Monsieur le président, cher Paul, merci beaucoup pour vos mots et les propos que vous venez de tenir. Monsieur le président, Mesdames Messieurs les ministres, Mesdames Messieurs, chers amis, c’est un honneur et une responsabilité particulière d’être ici au Rwanda parmi vous. Et permettez-moi d’abord de vous remercier pour votre invitation, votre accueil à l’égard de la délégation et de moi-même.
Je mesure toute l’importance symbolique, historique, de cette visite qui est simplement la deuxième d’un président de la République depuis le génocide des Tutsis de 1994. Monsieur le président, vous avez je crois retranscrit parfaitement dans vos propos à l’instant l’esprit qui a animé le travail commun que nous avons conduit depuis 2017. Nous avons commencé à cheminer ensemble. Nous avons décidé de reprendre la voie de la coopération, du dialogue, sans rien occulter des difficultés que nos deux pays ont pu traverser. Nous avons décidé dès le printemps 2018 de donner le signal d’un rapprochement entre nos deux pays guidés par la même volonté de regarder en face notre histoire, mais de construire aussi l'avenir pour les jeunes générations. Vous aviez accepté l'invitation de vous rendre à un salon sur le numérique et l'innovation. Et en trois ans, nous avons franchi ensemble plusieurs étapes et levé plusieurs obstacles parce qu'il fallait passer par un examen de vérité.
C'est ce que nous avons fait en confiant à une commission d'historiens présidée par le professeur Vincent DUCLERT un travail approfondi de recherches et d'analyse sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Je salue le travail remarquable, indépendant, transparent, qui a été accompli par les membres de cette commission. C'est en effet la plus rigoureuse indépendance qui les a accompagnés pendant les deux ans de travaux qu'ils ont eu à conduire. Et ce travail qui a également été mené du côté du Rwanda nous permet aujourd'hui d'avancer vers une histoire partagée, et surtout d'en ouvrir une nouvelle page. J'ai dit ce que j'avais à dire tout à l'heure sur le génocide des Tutsis, sur la responsabilité de la France. Et vous avez comme poursuivi ces mots avec les vôtres en disant mieux que je n'aurais pu le dire, et peut-être parce que c'était à vous de le dire, que ce que nous nous devons c'est la vérité, plutôt que de chercher à nous débarrasser d'un passé qui ne passait pas. Un génocide ne s'excuse pas, on vit avec. Et un pardon ne s’exige pas. Qui serais-je pour le faire ? Ma conviction, c'est qu'avec la responsabilité qui est la mienne aujourd'hui, je vous devais une chose, je nous devais une chose, c'est d'essayer de retranscrire la vérité telle qu'elle apparaît aujourd'hui et de reconnaître notre responsabilité pour ce qu’elle est. Et ce chemin de reconnaissance que j'évoquais tout à l'heure est, je pense, celui qui nous permet de continuer à faire route. Je partage tout ce que vous avez dit, cher président, de la prévention des génocides à venir, et de la responsabilité que la compréhension du passé nous confère dans les temps présents.
Cette nouvelle page de nos relations bilatérales va amplifier le travail que nous avons déjà engagé ensemble sur plusieurs défis communs. Au plan sanitaire d’abord, qui demeure évidemment la priorité pour nos concitoyens aujourd’hui. Nous nous sommes battus dès le début de la crise sanitaire avec le président KAGAME et plusieurs autres leaders africains pour bâtir ensemble une solution solidaire. Nous avons, dès avril 2020, ensemble, lancé un appel qui ensuite a été saisi par le G20, c'est ce qui a permis à l'initiative ACT-A, je salue sa présidente parmi nous, d'être ainsi bâtie, construite ensemble, et aux initiatives sanitaires économiques ainsi pensées de se construire avec en particulier la nécessité de venir en aide aux systèmes de soins primaires en Afrique, de financer ces derniers, comme nous avons accéléré les choses en matière bilatérale, mais aussi de savoir-faire ce geste de solidarité dès la crise consistant à donner des doses de vaccins et à transférer des capacités pour les produire. Nous sommes arrivés, ce matin même, avec plus de 100 000 nouvelles doses de vaccin pour votre pays dans le cadre du mécanisme COVAX. Et nous serons tout à l'heure dans un centre de vaccination pour marquer cet effort important. Dès 2020, l'Agence française de développement a apporté au gouvernement rwandais des financements de plus de 100 millions d'euros pour accompagner les efforts de lutte contre le Covid-19 au Rwanda et de nouveaux projets sont encore à l'étude.
Je veux ici saluer, Président, votre rôle, votre implication personnelle, votre volonté que l'Afrique prenne toute sa part pour penser la solution, pour y contribuer, pour contribuer aussi à produire, vous qui avez su tôt comprendre tôt l'importance de l'éducation et de la santé, pour permettre à la jeunesse de réussir. Ce réengagement de l'Agence française de développement, amorcé à ma demande en 2019, est un autre signe tangible de la relance de notre relation bilatérale. Ce retour est déjà visible avec un soutien financier de plus de 130 millions d'euros en moins de deux ans sur des projets qui vont de l'électrification rurale à la formation.
Et aujourd'hui, nous avons décidé d'aller plus loin avec la signature de la déclaration d'intention conjointe. Nous avons en effet décidé de porter à des niveaux inédits notre aide au développement. Ce sont 500 millions d'euros qui seront engagés sur la période 2019-2023 autour des grandes priorités de notre dialogue avec le Rwanda, en particulier la santé, le numérique, la francophonie.
Ces efforts s'étendent aussi naturellement à la relation économique entre le Rwanda et la France. La présence économique française ici est en constante augmentation depuis 3 ans, avec de nombreuses entreprises qui souhaitent s'inscrire dans la dynamique que l'on trouve ici dans votre pays. Les leaders français de la logistique sont présents dans votre pays, mais aussi dans de nombreux autres domaines comme celui des média, de la communication, de la culture, des infrastructures, du transport. Une délégation m'accompagne aujourd'hui, qui montre aussi que nous souhaitons aller plus loin. En effet, de tailles, de secteurs variés, recouvrant la santé, le numérique, les transports, les énergies renouvelables ou l'agriculture ; la délégation qui nous accompagne a la même motivation d'investir dans votre pays, de conclure des partenariats, c'est-à-dire de participer à la croissance, à l'émancipation économique, aux opportunités sur votre sol. Nous nous sommes engagés à appuyer ces efforts en simplifiant les démarches que doivent réaliser les acteurs économiques français pour investir ou s'installer au Rwanda. La Banque publique d'investissement française s'est également engagée depuis ces dernières années afin de multiplier les perspectives d'investissement dans votre pays.
Dans le domaine culturel, j'ai toujours été convaincu que le véritable centre de gravité, je l'ai dit plusieurs fois de la francophonie, chère Louise, était ici sur le continent africain. C'est d'ailleurs en ce sens que, au fond, il revenait à une forme d'évidence, que la France puisse soutenir la candidature de l'ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise MUSHIKIWABO qui est avec nous aujourd’hui, au poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Trois ans plus tard, la francophonie est plus que jamais présente au Rwanda, dans toute la région, une francophonie de reconquête, ouverte, modernisée, qui s’enorgueillit des échanges avec l’anglais, le kinyarwanda. Et je me réjouis que cette francophonie-là dispose à présent d’un lieu qui lui soit consacré à Kigali avec le nouveau Centre culturel francophone du Rwanda que nous inaugurerons ce soir ensemble.
Enfin, cette confiance retrouvée implique de poursuivre la coopération judiciaire entre nos pays. Alors que nos efforts en matière de lutte contre l’impunité des génocidaires rwandais présumés résidant en France commencent à porter leurs fruits, ils vont être à nouveau renforcés au cours des prochains mois parce qu’il ne saurait y avoir de réconciliation durable sans justice.
Président, vous l'avez dit, l'esprit de notre échange n'est pas simplement de rebâtir une relation, mais aussi d'en faire le cœur d'un rapport, d'une alliance renouvelée avec le continent africain. Mais cette nouvelle relation que nous avons voulue, le président KAGAME et moi, pour la France et pour le Rwanda, qui nous permet d'aller maintenant de l'avant, se construit à travers ces différents secteurs et ces quelques piliers que je viens d'évoquer. Elle doit aussi se traduire par des gestes, le centre culturel ce soir et le fait que j'ai proposé au président KAGAME de procéder à la nomination prochaine d'un ambassadeur de France auprès de la République du Rwanda. Depuis 6 ans, le poste demeure vacant et la normalisation de nos relations ne pouvait s'envisager sans cette étape. Cette nomination sera soumise à l'agrément des autorités rwandaises et sa mission reposera sur la feuille de route que nous avons fixée ensemble aujourd'hui. Et je veux ici remercier notre chargé d'affaires et toute son équipe qui, pendant ces années, ont œuvré avec beaucoup d'engagement, de courage et de lucidité pour permettre aussi ce travail sur le terrain aux côtés des Rwandaises et des Rwandais.
Je veux croire aujourd'hui que ce rapprochement est irréversible. Il est irréversible pour au moins deux raisons que nous voulons l'un et l'autre. La première, c'est parce que nous croyons l'un et l'autre dans le même engagement et la même construction d'un partenariat nouveau où les Africains et leurs dirigeants doivent prendre toute leur place. Durant ces 4 dernières années, à chaque fois qu'une tension politique ou qu'un conflit dans la région a pu apparaître, nous n'avons œuvré qu'en soutien de médiation régionale ou de l'Union africaine. La France n'a jamais donné de leçons à qui que ce soit depuis 4 ans. Mais elle a constamment cherché à faire émerger les solutions possibles et les meilleures en aidant les dirigeants responsables à faire quelque part cette maïeutique ou parfois cette conciliation. Vous avez à plusieurs reprises été au rendez-vous de cette exigence, Président, et je tiens à vous en remercier.
Sur la scène multilatérale, je l'évoquais, dès l'année dernière, sur la santé, sur le climat, sur l'innovation, sur la réforme de la gouvernance économique, sur tous ces fronts, le Rwanda est un partenaire clé. Sur la scène régionale aussi, le Rwanda est un acteur qui compte et qui est au cœur de cette capacité que peut avoir la France d'aider à faire émerger des réponses régionales. C'est ce que nous avons su faire naguère en République démocratique du Congo et je veux à ce titre adresser un message de solidarité aux populations de Goma, durement meurtries, et à qui nous devons assistance. Et c'est ce qu'il convient de faire désormais en République centrafricaine ou au Mozambique comme nous l’avons évoqué ensemble. Parce que vous croyez aussi, cher président, que la relation que la France et l’Afrique doit aujourd’hui nouer est celle, justement, d’une alliance exigeante que j’évoquais tout à l’heure, mais qui croît dans le présent et le futur, et qui veut bâtir les termes d’un investissement solidaire et commun. Et puis enfin, parce que cette page que nous ouvrons est celle aussi d’une relation singulière, vous l’avez dit. Nous nous connaissons y compris dans nos silences, et ces 27 années passées, je crois, ne rendent que plus profondes encore les relations qu’en connaissance et en conscience, nous décidons aujourd’hui de bâtir. C’est pour toutes ces raisons que je les crois puissantes et irréversibles. Je vous remercie.