Le 8 juin, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l’audition du général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, sur l’application de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, dite « LPM ».
Face à la dégradation du contexte géostratégique mise en évidence par la Revue stratégique d’octobre 2017, la LPM constitue la première étape de l’Ambition 2030, qui vise à garantir, dans la durée, « un modèle d’armée complet et équilibré, en mesure de renforcer des aptitudes clés : renseigner et commander, entrer en premier, combattre et protéger, soutenir et durer ».
Afin de concrétiser l’engagement du président de la République de porter le budget de la défense à 2% du PIB d’ici à 2025, elle prévoit un effort financier de 198 milliards d’euros sur la période 2019-2023 et programme au total 295 milliards d’euros sur la période 2019-2025.
Elle est structurée autour de quatre axes prioritaires :
- l’amélioration des conditions d’exercice du métier militaire (achat de nouveaux petits équipements ; déploiement du plan famille ; mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires ; etc.) ;
- le renouvellement des capacités opérationnelles (accélération de la modernisation des équipements des armées : avions ravitailleurs, patrouilleurs et pétroliers ravitailleurs, nouveaux véhicules blindés, etc.) ;
- le renforcement de l’autonomie stratégique de la France et le soutien à l’émergence d’une autonomie stratégique européenne (renforcement des capacités à plus forte valeur opérationnelle, notamment dans les domaines de l’espace, du cyber ou du renseignement ; participation de la France à 36 des 46 projets européens conduits dans le cadre de la coopération structurée permanente de l’UE ; etc.) ;
- le renforcement de l’innovation et la transformation numérique (accroissement du budget de recherche et développement financé par le ministère des armées ; création de l’agence de l’innovation de défense ; création de l’agence du numérique de la défense ; etc.).
Vous trouverez, ci-dessous, des extraits du compte rendu de l’audition.
Général François Lecointre, chef d’état-major des armées. - C’est toujours un plaisir d’échanger avec votre commission et de mesurer l’attention sincère que vous portez à toutes nos questions de défense. Cela m’incite à être le plus transparent possible concernant nos orientations. C’est un défi qui, chaque fois, nous oblige à la clarté de l’expression et du raisonnement et à la responsabilité dans les choix que nous proposons ensuite à l’approbation de la ministre des Armées et du Président de la République.
Depuis l’élaboration et le vote de cette LPM, le fil conducteur est la cohérence dans la réflexion que nous menons et dans les décisions que nous prenons, y compris dans les mesures d’ajustement qui font l’objet de notre rencontre aujourd’hui. Les choix capacitaires retenus s’inscrivent en effet en parfaite cohérence avec l’ambition opérationnelle 2030. Ces mesures d’ajustement répondent à une préoccupation essentielle : faire face aux nouveaux besoins identifiés dans le cadre de l’actualisation stratégique publiée au début de l’année 2021 et des évolutions constatées depuis 2017.
Nous tirons beaucoup d’enseignements des engagements de ce qui est une armée d’emploi - sans doute la seule en Europe -, qui adapte sans cesse ses modes opératoires, ses analyses stratégiques et ses besoins capacitaires pour faire face à un environnement de conflictualité qui change en permanence. Si nous devons tenir compte de ces évolutions, nous devons également rester en cohérence avec une vision à plus long terme, par définition spéculative. Il y a une tension entre les enseignements quotidiens de nos engagements et cette ambition qui doit nous porter jusqu’en 2035 ou 2040. Je rappelle, à titre d’exemple, que le porte-avions nouvelle génération sera en service jusqu’en 2080. J’ai espoir que nous soumettons aux responsables politiques les bonnes orientations ; on n’est jamais l’abri de se tromper par excès de conservatisme ou par aveuglement, mais je veille, avec l’ensemble de l’état-major, à éviter ces impasses.
Je voudrai développer mon propos liminaire en deux parties : dans un premier temps, je reviendrai sur les principaux enseignements de l’actualisation de la revue stratégique ; et, dans un second temps, je détaillerai la façon dont nous avons exploité ces enseignements, en traitant certaines fragilités et en prenant en compte les besoins nouveaux identifiés.
Trois éléments-clés sont à retenir de l’actualisation stratégique : la confirmation des tendances identifiées en 2017 ; le constat de l’accélération de la dégradation du contexte stratégique ; l’identification de plusieurs éléments de rupture.
En 2017, nous avions identifié trois menaces principales : le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour à la compétition stratégique entre grandes puissances. Je constate que ces trois grandes menaces se sont confirmées et même aggravées.
Le terrorisme d’inspiration islamiste, malgré son affaiblissement lié à la mort de nombreux cadres des mouvements que nous combattons, poursuit son expansion, son enracinement local et sa dissémination globale, selon un mouvement qui est de nature à nous inquiéter. Les péripéties politiques au Mali et au Tchad posent régulièrement la question de notre engagement au Sahel. Au-delà des réponses immédiates, il s’agit de bien identifier les tendances lourdes de ce terrorisme islamiste.
Certes, au cours des dix dernières années, la relation entre irrédentisme touareg et terrorisme djihadiste algérien a été rompue. Cependant l’irrédentisme touareg s’est étendu dans le sud, en tirant profit d’une mauvaise gouvernance, de la frustration des populations et des tensions ethniques. Il faut donc le reconnaître : nous n’avons pas résolu ce sujet, qui procède autant de questions politiques que de questions militaires. Le danger djihadiste est aux frontières de l’Europe, il s’étend et s’enracine, cette tendance ne fait que se confirmer ces dernières années, malgré notre action pour l’en empêcher.
Ensuite, le retrait d’Afghanistan des États-Unis et de l’OTAN va laisser place à une situation favorable à l’installation de groupes terroristes qui pourront lancer des actions partout dans le monde, y compris sur notre sol. La menace djihadiste s’étend aussi à l’Afrique de l’Est, on le voit au nord du Mozambique avec la création d’une nouvelle wilaya qui rompt l’équilibre des forces en présence. Nous suivons la situation de très près par le biais de nos forces armées stationnées dans la zone sud de l’Océan Indien car il en va de la stabilité de l’ensemble de la région.
Deuxième menace que nous identifiions en 2017, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs continue et la situation en Corée du Nord, en Iran et au Pakistan ne nous rassure guère, je n’insiste pas.
Troisième menace, le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Les États-Unis se focalisent sur la Chine, et dans le vide ainsi créé, des compétiteurs comme l’Iran ou la Turquie s’enhardissent, aspirant à être des puissances régionales, au risque d’un aventurisme militaire qui peut conduire à des escalades inquiétantes. La Méditerranée centrale et orientale est d’ailleurs aujourd’hui un concentré de toutes ces menaces en développement.
Nous constatons que la dégradation des relations internationales s’accélère, avec l’intensification des rivalités entre grandes puissances avec une sorte de continuum contestation-compétition-confrontation qui se traduit par une confrontation dans les zones grises et par une remise en cause des équilibres existants - et plus généralement la contestation de l’ordre d’un monde multipolaire réglé par le droit international. La pandémie de coronavirus a créé une tension supérieure, qui génère des clivages et suscite de nouvelles craintes.
Nous identifions ensuite des éléments de rupture stratégique, en particulier les nouvelles technologies, la généralisation de stratégies hybrides, l’enhardissement des puissances régionales. Dans le stockage et le traitement des données, l’intelligence artificielle, la 5G, l’informatique quantique, l’énergie, apparaissent de nouvelles dépendances en matière de standards, de normes - qui dessinent d’ailleurs un nouveau champ de conflictualité affectant des domaines essentiels de la vie en société - ou d’approvisionnement. Ces nouvelles technologies entraînent l’extension de champs de confrontation, en particulier dans le cyberespace, dans l’espace exo-atmosphérique, dans le champ informationnel ou dans l’espace sous-marin - j’ai confié une mission sur ce dernier thème au chef d’état-major de la Marine.
Des compétiteurs étatiques usent de stratégies hybrides en combinant des modes d’action militaires et civils, directs et indirects, légaux et illégaux, en recourant non seulement à leurs armées mais aussi à des sociétés privées ou des milices, en utilisant des leviers aussi divers et complexes que les flux migratoires, la désinformation, la rétorsion économique, la pression directe sur des acteurs privés. Face à ces stratégies hybrides, nous pourrions être tentés de répondre par une sorte de contre-hybridité : je crois que nous devons résister à cette tentation, car ce serait contraire à nos valeurs et contraire au droit international de plus en plus mis à mal par ces stratégies hybrides ; cependant, nous devons réfléchir aux moyens de contrer ces stratégies, en les identifiant le plus précocement possible.
Nous devons par exemple constamment tenir compte de la désinformation à notre encontre. Nous décryptons ainsi l’affaire de Bounti, au Mali, qui a été l’occasion d’une tentative de déstabilisation de notre action au Sahel et de notre propre information. J’ai constaté récemment, que des propos que j’ai tenus dans un entretien avec un journal français donnaient lieu à des tentatives de désinformation en Estonie - des réseaux prétendant que j’aurais dit que la France se désolidariserait des États-Unis en cas de conflit avec la Chine, ce qui est tout à fait fantaisiste.
Quels enseignements tirer de ces analyses sur l’évolution des menaces ? En premier lieu, qu’elles ne remettent pas en cause la LPM ni l’ambition opérationnelle 2030, qui visent précisément à ce que notre pays dispose d’un modèle d’armée complet pour faire face à un conflit de haute intensité. Au-delà, nous avons un outil mieux adapté, dont le caractère complet relève le seuil d’engagement dans un conflit armé, face à des ennemis qui utilisent une stratégie hybride.
Cela dit, si notre stratégie est la bonne, nous devons renforcer nos capacités d’action dans les nouveaux espaces de conflictualité, en particulier dans le cyberespace, dans le spatial, dans le champ informationnel et dans l’espace sous-marin. Ce renforcement capacitaire est indispensable pour qualifier la menace et identifier les auteurs des attaques, il faut des moyens importants pour contrer les attaques et forcer leurs auteurs à sortir de leur ambiguïté.
Ce contexte stratégique avec des risques nouveaux à nos portes appelle une volonté forte d’y faire face et une réponse adaptée de l’Union européenne. Je reste un défenseur acharné de l’édification d’une Europe-puissance voulue par le Président de la République, pour laquelle nous devons, nous armées françaises, entraîner nos partenaires à agir, pour que l’Europe s’affirme comme un acteur stratégique disposant d’armées puissantes, modernes, aptes à jouer un rôle moteur dans les recompositions en cours.
La LPM n’a donc pas de raison d’être remise en cause dans ses fondements et il n’est pas nécessaire d’en changer le cap. Nos choix conservent leur pertinence, même si nous avons besoin d’un ajustement à la marge. Il est fondamental de maintenir nos grands équilibres capacitaires, en particulier pour garantir notre capacité à intervenir dans tous les milieux ; les Britanniques ne font pas ce choix et sont en train de bâtir un modèle d’armée différent, ce qui me semble risqué.
Les moyens mobilisés pour cet ajustement représentent 1 milliard d’euros sur les 295 milliards d’euros du périmètre de la LPM, nous visons l’efficacité et nous allons accélérer certains programmes et en décélérer d’autres. En réalité, nous faisons chaque année cet exercice d’ajustement de la programmation militaire. Celui que nous faisons cette année est plus important, nous nous projetons plus loin pour prendre en compte les ruptures stratégiques que nous avons identifiées.
Le premier axe d’ajustement vise à mieux détecter les menaces et à mieux attribuer les agressions dans les nouveaux espaces de conflictualité. Nous devons pour cela investir davantage dans les trois domaines que sont le cyberespace, le renseignement et la surveillance. Pour chaque domaine, cela se traduira par l’acquisition de capacités de stockage des données, de calcul et d’algorithmes - les livraisons interviendront à partir de 2023. Dans le cyber, l’accélération représente deux années pour certains programmes, pour obtenir une capacité structurante de traitement des données, de renseignement et de ce qu’on appelle désormais la lutte informatique d’influence - la L2I. Nous devons mieux détecter les faux comptes sur les réseaux, nous investissons aussi en cryptographie avec une nouvelle gamme de chiffreurs qui nous donnera une alternative aux matériels étrangers. En matière de renseignement, nous avons aussi besoin de capacités supplémentaires de stockage et de traitement, qui passeront notamment par le recours à des outils d’automatisation à base d’intelligence artificielle.
Ces changements comportent un enjeu de ressources humaines, car les métiers changent en profondeur et c’est un défi que nous relevons - en réalité, les armées sont en perpétuelle transformation, les nouveaux profils sont intégrés en continu y compris dans les unités combattantes. Cette réalité est méconnue car l’opinion a souvent l’image d’une armée qui n’évoluerait pas alors que, j’en suis convaincu, votre visite au porte-avions Charles-de-Gaulle vous aura montré combien nos métiers ont changé et comment nos équipements intègrent les développements les plus modernes de la technologie.
Dans les domaines de l’interception et de la surveillance, nous avons besoin de renforcer nos capacités d’interception et de localisation des émissions électromagnétiques, de surveillance de l’espace et d’investigation sous-marine. Nous utilisons par exemple des drones pour surveiller les grands fonds marins, un domaine très confidentiel et stratégique, tant les données qui passent par les câbles sous-marins sont devenues stratégiques.
Le deuxième axe vise à mieux se protéger en renforçant la capacité des armées à contribuer à une résilience accrue sur le territoire national, en particulier dans les domaines santé, NRBC et lutte anti-drones. Tout cela se fait dans la perspective de nos engagements sur des théâtres d’opération extérieurs mais aussi dans la perspective de grands événements sur le territoire national.
Dans le domaine nucléaire, radiologique, biologique et chimique, il s’agit de développer des contre-mesures médicales, avec le programme à effet majeur Cinabre, qui sera lancé avant l’été, et le développement d’une filière souveraine de réactifs biologiques. Dans le domaine de la lutte antidrone, nous prévoyons l’acquisition de moyens supplémentaires, notamment de brouillage. Dans le domaine de la santé, il s’agit de développer une capacité pérenne d’évacuation sur avions de transport - A400M et C-130J - et de lancer les premières études en vue du renouvellement des capacités Merope (module de réanimation pour les opérations) et Morphée (module de réanimation pour patient à haute élongation d’évacuation) sur MRTT (Multi Role Tanker Transport) ; on a recouru à ces capacités lors de la première vague de covid, avec des transferts médicaux entre zones.
J’en arrive à l’interministériel ; nous voulons garantir l’interopérabilité des armées avec les forces de sécurité intérieure, du point de vue des réseaux de transmissions et du commandement, notamment par le raccordement au réseau de radio du futur.
Le dernier axe consiste à mieux se préparer, c’est-à-dire à préparer nos armées à prendre l’ascendant sur des adversaires de plus en plus agiles. Il s’agit surtout de conforter l’effort de préparation opérationnelle des armées, en parallèle de ce qui est conduit en faveur de leur réparation et de leur modernisation. Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de l’élaboration de la LPM, nous avions sous-estimé les besoins en ressources budgétaires dans ces domaines. Aujourd’hui, il nous apparaît nécessaire de les renforcer, en rehaussant la disponibilité des équipements requis pour assurer une plus grande homogénéité de l’entraînement opérationnel, en compensant des fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire dans le domaine du maintien en condition opérationnelle et en améliorant les moyens permettant la valorisation de l’entraînement : simulation, centres de préparation opérationnelle et exercices, qui sont coûteux. Nous prévoyons d’ailleurs d’organiser en 2023 un exercice, dénommé Orion, qui sera multi-milieux, interarmées, interallié, de niveau divisionnaire et qui impliquera 17 000 à 20 000 hommes et 500 véhicules de l’armée de terre, deux porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l’armée de l’Air et de l’Espace. Enfin, il nous faut acquérir des moyens permettant de garantir la cohérence d’ensemble et la maîtrise par les armées de la force dans des environnements moins permissifs.
Il faut donc que nous renforcions les activités notamment de l’armée de terre et de l’armée de l’Air et de l’Espace, en augmentant les heures de vol de chasse et les heures d’entraînement sur blindés, à partir de 2022.
Puisque j’évoque l’exercice Orion, la question que se posent aujourd’hui les armées est celle de la manière de signifier notre détermination. C’est une autre façon de contrer des stratégies hybrides ; dans cette confrontation de volontés, nous devons penser que chacune de nos actions peut être, et doit pouvoir être, interprétée par nos compétiteurs ou par nos ennemis. Être capable de conduire un exercice de haute intensité participe de cette volonté de signifier à nos compétiteurs que nous nous défendons, que nous agissons et que nous sommes capables de contrer ces actions. Tout cela est un champ nouveau, qui passe par le renforcement des moyens de préparation opérationnelle des armées. Les exercices que cette préparation nous amène à réaliser constituent, en eux-mêmes, une forme de démonstration de puissance, donc de confrontation.
En conclusion, je souhaite revenir sur ce qui caractérise l’ensemble des travaux que nous avons conduits au sein des armées : la grande cohérence avec l’ambition d’un modèle complet, qui permet à la France de se défendre, de défendre ses intérêts et de peser sur la scène internationale. Ce modèle conserve, selon moi, toute sa pertinence et si les analyses récentes que nous avons faites nous amènent à quelques modifications, nous ne faisons qu’ajuster la trajectoire, nous ne changeons pas de cap ; il s’agit simplement de mieux prendre en compte des évolutions stratégiques et technologiques que nous observons.
L’ajustement nous paraît indispensable, mais il ne doit pas éclipser la LPM elle-même, qui est organisée autour de quatre axes : la « hauteur d’homme », le renouvellement des capacités opérationnelles, la garantie de l’autonomie stratégique de la France et le soutien à l’émergence d’une autonomie stratégique européenne, ainsi que l’innovation face aux défis futurs. Cette LPM marque un tournant pour les armées ; elle représente objectivement un effort important et elle marque une inflexion très nette par rapport aux deux LPM précédentes, ce n’est pas contestable. Si nous n’avions pas eu cette loi, le haut commandement militaire aurait été contraint de proposer aux politiques un certain nombre de renoncements, qui auraient déclassé la France ; il faut en être tout à fait conscient.
Pour autant, nous suivons avec attention l’exécution de cette LPM. Au-delà, la LPM suivante devra porter l’effort de modernisation des armées pour effectivement atteindre l’Ambition 2030.
[...]
M. Richard Yung. - Vous n’avez pas beaucoup parlé des coopérations internationales, au sein de l’OTAN ou de l’Union européenne. Pourtant, il y a là quelques marges de manœuvre. Vous avez évoqué un milliard d’euros... Vous avez évoqué des choix stratégiques des Britanniques qui semblaient vous poser problème. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Sont-ils en train de courir se jeter dans les bras de leur grand allié de l’autre côté de l’Atlantique ?
[...]
Général François Lecointre. - [...] En matière de coopération internationale, monsieur Yung, il y a, au sein de l’Union européenne, le Fonds européen de défense, doté de 7 milliards d’euros, ainsi qu’une facilité européenne pour la paix, dotée de 5 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Ainsi, tant du point de vue opérationnel que du point de vue de la construction de capacités, les choses se structurent autour de projets intéressants. La France est très investie pour faire des propositions.
Nous travaillons également au développement de l’état-major de l’Union européenne. Cet état-major existe déjà, mais il doit avoir des responsabilités dans la gestion de crise, dans la planification et la conduite d’opérations, dans l’élaboration de modèles capacitaires et de doctrines. Il s’agirait, en clair, d’un état-major ayant à peu près, au sein du Service européen pour l’action extérieure, les mêmes attributions qu’un état-major comme le nôtre et qui pourrait donc construire une défense européenne de manière plus efficace.
Au sein de l’OTAN, les coopérations se passent normalement, mais nous sommes attentifs à ne pas être entraînés à des dépenses excessives. Nous assumons pleinement notre participation à l’OTAN, nous sommes opérationnellement très engagés dans ses différentes missions - la mission « Althéa » qui se fait dans le cadre des accords « Berlin Plus », « Enhanced Forward Presence », « Enhanced Air Policy », etc. - et nous sommes un partenaire important, extrêmement attentif à assurer le respect de nos engagements.
Ce qui interroge dans les choix stratégiques des Britanniques, c’est qu’ils sont en train de déséquilibrer leur modèle. Ils avaient un modèle complet comme le nôtre, et ils font le choix de la puissance maritime, avec l’ambition affichée de prendre la direction de coalitions. Le fait d’abandonner un modèle complet équilibré, comme celui que nous prétendons consolider et préserver ne risque-t-il pas de mettre le Royaume-Uni en situation de dépendance par rapport à certains partenaires et de l’empêcher d’assumer ses engagements dans l’OTAN ? La question mérite d’être posée.