Claudine Lepage et moi-même arrivons le dimanche 18 juillet à Port au Prince où nous sommes accueillis par M. Christophe Quentel, premier conseiller, l’ambassadeur, M. Didier Le Bret étant en mission. C’est une visite qui était prévue au mois d’avril mais qui a dû être reportée à la suite des activités du volcan islandais. Après une panne de voiture sur la route de l’aéroport, nous devons changer de véhicule, nous arrivons sur la place centrale de Port au Prince où se trouve un vaste camp de réfugiés de 21000 personnes. Nous sommes arrivés en Haïti.
Lundi 19 juillet
La journée commence par une réunion de travail avec les chefs de service les premier et second conseillers, MM. Christophe Quentel et Alain Lafargue, le le colonel Espié, commandant la gendarmerie, le consul M. Jean-Pierre Guegan, la responsable adjointe du SCAC, Mme Chantal Roques, le responsable de la Mission économique, M. Bernard Dagouassat qui vient de rouvrir le poste.
R.Yung et Cl. Lepage entourés de Ch. Quentel, B. Dagouassat, du colonel Espié et de Ch. Roques
Le colonel commande les deux escadrons de gendarmerie mobile qui font partie des forces de maintien de l’ordre de la MINUSTAH (environ 80 hommes). Ils apportent un appui opérationnel à la police haïtienne (14000 hommes) et une formation spécifique à celle-ci.
La mission économique aide les entreprises françaises à se positionner favorablement dans les appels d’offres nombreux que l’aide internationale va générer ( 5 milliards $ pour les 3 prochaines années). Il souligne que la gourde (monnaie haïtienne) est stabilisée par rapport au dollar, l’économie étant «dollarisée» à 50%.
La mise en œuvre de cette aide a été confiée à une commission intérimaire coprésidée par le président haïtien et Bill Clinton mais qui tarde à se mettre à l’œuvre (6 mois après la catastrophe!) essentiellement pour des raisons bureaucratiques (mise au point du règlement intérieur).
Certes la reconstruction d’un pays est une entreprise qui doit être planifiée, concertée, toutes choses qui prennent du temps. La partie humanitaire a été et est toujours conduite avec efficacité (villages de toile, santé, nourriture). Malgré cela on constate un sentiment d’inefficacité, de lenteur qui est mal perçu dans la population. Par ricochet, les nombreuses ONG, souvent composées de personnes engagées et dévouées, sont considérées comme peu actives, ne se souciant pas ou peu des desirata de la population et des élus haïtiens et comme ayant des frais de fonctionnement excessifs (on parle de 30% de frais de gestion). Au total, les choses avancent lentement pour de multiples raisons tenant à la communauté internationale (règles bureaucratiques, volonté de contrôler l’emploi des fonds, volonté de favoriser les entreprises nationales du pays donateur, concertation faible avec les autorités du pays ou de la région….) mais aussi pour des raisons propres à Haïti (gouvernance déficiente, corruption, gestion oligopolistique de l’économie par « 20 » familles, faible esprit d’initiative et d’entreprise, très faible capacité technique,….). Il ya bien sûr des explications à chacune de ces critiques compte-tenu du séisme et de ses conséquences, mais prises ensemble, le résultat est un grand immobilisme et un moral faiblissant de la population. En réalité, ce drame terrible qui a fait 250 000 morts et 500 000 sans abri, n’a fait qu’accentuer fortement une situation politique, économique et sociale qui ne cesse de se dégrader au moins depuis l’accession de Duvalier au pouvoir.
Il existe un espoir que le séisme soit un choc suffisamment fort pour que Haïti s’engage dans une voie nouvelle de modernisation économique et sociale et que naisse une « nouvelle »société haïtienne. L’élection présidentielle à venir en novembre pourrait être l’occasion qu’apparaisse un homme neuf, porteur d’une telle espérance. Il nous est apparu cependant que cet espoir était bien mince.
Nous visitons ensuite les services consulaires : La chancellerie et service des Français : il ya 1500 français inscrits dont 60% de binationaux.
Cependant de nombreux Français venus avec les ONG ne s’inscrivent pas. Le poste dispose de 2,5 ETP pour cette gestion. La communauté est plutôt prospère avec seulement 12 allocations de solidarité versées à des religieux et 27 bourses plus 13 « PEC ».
Déjeuner de travail avec M. Christophe Quentel, premier conseiller, M. Jean-Pierre Guégan, consul adjoint, Mme Muriel Fitte-Duval (adjointe de chancellerie) et Mme Marine Cadorel (VP), consacré aux questions d’adoption.
Haïti est l’un des rares pays où l’adoption est encore insuffisamment contrôlée bien que les procédures soient extrêmement longues. Les crèches sont le pivot de l’adoption en Haïti. Les enfants adoptables, qui ne sont pas tous orphelins, sont enregistrés dans une crèche sans toujours y vivre, ils demeurent parfois dans leur famille. Les familles françaises qui souhaitent adopter, après avoir obtenu l’agrément et l’inscription au Service de l’adoption internationale, s’adressent à une crèche qui les « apparentent » à un enfant correspondant aux critères qu’ils ont émis. A partir de ce moment la famille française finance la crèche selon différents modèles pour l’entretien de l’enfant et les formalités administratives côté haïtien. En effet un mandataire est nécessaire, directrices de crèches ou avocats, pour obtenir différentes autorisations et enfin le jugement qui attribuera officiellement l’enfant à la famille adoptante. Il n’est pas absurde de penser que certaines directrices de crèche ont intérêt à faire durer les procédures…
Une fois le jugement prononcé, l’enfant doit obtenir un passeport haïtien puis un visa des autorités consulaires pour entrer sur le territoire français avec sa nouvelle famille qu’il ne connaît pas toujours. La dernière partie des formalités (qui sont au nombre total de 26) se fait aujourd’hui plus rapidement mais seulement lorsque le jugement a été prononcé. Aujourd’hui les crèches continuent à apparenter des enfants mais il faut savoir que, depuis le 13 janvier 2010 et jusqu’à nouvel ordre, aucun nouveau dossier n’est enregistré au Service d’adoption internationale. En conséquence, aucune attribution d’enfant par une crèche, intervenue après cette date, n’est prise en considération et aucun visa long séjour adoption n’est accordé.
Nous visitons l’après midi la crèche Notre Dame de la Nativité et puis celle de Notre Dame des Victoires. La première située dans le sud de Port au Prince bénéficie d’un grand terrain ombragé. Un des bâtiments a été détruit lors du séisme, provoquant la mort d’une trentaine d’enfants, les décombres sont toujours là et tous les corps n’ont pas été retrouvés. Pour abriter les enfants, dont les effectifs sont remontés à une soixantaine depuis janvier la protection civile a installé des bâtiments en contreplaqué. Les enfants âgés de quelques mois à 5/6 ans sont propres, et donnent l’impression d’être bien nourris et vêtus correctement. Un petit groupe formé des plus grands nous accueille par un chant de bienvenue en créole, en français et en anglais. Nous allons voir les plus nombreux des enfants âgés de 2/3ans qui sont tous assis sur une petite chaise et nous paraissent terriblement apathiques. Les nourrices, assez nombreuses s’occupent tant bien que mal des enfants mais aucune activité ne leur est proposée. Tous semblent traumatisés par le séisme. Nous discutons avec la directrice de la crèche, nous rencontrons un papa adoptant qui a perdu un enfant dans le séisme et vient d’en adopter un autre et une maman avec sa fille en cours d’adoption dans les bras.
Nous nous rendons dans la deuxième crèche, Notre Dame des Victoires, tenue par une religieuse que l’on sent énergique malgré son grand âge et la maladie. Un des bâtiments a également souffert du séisme, il tient encore debout mais doit être réhabilité. Les enfants, moins nombreux, sont logés dans des locaux assez sombres mais ils sont rieurs et espiègles comme on s’y attend avec des petits enfants de cet âge.
Nous visitons ensuite l’Institut Français d’Haïti avec M. Daniel Redet, directeur des cours qui nous montre les bâtiments reconstruits en urgence pour la rentrée et qui permettront d’accueillir 2500 apprenants de français. C’est une réalisation rapide et efficace tout à l’honneur de l’Institut.
Mardi 20 juillet
La matinée débute tôt avec un entretien avec Mme Magali Combeau-Denis, conseillère spéciale auprès de la Ministre de la Culture et de la Communication à son domicile. Nous sommes accompagnés de Mme Chantal Roques su SCAC. Mme Magali Combeau-Denis nous parle du projet de réhabilitation du site du Ciné-théâtre « Le Triomphe » situé sur le Champ de Mars, la place principale de Port au Prince et qui nécessite un investissement d’environ 10 millions d’euros. Le ministre de la culture Fréderic Mitterrand s’est montré très intéressé lors de sa visite fin juin en Haïti. Mme Magali Combeau-Denis apprécie l’intérêt de Frédéric Mitterrand mais elle insiste cependant sur le fait qu’il s’agit bien d’un projet personnel haïtien. Elle souhaiterait faire du Triomphe un lieu de création, de diffusion culturelle, d’échanges. Elle aimerait également mettre en place rapidement une formation dans le secteur cinématographique. Cette formation pourrait se faire sous l’égide du SCAC avec la Fondation France.
Le Président du Sénat, M. Kély Bastien, président du Sénat et le président de la commission des affaires étrangères, M. Wencelas Lambert (élu de Jacmel) nous rendent visite à l’ambassade. M. Bastien espère qu’après les élections de novembre, le nouveau parlement pourra approuver la réforme de la constitution (réforme électorale, création d’une cour constitutionnelle, possibilité de la double nationalité) ainsi que la loi réformant l’adoption qui est essentielle pour la France.
Nous déjeunons avec M. Christophe Quentel et M. Gilles Damais de la banque Interaméricaine de développement qui en détaille les activités (premier bailleur de fonds multilatéral avec une enveloppe de 800 millions $ en dons – il n’y a plus de prêts car la dette publique ayant été annulée, Haïti s’est engagé en contrepartie à ne pas de se réendetter). Principaux secteurs : routes, centrales hydro, prévention du risque des eaux avec un système d’alerte avancée en cas de fortes pluies), agriculture (il n’y a aucun financement de la production agricole).
L’après midi nous visitons le projet Ayiti Education de M. Joël Gouy qui a mis en place une école normale d’instituteurs et une école d’application. L’école normale accueille 90 futurs instituteurs qui parlent tous un très bon français et seront ainsi en mesure d’enseigner dans cette langue. Lorsque nous arrivons, ils sont rassemblés dans une salle et nous souhaitent la bienvenue par un chœur remarquable. Après les discours d’usage ils prennent congé de nous par un autre chant, magnifique. Ils sont pressés de rentrer chez eux, le jour commence à baisser et l’orage menace. Nous visitons les locaux. Les immeubles ont résisté au séisme et la construction du bâtiment qui n’était pas terminée et continue. C’est le projet d’un homme engagé persévérant qui a su trouver des aides financières auprès d’associations en France, du Conseil général du Maine et Loire, de la ville de Nantes etc. Les enfants de l’école d’application ne sont pas là car ils n’ont pas cours l’après midi. En revanche l’établissement accueille l’après midi les enfants des quartiers avoisinants dont les écoles ont été détruites lors du séisme.
Puis nous rencontrons M. Patrick Salles, directeur de l’AFD, active dans les domaines suivants :
- Développement urbain avec un gros projet sur Jacmel ( contrôle de la rivière, gestion des déchets)
- Microfinances
- Education : recensement et notation des enseignants
- Santé ( HIV et protection infantile et maternelle)
- Agriculture : canaux d’irrigation et retenues d’eaux en montagne
Après le séisme, trois nouvelles actions ont été ajoutées dont la réhabilitation de l’hôpital principal de Port au prince (30 millions €).
Le soir, dîner avec le colonel commandant de la Légion étrangère commandant les forces militaires de la MINUSTAH, chargés du maintien de l’ordre dans l’île (contingent brésilien, espagnol, italien, népalais, péruvien, bolivien, jordanien) avec les volontaires du service civique (premier contingent depuis leur création par la loi Hirsch) et les volontaires du service militaire adapté (jeunes originaires des DTA qui ont ainsi l’occasion de faire une formation professionnelle). Les jeunes filles que nous rencontrons manifestent un grand enthousiasme pour leur travail et de leur expérience. Le seul point noir réside dans les moyens (elles reçoivent 640 $ par mois dont 200 leur sont retenus pour le logement et la nourriture sur la base militaire). Elles ne disposent pas de voiture pour se déplacer, ce qui est pénalisant dans un pays où il existe peu de moyens de transports publics et où la sécurité commande de ne pas sortir.
Mercredi 21 juillet
La journée est consacrée à une visite de la ville de Jacmel située au sud de Port au Prince. Nous sommes accompagnés de M. Alain Lafargue. Nous y sommes accueillis par Mme Grazyna Krecka, directrice de l’Alliance française.
Aux côtés de Mme Krecka
Nous rencontrons le maire, M. Edwin Zenny, forte personnalité d’origine commerçante qui regrette que les projets de coopération pour sa ville tant avec l’AFD qu’avec la ville de Strasbourg, n’avancent pas en raison d’une élaboration sans concertation avec les autorités locales. Il souhaiterait que les fonds lui soient versés directement et qu’il puisse les utiliser selon les besoins locaux. Ceci ne parait guère faisable tant sur le plan des finances publiques que par déontologie. Il réclame par ailleurs plus de décentralisation dans le fonctionnement des institutions haïtiennes et singulièrement les communes. Candidat aux élections sénatoriales, il regrette que rien n’ait été fait depuis la chute des Duvalier!
Réunion avec M. Zenny
Puis nous visitons l’Alliance française avec sa directrice Mme Grazyna Krecka, très dynamique et pleine de confiance dans l’avenir malgré les difficultés que pose la fragilisation de son beau bâtiment après le tremblement de terre. Elle nous montre les belles maisons fin de siècle à l’époque où Jacmel était une ville prospère avec une riche activité culturelle.
Dans les locaux de l'Alliance Française
L’après midi, un saut au lycée Alcibiade Pommayrac, institution privée entièrement financée par Mme Roussillon née Seydoux. La MLF s’ occupe du volet pédagogique. L’établissement accueille 800 enfants environ de nationalité haïtienne qui préparent à la fois un bac haïtien et un bac français. Très belle réalisation que nous montre Mme Gehy, directrice générale adjointe.
Jeudi 22 juillet
Avant le vol de retour, nous visitons le parc de l’ancienne résidence de France (entièrement détruite) avec le colonel Espié et ses adjoints. Les gendarmes mobiles sont installés sous tente, de manière quelque peu précaire dans la chaleur et les moustiques mais seront bientôt regroupés dans une villa voisine (il n’y aura plus qu’un escadron).
Nous passons au Lycée Alexandre Dumas situé sur le même terrain que l’ambassade. Aucun bâtiment ne s’est effondré lors du séisme. Cependant le bâtiment du primaire, trop endommagé, doit être reconstruit. Nous sommes dans la phase de démolition et les ouvriers travaillent à la pioche et au marteau piqueur car l’état de la route jusqu’à l’école ne permet pas de faire venir de pelleteuses.
Vendredi 23 juillet
Retour à Paris