entre cette semaine et la précédente, le nombre de cas a augmenté de 30 %. Les cinq régions d’Afrique ont été touchées de manières très différentes ; on observe également de fortes disparités au sein de chaque région.

En Afrique du Nord, on a enregistré 28 000 cas. L’Algérie, l’Égypte et le Maroc sont très touchés ; la Tunisie compte environ 1 000 cas.

L’Afrique de l’Ouest totalise environ 25 000 cas, dont 2 000 en Côte d’Ivoire, 6 000 au Ghana, 6 000 au Nigeria et 2 500 au Sénégal. Cette région est toujours en pleine phase d’augmentation.

En Afrique australe, on dénombre 17 000 cas, dont 16 000 en Afrique du Sud.

L’Afrique de l’Est représente quelque 9 000 cas, dont 1 600 à Djibouti, 900 au Kenya, 1 500 en Somalie - ce pays inspire de vives inquiétudes - et 2 500 au Soudan.

En Afrique centrale, on a enregistré environ 8 000 cas. Le Cameroun arrive en tête, avec 3 500 cas, suivi de la République démocratique du Congo (RDC) - 1 600 cas - et du Gabon - 1 400 cas.

Quelle est notre stratégie ? Le 14 février dernier, le continent a constaté son premier cas, en Égypte. Le 22 février suivant, la commission de l’Union africaine, par l’intermédiaire du CDC Afrique, a convoqué une réunion d’urgence de tous les ministres de la santé du continent. Ces derniers ont élaboré une stratégie continentale fondée sur la coopération, la nécessité de collaborer et la nécessité de coordonner nos efforts.

Grâce à cette stratégie, nous avons rapidement pu établir des diagnostics en laboratoire : à l’origine, seuls deux pays avaient cette capacité ; dès le mois de mars, le nombre était porté à quarante-trois.

À ce jour, nous avons formé environ 4 000 cliniciens à la gestion du Covid-19. En outre, trente-neuf pays ont bénéficié de formations quant aux mesures de prévention et de contrôle des infections. Environ trente États appliquent, à cet égard, des mesures renforcées. Nous avons également déployé plus de 600 intervenants dans plusieurs pays d’Afrique.

Aujourd’hui, nous voulons nous focaliser sur un certain nombre d’actions pour lutter efficacement contre le Covid-19 en Afrique. Nous n’avons testé que 1,3 million de personnes, alors qu’il faudrait atteindre 1 % de la population du continent, soit dix fois plus d’individus. Aussi, nous avons lancé une initiative baptisée « partenariat pour accélérer les tests de Covid-19 en Afrique », qui repose sur trois principes : augmenter rapidement notre volume de tests, tracer les personnes infectées et les traiter au plus vite.

De surcroît, nous avons fixé trois grands objectifs : atteindre 15 millions de tests d’ici deux à trois mois ; déployer 1 million de travailleurs communautaires en appui dans les foyers de contagion ; et mettre en place une plateforme commune pour l’achat de produits permettant de lutter contre le Covid-19.

Nous devons agir rapidement et collectivement face à cette pandémie : nous avons encore une fenêtre pour combattre le virus.

Enfin, le Covid-19 est également une menace économique terrible pour le continent. D’après les spécialistes, la reprise économique en Afrique exigera 100 à 150 milliards de dollars.

M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement. -Nous faisons face à cette crise inédite avec beaucoup de modestie, de concentration et de mobilisation. Nous nous tournons bien sûr vers les scientifiques - nous sommes notamment à la disposition du Dr Nkengasong, que je salue. Nous menons des actions de surveillance en lien avec la commission de l’océan Indien, ou encore en Afrique de l’Ouest. Nous sommes prêts à nouer des partenariats avec l’ensemble des acteurs pour appuyer l’action de CDC Afrique, dont le rôle est si important face à cette pandémie.

Je salue également les autres voix africaines qui sont très fortes dans cette crise, non seulement celles des chefs d’État, mais aussi celles de mes amis Tidjane Thiam, Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Trevor Manuel et Vera Songwe, lesquels interviennent surtout sur le volet économique et financier de la crise, qui, comme dans le reste du monde, est essentiel.

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale annoncent que l’Afrique va connaître sa première récession depuis vingt-cinq ans. Sur les plans sanitaire et économique, une attention toute particulière doit être apportée à l’Afrique du Nord et à l’Afrique australe. Les pays les moins avancés d’Afrique subsaharienne nous préoccupent tous et, dans ces territoires, nous sommes très actifs ; mais les pays à revenus intermédiaires subissent le choc sanitaire sans toujours bénéficier des dispositifs de soutien existants.

Face à cette crise, mystérieuse par bien des aspects, les équipes de l’AFD sont pleinement mobilisées. Comme celles du réseau diplomatique français, elles sont restées sur le terrain - ce n’est pas le cas pour tous les pays. En parallèle, nous restons opérationnels via le télétravail, un peu partout dans le monde, afin d’accompagner tous nos clients et nos partenaires de la manière la plus dynamique et la plus contracyclique possible.

À cette fin, nous disposons des crédits votés en loi de finances pour 2020 - un peu réduits par rapport à l’année précédente - et de nos ressources de marché. Nous avons procédé à deux émissions obligataires depuis le début de la crise, représentant 1,5 milliard d’euros et 2 milliards de dollars. Les marchés sont ouverts et nous avançons à un rythme soutenu : nous devrions atteindre 45 % de nos engagements prévus en juillet - c’est plus que l’année dernière - et 25 % de décaissements, contre 22 % l’an dernier à la même date. Si nous sommes en avance sur nos prévisions, c’est parce que la demande est forte et parce que nous nous adaptons pour être encore plus agiles face à cette crise.

Au titre de notre activité de prêt, nous observons une très forte montée des risques souverains et non souverains, qui auront, plus vite que ne l’a anticipé le Gouvernement, un effet sur nos provisions, notre résultat et nos besoins en fonds propres. Aussi, la transformation de l’AFD doit s’accélérer.

Depuis le début de la crise, nous avons travaillé pour qu’une voix française et européenne forte s’exprime et pour que notre action soit opérationnelle. Nous nous inscrivons dans l’action multilatérale qui se met progressivement en œuvre. L’Assemblée mondiale de la santé vient de voter une importante déclaration ; une coalition, baptisée Access to Covid-19 tools (ACT), a été lancée et la Commission européenne se trouve en première ligne à cet égard ; grâce, en particulier, au Président de la République, plus de 7 milliards d’euros de promesses de financements ont été recueillis pour accélérer l’élaboration d’un vaccin et le mettre à disposition.

S’y ajoute, sur le plan macroéconomique, le moratoire sur la dette des pays les plus pauvres, qui pourrait apporter 20 milliards de dollars dès cette année pour financer la réponse à la crise, les programmes du FMI et ceux de la Banque mondiale. Bien sûr, il faut apporter de la liquidité dans toutes ces économies pour financer les dépenses exceptionnelles.

Nous nous inscrivons dans ce cadre multilatéral. Nous insistons sur des territoires ou des sujets susceptibles d’être oubliés. De plus, nous contribuons à accélérer, à travers les coalitions internationales, la coopération en direction de l’Afrique.

Nous menons ce travail depuis la mi-mars. Dès la fin de février, nous avons commencé à financer, avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le programme Aphro-Cov, destiné à accélérer le dépistage.

Le 22 mars, nous avons adressé une première note résumant nos propositions, d’abord au Gouvernement, ensuite à la Commission européenne, en insistant sur le fait que nous sommes face à une seule et même crise à la fois sanitaire, économique, sociale et environnementale.

Je suis fier que l’Europe ait parlé d’une voix forte, avant même les institutions multilatérales. Début avril, la Commission et les États membres ont annoncé qu’ils allaient mobiliser 20 milliards d’euros. J’espère que ce signal a été reçu en Afrique. L’ensemble des agences de notre continent se coordonnent désormais sous le slogan Team Europe.

Quant à l’AFD, elle déploie sa réponse en trois temps.

Premièrement, le 2 avril dernier, après l’approbation de notre conseil d’administration, nous avons lancé l’initiative « Covid-19 - santé en commun » pour assurer des réallocations de ressources. Notre programme d’origine est fortement perturbé, mais il faut être agile et réallouer les capacités financières dont nous disposons, à savoir 150 millions d’euros venant des programmes 209 et 110 et une capacité de prêt de 1 milliard d’euros, auquel nous essayons d’ajouter les fonds de l’Union européenne et diverses réallocations d’enveloppes correspondant à des projets déjà engagés.

Ces fonds sont dédiés à l’Afrique ainsi qu’au Proche-Orient, qui inspire bien des inquiétudes. Selon le FMI, la récession serait de 12 % au Liban : en pareil cas, en l’espace de deux ans, 20 % de la richesse de ce pays disparaîtrait. Nous avons également été sollicités par le gouvernement indien.

Afin d’agir vite, nous privilégions les acteurs éprouvés, nous renforçons des programmes existants et nous mettons en oeuvre des procédures simplifiées. À cette date, nous nous sommes déjà octroyé dix-neuf projets et 60 millions d’euros de subventions ; vingt-deux pays ont été servis, dont seize en Afrique francophone.

Nous nous concentrons sur les capacités des laboratoires, qu’il s’agisse des actions de dépistage ou de diagnostic ; nous finançons la surveillance épidémiologique et la recherche, non seulement dans le domaine médical, mais aussi en sciences sociales, pour que les réponses soient aussi adaptées que possible aux communautés. Nous veillons au renforcement des soins apportés aux patients et aux capacités budgétaires des États. À la fin de juin, quelque 500 millions d’euros devraient être engagés au titre du plan de 1,2 milliard d’euros.

Nous agissons à l’échelle du groupe AFD. Expertise France déploie une plateforme d’experts en lien avec les équipes de Jean-Paul Moatti ; Proparco, qui déploie ses investissements dans les hôpitaux, les cliniques et les laboratoires, est également mobilisé face à ces enjeux de santé.

La force de la France, c’est d’agir en Afrique, grâce à ses implantations, avec les Africains, en valorisant les innovations émergentes et en agissant en mode plateforme avec les instituts Pasteur, la fondation Mérieux, l’Inserm, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Banque mondiale et d’autres acteurs encore.

Deuxièmement, nous avons proposé au Gouvernement une initiative centrée sur le soutien au secteur privé africain, dont les dernières annulations de dettes, il y a vingt ans, ont permis l’émergence. Ce tissu d’entreprises est dynamique, mais il reste très fragile. En son sein, les entrepreneurs français nous font part de leurs inquiétudes ; le chômage partiel n’existe pas en Afrique et BPI France n’y étend pas son action.

Au cours de l’année qui vient, nous devons agir collectivement afin de préserver ce tissu économique, qui est indispensable à la reprise de la croissance en Afrique. À cet égard, le groupe AFD dispose d’une vraie valeur ajoutée, notamment par sa filiale Proparco, active depuis plus de quarante ans en Afrique. La Commission européenne comme la Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale sont prêtes à nous aider à engager un programme à notre mesure. Face à cette crise, BPI France a apporté 74 milliards d’euros de prêts garantis ; cet effort est magnifique, mais nous devons également agir pour sauver le tissu des entreprises africaines.

Troisièmement, à la demande du Président de la République et en partenariat avec le forum de Paris sur la paix, nous allons organiser du 10 au 12 novembre 2020 le premier sommet mondial de toutes les banques publiques de développement. Ce sera l’occasion de débattre, plus largement, des moyens à déployer face à cette crise, en particulier pour accroître la durabilité de nos investissements et renforcer la lutte contre les inégalités. D’ailleurs, ce débat est déjà ouvert.

Les 450 banques publiques de développement que compte la planète représentent 10 % de l’investissement mondial - fonds publics et privés confondus. Elles doivent être rassemblées et débattre utilement - je pense notamment à la Caisse des dépôts, aux Nations unies et aux banques multilatérales.

Enfin, la réponse à cette crise n’épuise pas l’activité de l’AFD. Ainsi, il faut continuer à travailler au Sahel, où 700 millions d’euros ont été engagés l’année dernière. La pandémie vient s’ajouter à l’ensemble des crises que subit cette région du monde qui est, pour nous, prioritaire.

[...]

M. Richard Yung, au nom du groupe La République En Marche. - Sur la pandémie, comment pensez-vous participer aux recherches et au financement de la production d’un éventuel vaccin ? L’Institut Pasteur de Dakar est à la pointe sur ces questions et j’espère qu’il pourra être habilement utilisé.

Je suis surpris de la grande faiblesse de l’épidémie en RDC. Le pays a dû faire face à de nombreuses pandémies, notamment Ebola. Est-ce lié, selon vous, docteur Nkengasong ? Pouvez-vous exprimer une opinion sur le remède à base d’artémisia mis au point par les Malgaches à l’Institut médical de Madagascar ?

L’AFD et sa filiale Proparco préparent, si j’ai bien compris, un plan d’aide aux PME à l’étranger, en particulier celles détenues par des Français. Quand ce projet sera-t-il rendu public ? La demande est très forte, vous le savez, et il faut sans doute avancer rapidement. Quelle forme ce soutien prendra-t-il, selon quels critères d’éligibilité ? Comment s’articulera-t-il avec le mécanisme de garantie d’un montant de 1,2 milliard de dollars mis en place par l’African Guarantee Fund, dont l’AFD est l’un des principaux bailleurs de fonds ?

[...]

Dr John Nkengasong. - Nous rencontrons principalement quatre difficultés pour mettre en œuvre le plan de lutte contre le Covid-19 élaboré le 22 février dernier. La première, c’est le financement. L’Union africaine, à travers Africa CDC, aurait besoin de 600 millions de dollars pour appuyer les efforts des 55 pays. La deuxième, c’est le grave défaut de tests. Seules 1,3 million de personnes ont été testées sur le continent ; or il faudrait atteindre rapidement 10 à 15 millions de personnes. La troisième, c’est le manque de matériel de protection, la compétition ayant été rude. Enfin, nous manquons de ressources humaines pour lutter efficacement contre le coronavirus : épidémiologistes, laborantins...

Beaucoup de progrès ont été réalisés pour renforcer le système de santé, comme au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, au Maroc. Cependant, les systèmes supposés renforcés comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, l’Algérie enregistrent étonnamment plus de cas. Est-ce dû au système de surveillance, qui permet de détecter plus de cas ? Je n’en sais rien. Notre grande inquiétude porte sur les pays fragiles, comme la Somalie ou le Soudan du Sud, qui comptent de nombreux cas et dans lesquels il est difficile d’agir.

Concernant la synergie avec les agences de développement, les institutions multilatérales, la création du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies par les chefs d’États de l’Union africaine représente une opportunité de mieux coordonner l’action des différents partenaires.

L’Afrique a-t-elle été épargnée ? Il faut regarder trois facteurs. Compte tenu du faible nombre de tests jusqu’à présent, il est difficile de dire si les 88 000 cas de Covid-19 correspondent à la réalité.

Ensuite, les pays ont très vite réagi. Beaucoup ont fermé leurs frontières et pris des mesures de confinement, ce qui a largement ralenti l’évolution de la pandémie. Le continent peut-il garder cette posture à long terme ? La réponse est non. Les mesures de confinement sont en train d’être levées et le nombre de cas rebondit.

Ce qui joue également en notre faveur, c’est la forme démographique du continent : 70 % de la population a moins de 30 ans, ce qui peut contribuer à ralentir l’épidémie. Cependant, je ne pense pas que l’Afrique soit totalement épargnée. Il faut faire vraiment attention. Au Brésil, la situation a changé en quelques semaines. Le virus, très dangereux, se modifie rapidement.

L’Afrique ne doit pas seulement attendre qu’un vaccin soit produit ailleurs. Nous devons participer activement à la recherche et espérons une collaboration avec plusieurs partenaires. L’Institut Pasteur de Dakar, mais aussi ceux du Maroc, de la Côte-d’Ivoire, doit y prendre part.

Devons-nous prévoir un plan plus vaste pour restructurer le système de santé en Afrique ? Bien sûr ! À l’issue de cette crise, il faudrait organiser une vaste concertation pour déterminer exactement ce que l’Afrique doit faire pour renforcer rapidement son système de santé, dans un état inacceptable. Actuellement, il lui est difficile de faire face à une pandémie telle que le Covid-19.

La RDC recense aujourd’hui 1600 cas, mais est-ce conforme à la réalité ?

Pour conclure, nous travaillons en étroite collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le forum économique mondial, à travers la Task Force mise en place depuis le mois de février.

M. Rémy Rioux. - Nous n’avons pas à déplorer de victimes ou de cas graves parmi les collaborateurs de l’AFD, mais nous restons vigilants. Le travail à domicile a été rendu obligatoire dès le 13 mars en France, étendu progressivement dans le monde entier. Ces dispositions seront graduellement levées à partir du 2 juin. Nous portons bien sûr une attention particulière à nos collègues restés sur place, qui s’inquiètent de la capacité de prise en charge des systèmes de santé locaux.

S’agissant d’une éventuelle réorientation de la stratégie de l’AFD, nous avions déjà introduit plus fortement les sujets sociaux, sous le thème du lien social, des inégalités, y compris la santé. Nous sommes l’instrument des autorités françaises, donc le choix dépend du Gouvernement et du Parlement. La loi développement et le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence seront l’occasion d’avoir ce débat. Je peux vous dire que les équipes sont plus motivées que jamais face à une crise d’une telle ampleur.

Nous sommes en train de construire le groupe AFD avec le rapprochement d’Expertise France, accompagné de garanties en termes d’autonomie, de contrôle parlementaire, de proximité des autorités publiques. Si nous démontrons que ce groupe public unique au monde regroupant l’ensemble des instruments opérationnels d’une politique active et ambitieuse mérite plus de confiance, nous serons capables de gérer plus de moyens en subventions. C’est essentiel dans les pays pauvres, sur les questions de santé, notamment en Afrique. Compte tenu du contexte financier, nous aurons besoin de plus de fonds propres, voire de garanties, ce qui passe évidemment par une loi de finances. C’est votre décision, in fine. Nous essayerons d’en être dignes, et d’être à votre écoute.

Nous devons être très vigilants sur la situation en Afrique, qui diffère de celle de l’Europe. L’équilibre entre les réponses sanitaires et économiques et sociales n’est pas le même. Le docteur Nkengasong nous a présenté la situation sanitaire, avec ses inconnues, ses menaces, mais aussi ses opportunités que l’Afrique s’en sorte mieux. Ce n’est pas le cas du point de vue économique. Il faut donc être en capacité de répondre avec agilité aux demandes des autorités africaines. Gardons-nous d’une réponse 100 % sanitaire, alors que la demande sur le terrain est d’abord économique. Les deux dimensions doivent être pondérées le plus efficacement possible.

C’est la raison pour laquelle je ne renonce à rien. Nous avons réalloué 1,2 milliard d’euros d’ici à l’été, sur une capacité financière de plus de 14 milliards d’euros en 2019. Le Président Xi Jinping, lors de l’Assemblée mondiale de la santé, a annoncé 2 milliards de dollars dans les deux prochaines années pour appuyer les efforts de santé des pays du sud. La réponse française est donc significative, dans un périmètre plus vaste comprenant la lutte contre le changement climatique, l’éducation, l’action dans le Sahel et les priorités que vous nous fixez.

J’en viens à des questions plus précises. Je connais le combat de Mme Garriaud-Maylam en faveur des entrepreneurs français en Afrique, également évoqués par M. Yung. De mon point de vue, ces entreprises, comme toutes les entreprises africaines, entrent dans le mandat du groupe AFD et de Proparco. Le mode d’emploi, en cours d’examen par le Gouvernement, prévoit une attention particulière portée à ceux qui animent des TPE en Afrique. Il faudrait sans doute renforcer le mécanisme de garantie ARIZ (Accompagnement du risque de financement de l’investissement privé en zone d’intervention) qui passe par les banques locales, sur le modèle décidé par le Parlement via Bpifrance dans cette crise, donc monter la garantie de 50 % à 80 % du montant du prêt. Les entrepreneurs pourraient ainsi obtenir de leur banque un financement rapide, il s’agit souvent de faibles montants, pour passer ce cap difficile sans déposer le bilan. Nous sommes prêts à y répondre dans ce cadre, en respectant notre modèle économique, cela a été dit par Mme Perol-Dumont, sans mettre l’entreprise et sa filiale Proparco en difficulté financière. Une prise en charge des risques par des moyens publics, comme pour Bpifrance, mais pour des montants très faibles, permettrait de pousser plus loin l’action de Proparco au service des entreprises africaines, y compris celles gérées par des entrepreneurs français.

M. Laurent et Mme Garriaud-Maylam m’ont interrogé sur les banques. Je crois beaucoup au rôle des banques publiques dans la mise en œuvre des mandats des gouvernements, dans leur capacité à tourner dans le bon sens les investissements privés et à renforcer les systèmes financiers. La question des infrastructures sociales est majeure, et pas seulement en Afrique. La santé, l’éducation sont-elles au bon niveau ? Comment les finance-t-on, avec des retours sur investissement différents ? Au sommet mondial des banques publiques de développement, le 12 novembre prochain, les banques publiques de développement européennes porteront le sujet de l’accroissement des investissements dans les infrastructures sociales. Nous espérons à cette occasion engager avec nos collègues asiatiques, très présents en Afrique, un travail plus collaboratif, plus soucieux de la soutenabilité de la dette.

En réponse à M. Vallini sur les déterminants de la crise en Afrique, la prudence s’impose. J’insiste sur les innovations, la voix de l’Afrique. Nous allons essayer de mieux informer l’opinion française sur la réalité africaine, encore marquée par trop de préjugés.

Il a été décidé un moratoire sur la dette, et non une annulation, c’est-à-dire de décaler d’un an les créances exigibles cette année. Pour la France, cela représente 1 milliard d’euros, dont 300 millions d’euros pour l’AFD. Nos collègues africains demandent d’ailleurs un décalage de deux ans. Nous sommes attachés à ce que l’effort soit le plus collectif possible. Pour la première fois, le Club de Paris, le G20 ont permis que les bailleurs émergents figurent dans ce moratoire. Des discussions intenses ont actuellement lieu avec les créanciers privés. Il faut redéfinir un cadre de financement de l’Afrique. Dans certains pays, il conviendra sans doute d’aller jusqu’à des annulations, le Président de la République l’a dit. D’autres pays sont très soucieux de continuer à avoir accès aux marchés financiers. Il va falloir fixer des paramètres, des critères. C’est le rôle des envoyés spéciaux de l’Union africaine. Je souhaite que l’Afrique exprime sa position et qu’ensuite tous les créanciers du continent puissent joindre leurs forces dans un cadre soutenable, mais dynamique. On ne financera pas l’Afrique avec des dons, même s’ils sont nécessaires pour traiter certains points névralgiques.

Sur les problèmes structurels des systèmes de santé, j’ajouterai que le vaccin est un grand sujet multilatéral, qui relève de fonds verticaux. Il dépasse l’aide publique au développement, puisqu’il nous est aussi destiné. C’est un bien commun qu’il convient de financer, en partie par l’aide au développement, mais aussi, et c’est le cas, par d’autres capacités financières des États.

Nous n’avons pas, d’ailleurs, de cadre conceptuel complet, et j’espère que la loi sur le développement nous aidera à progresser en ce sens. Le rôle des acteurs bilatéraux comme nous est plutôt le renforcement d’ensemble des systèmes de santé.

Je salue la force de l’engagement de M. Bockel sur les enjeux sahéliens, qui restent dans nos priorités. Nous avançons, avec 700 millions d’euros engagés, auxquels s’ajoutent des dons via un fonds qui, avec la crise du Covid-19, décaisse plus rapidement : je me sers des circonstances actuelles pour transformer la maison ! L’intrication entre acteurs de la sécurité, de la diplomatie et du développement est toujours meilleure, autour d’une programmation territoriale des actions de chacun, dans le cadre d’une réponse globale.

L’IRD a une action importante, oui, notamment par son expertise en sciences sociales, qui a montré son utilité lors de l’épidémie d’Ebola. En RDC, 19 millions d’euros de dons sont utilisés pour renforcer l’hôpital de Monkole et le réseau hospitalier de Kinshasa.

Oui, l’audiovisuel extérieur est un élément de réponse à la crise et un instrument de développement. Avec France Médias Monde, nous réorientons nos programmes pour y faire passer des informations de santé publique.

J’ai échangé avec les ONG de santé il y a une dizaine de jours. Pour aller vite, nous passons beaucoup par des acteurs que nous connaissons et des financements déjà en place. Pour la société civile, l’AFD consacre près de 400 millions d’euros de subvention chaque année, outre les 100 millions d’euros de dons mis à disposition par le Gouvernement.

Nous faisons évoluer nos procédures : nous avons accéléré toutes nos instances, faisons des notes simplifiées, réduisons les délais, simplifions les délégations, nous voyons tous les dix jours... Quand la poussière sera retombée, nous capitaliserons sur ce que nous avons appris à l’occasion de cette crise. J’avais déjà engagé la déconcentration, indispensable, de l’AFD en créant les directions régionales, et nous continuerons en ce sens.