Le 3 mars, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l’audition de Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu des propos liminaires de M. Benmoussa et de mon intervention.
M. Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France. - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation qui témoigne de la vivacité des relations franco-marocaines.
La crise sanitaire touche en effet nos deux pays, tant sur le plan économique que sur le plan social. Elle a mis en lumière l’interdépendance de nos économies et l’importance de la question sanitaire. Si elle a permis une accélération de certaines transformations (énergie, infrastructures, etc.), la crise a également montré que les tendances populistes et de repli sur soi peuvent progresser.
Malgré les mesures rapidement adoptées, le Maroc déplore, à ce jour, quelque 8 700 décès, et 250 personnes sont actuellement hospitalisées dans des services de réanimation - soit un taux d’occupation de 12 %. La stratégie vaccinale se poursuit dans le pays : 3,7 millions de Marocains ont déjà reçu la première dose du vaccin, et 300 000 d’entre eux ont reçu la seconde dose. D’ici l’été, l’ensemble de la population majeure devrait être vaccinée.
Sur le plan social, le Maroc a mis en place un fonds de solidarité de près de 3% du PIB au bénéfice des ménages vulnérables, et a lancé un plan de sauvegarde de l’emploi représentant 11% de son PIB. En outre, Sa Majesté le roi Mohammed VI a annoncé plusieurs mesures comme la création, d’ici 2025, d’un système d’assurance maladie obligatoire, d’un système d’allocations familiales, d’un régime d’indemnisation chômage, ainsi que l’élargissement de l’accès au régime de retraite.
En outre, sur le plan économique, un fonds d’investissement stratégique et une réforme des établissements publics sont envisagés. Bien avant la pandémie, le roi avait décidé de créer une commission spéciale du modèle de développement (CSMD), que j’ai l’honneur de présider, qui vise à adapter le pays aux transformations du monde et à permettre la stabilité et le développement de la région.
Cette crise sanitaire aura des conséquences sur la relocalisation des chaînes de production et la souveraineté économique. Le Maroc essaye d’anticiper ces transformations, en lien avec la France : le Medef et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) ont ainsi conduit une mission pour dynamiser nos relations économiques et préparer l’avenir dans plusieurs domaines (digitalisation, économie décarbonée, etc.).
Ces priorités sont similaires à celles de l’Union européenne qui, dans le cadre de son partenariat de voisinage méridional, va consacrer 7 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
La zone de libre-échange africaine est entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Ce marché commun, même s’il mettra du temps avant de devenir effectif, permettra de créer plus d’échanges sur le continent et une meilleure valorisation de ses atouts : matières premières, disponibilité de terres arables, jeunesse de la population, développement d’une classe moyenne urbaine, etc. Le Maroc pourra alors constituer un « hub » pour les échanges, du fait de sa proximité géographique et de ses liens avec l’Europe.
S’agissant à présent du Sahara, je voudrais rappeler que le 13 novembre 2020, les forces armées marocaines sont intervenues à Guerguerat afin de libérer l’axe routier reliant le Maroc à la Mauritanie, qui était bloqué par le Front Polisario. Cette intervention, qui s’est déroulée sous l’œil de la Minurso et qui n’a fait aucune victime, a rétabli la libre circulation des biens et des personnes. Elle n’emporte aucune conséquence sur le processus de cessez-le-feu, malgré les appels à la guerre du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui a tenté des incursions au-delà du dispositif de sécurité.
Quelques semaines après cette intervention, les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara et les provinces du Sud, considérant que la solution d’autonomie proposée par notre pays était la plus crédible au regard des enjeux de stabilité régionale, contrairement à la solution d’indépendance proposée par le Polisario et l’Algérie, qui n’est soutenue par aucun des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. En effet, les pourparlers avec le Polisario et l’Algérie n’avancent pas depuis 2007, date de la présentation par le Maroc de l’initiative d’autonomie comme solution de ce différent régional.
Le Sahara marocain, jadis colonisé par l’Espagne, est un territoire de 270 000 kilomètres carrés, qui a des liens historiques attestés d’allégeance au Maroc et dont le Maroc a revendiqué la décolonisation, bien avant son indépendance. Il a été récupéré suite aux accords de Madrid mettant fin à la colonisation espagnole. Le Maroc a veillé à ce que le statu quo des discussions politiques sous la supervision des Nations unies n’ait aucune conséquence sur la population locale qui s’élève à quelque 600 000 habitants ; sachant que la population sahraouie de Tindouf en Algérie est estimée à moins de 60 000 personnes - celle-ci n’a jamais été recensée, malgré les demandes répétées du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le Maroc a créé un environnement de sécurité permettant aux élections de se tenir dans cette région, et aux investissements d’infrastructures d’être réalisés. Le développement est toutefois freiné par le statu quo ; à cet égard, les positions américaines permettent de clarifier la situation et de créer une nouvelle dynamique qui consolide une zone de stabilité entre le Sud de l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
Au-delà des aspects sécuritaires, le Maroc apporte des réponses diplomatiques (processus de discussion politique aux Nations unies), des réponses politiques intérieures (régionalisation et élections régulières) et des réponses de développement (infrastructures et équipement de la région pour créer de l’emploi et améliorer les indicateurs de développement humain) qui font partie d’une approche globale favorisant la stabilité régionale. Aussi notre pays soutient-il le collège de défense du « G5 Sahel » à travers des actions de formation des militaires, mais aussi dans le domaine cultuel pour la promotion d’un islam d’ouverture - un millier d’imams subsahariens a été formé à l’institut Mohammed VI -, ainsi que dans le domaine de la coopération sud-sud, notamment dans des domaines économiques ou sociaux.
Pour ce qui concerne la Libye, le Maroc, à travers les accords de Skhirat puis les pourparlers de Bouznika, a contribué à créer un climat de confiance pour que les acteurs libyens puissent dialoguer et préparer une sortie de crise. Le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, l’a d’ailleurs rappelé lors de sa récente visite au Maroc.
S’agissant de la question migratoire, le Maroc accueille l’Observatoire africain des migrations, créé sous l’égide de l’Alliance africaine, et travaille avec l’Union européenne sur les questions de mobilité.
En ce qui concerne les relations avec Israël, il convient de rappeler que la reconnaissance d’Israël est ancienne, même si les relations diplomatiques étaient suspendues, et que plusieurs centaines de milliers d’Israéliens sont d’origine marocaine et ont conservé des liens très étroits avec le Royaume. Dans le cadre des derniers accords, il est prévu un rétablissement des relations diplomatiques, une coopération économique forte et des liaisons aériennes directes, et cela sans préjudice de la position marocaine sur la question palestinienne, à savoir le soutien à la cause palestinienne ainsi qu’à une solution à deux États. SM le roi Mohammed VI préside d’ailleurs le comité Al-Qods qui vise à la préservation de la liberté des cultes présents à Jérusalem.
Enfin, à propos des relations diplomatiques avec l’Allemagne, il n’y a pas de rupture de ces relations mais une limitation des contacts avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat. Il s’agit d’un signal visant à clarifier certaines positions jugées agressives et à lever les ambiguïtés qui les entourent. Cela fait suite à plusieurs incidents comme la mise à l’écart du Maroc dans le dossier libyen, et les positions critiques émises à l’égard de notre pays sur le Sahara ou sur le respect des droits de l’homme.
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M. Richard Yung. - Ma question porte sur la politique de migration du Maroc. Vous êtes une zone d’accueil importante, puisque des immigrés subsahariens arrivent au Maroc, parfois avec l’idée d’aller en Europe. Vous avez mené deux campagnes de régularisation, pour à peu près 50 000 personnes, en 2014 et 2016, mais l’immigration illégale a continué, avec son cortège de problèmes. Comment envisagez-vous l’avenir ? Envisagez-vous une nouvelle régularisation des migrants illégaux ? Quelles sont les mesures que vous prenez pour améliorer le regroupement familial et l’intégration de ces migrants ?
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M. Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France. - [...] Sur les questions liées à la migration, notamment les mineurs non accompagnés. Je voudrais d’abord rappeler que, sur ce sujet, le Maroc, à la demande de la France, s’est mobilisé depuis plusieurs années - comme cela a été dit - pour aider à ce que des mineurs qui sont en situation de vulnérabilité, qui sont souvent exploités par différents réseaux, qui sont parfois effectivement acteurs d’actes de violence mais sont aussi souvent eux-mêmes victimes de ces violences, puissent être protégés aussi bien en France que par un retour au Maroc où un certain nombre d’institutions spécialisées existent et sont en capacité de recevoir ces jeunes et de les accompagner. Ce retour ne peut se faire que dans le cadre des conventions internationales qui prévoient qu’une intervention judiciaire évalue les conditions dans lesquelles le retour est possible, sachant que l’objectif est de mettre en avant l’intérêt et la protection des enfants. Aujourd’hui, plusieurs avis convergent pour dire que, dans un certain nombre de cas, ces enfants qui se retrouvent dans la rue mettent en danger leur vie, leur avenir. On peut imaginer quels adultes ils feront demain s’ils sont laissés dans cette situation-là. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’accord entre le Maroc et la France, sachant que le Maroc, sous contrôle de la justice et des juges des mineurs au Maroc, est disposé à accepter les mineurs reconnus comme Marocains et pour lesquels des décisions de juges français seraient prises. Bien sûr, ces mineurs seront pris en charge par les institutions marocaines. Des visites ont été organisées par le ministère de la Justice du Maroc au profit de juges des mineurs français, qui ont visité un certain nombre de centres qui sont tout à fait aux standards internationaux et qui, dans certaines situations, pourraient constituer une solution bien meilleure que le fait d’avoir ces mineurs en train d’être l’objet d’exploitations par différents réseaux.
De manière plus large, le Maroc est lui-même devenu pays de transit et a mis en place une politique migratoire assez développée, qui a essayé de combiner des dimensions juridiques - puisqu’un certain nombre de textes de loi ont été mis en place - et des réponses humanitaires - à travers les opérations de régularisation qui ont été citées, mais aussi à travers l’accès de ces populations à un certain nombre de droits en termes de santé, d’éducation des enfants ou, pour certains, en termes d’emploi. Cette réalité de la migration dépasse le seul Maroc, elle est liée à des situations particulières dans les pays d’origine, à des politiques particulières dans les pays d’accueil et le Maroc, en tant que pays de transit et de plus en plus en tant que pays de destination, se retrouve partie prenante de ces politiques. Je rappelle que le Maroc a organisé fin 2018 une rencontre mondiale sous l’égide des Nations Unies autour du sujet de la migration. Les concepts de migration et de mobilité organisée ont été défendus et retenus ; il en est de même pour le concept de responsabilité partagée qui permet de développer des politiques migratoires plus efficaces. Lorsqu’il y a une coopération plus large, elle permet d’aboutir à des résultats positifs, aussi bien en termes de contrôle de l’immigration clandestine qu’en termes de mobilité choisie et de possibilité de co-développement.