Je fais presque toutes les visites avec Cédric Etlicher, le conseiller de la circonscription à l’Assemblée des Français de l’Étranger (AFE) et qui couvre tous les pays de la CEI (12).
Cédric, membre du groupe ADFE, est par ailleurs chef d’entreprise dans le domaine de la distribution de parfums et produits de maison et dans le groupe Yves Rocher. Ayant créé lui-même son propre réseau, il connaît bien les réalités de la Russie et de la région.
Je le remercie ainsi que M. Jean Ulric Cillard, consul à Moscou, pour avoir organisé les rendez vous et les rencontres dont il sera question dans cette relation de voyage.
Je remercie également M. Jean de Gliniasty, notre ambassadeur, pour l’aide que tous ses services m’ont apporté et pour la réception qu’il a offerte le 12 octobre à la communauté française et qui m’a permis de rencontrer de nombreux compatriotes.
L’impression générale que j’ai de la situation politique russe est celle d’un retour vers plusieurs valeurs qui ont hanté son passé tout en se tournant vers la modernisation de l’économie et le rapprochement avec l’Europe. C’est une démarche complexe à appréhender pour nous, presque schizophrénique :
- la peur de l’encerclement, paradoxale pour un empire avec des frontières aussi longues même si c'est un vieux tropisme (voir politique tsariste au Caucase et en Afghanistan)
- un nationalisme culturel, militaire fort qui a souffert dans les années 1990 lors de l’effondrement de l’URSS mais qui revient sur le devant de la scène ; se manifeste en autre la volonté de suivre « une voie russe » qui n’a pas à recevoir de leçons de l’Occident
- l’affirmation d’une Russie grande puissance
- une centralisation de tous les pouvoirs et dans tous les domaines qui va avec un autoritarisme fort, la place prépondérante des services et des hommes liés à l’appareil répressif ou de force de l’Etat (« aux organes » dit on ici dans une expression doublement savoureuse)
- le peu d’intérêt de l’opinion en général pour des débats sur la démocratie, les droits de l’homme, les libertés publiques et individuelles qui va de pair avec la répression et les assassinats dont sont victimes les militants de ces causes
- une corruption très forte à tous les niveaux dans l’appareil d’Etat et dans les entreprises
- une certaine incapacité à gérer une économie de marché réelle
Mais une fois que l’on a dit tout cela, sans doute en forçant le trait, il faut aussi dire que la Russie a fait le choix de l’occident, d’une politique de bon voisinage avec l’Union européenne et que peut naître une Russie nouvelle qui aura effectivement suivit sa voie propre et qui aura construit son propre modèle en particulier pour la modernisation de l’économie.
Nous pouvons sans doute l’aider (même si c’est à la marge) en ayant une attitude constructive, respectant la volonté d’autonomie russe mais en bâtissant des relations fortes avec ce voisin si important sur tous les plans. C’est la différence avec les États-Unis pour qui la Russie est un partenaire « seulement » stratégique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui où les relations entre l’Union européenne et la Russie sont en eau basse. Chacun se méfie de l’autre, lui renvoie une image négative et lui prête des arrières pensées que ce soit dans la politique énergétique, les questions de justice et de droits de l’homme et plus grave encore dans le domaine de la politique étrangère et dans celui de la défense et de la sécurité.
Les relations bilatérales franco-russes sont, semble-t-il, dans une meilleure conjoncture même si notre pays perd des parts de marché sur le plan économique et sur celui de la langue.
Lundi 12 octobre
Nous débutons la journée par une visite au lycée français Alexandre Dumas avec M. Jean-Luc Goester, Conseiller de coopération et d’action culturelle (dit COCAC dans le jargon du Quai).
Nous rencontrons M. Jean Lefebvre, nouveau proviseur, M. Michel Sénéchal son adjoint, déjà rencontré en 2006
Je suis déjà venu début 2006 (voir mon compte-rendu de l’époque). La question prioritaire de l’extension de la capacité d’accueil du lycée était déjà sur la table avec plusieurs possibilités qui étaient alors étudiées. Entre-temps (presque 4 ans donc), il n’y a pas eu de progrès.
Le secteur public français n’est pas bien organisé pour mener des projets immobiliers, d’autant que le MAE et avec lui, l’AEFE, est en état d’appauvrissement permanent. A cela s’ajoute la bureaucratie ou la rouerie des pays dits partenaires et le résultat en est le blocage des projets immobiliers.
Un terrain a été offert par la mairie de Moscou à Babouchkinski, éloigné du centre ville, mais la localisation s’est heurtée aux parents et enseignants. Ce projet est abandonné, la mairie de Moscou ayant fait savoir qu’elle ne pouvait le financer et l’AEFE n’ayant pas les crédits pour le faire.
Il y a donc nécessité à agir d’urgence pour définir une nouvelle solution faute de quoi le lycée sera obligé de limiter les admissions. Je pense personnellement que les parents et les entreprises françaises, en y associant des parents russes francophiles, devront mener le projet.
Il y a également et plus urgemment encore, la fermeture en Juin 2010 de l’école russe 12-16, à proximité de l’école française, qui prêtait ses salles de sports. Le risque est non négligeable que nos élèves n’aient pas de salle de sport à la prochaine rentrée.
Une discussion avec les enseignants nous permet de faire le point sur leurs problèmes (évolution des rémunérations à la baisse, rotation trop grande) même s’il faut souligner que des progrès ont été faits pour ce qui concerne les conditions d’emploi des contrats locaux (couverture sociale, retraite, ….)
Je leur écrirai à ce sujet.
Nous sommes ensuite invités à l’inauguration du projet de reboisement financé par la fondation Yves Rocher dirigée par Bruno Leproux (et où travaille Cédric Etlicher) au jardin botanique de l’Université de Moscou, où nous plantons symboliquement plusieurs arbres.
L’après midi un entretien avec MM. Alexander Brechalov et Konstantin Petrakov, respectivement vice-président et directeur des relations internationales d’OPORA (all russian organisation of small and medium business), l’équivalent russe de la CGPME.
Je suis accompagné de M. Philippe Pégorier, nouveau conseiller commercial.
Nous explorons les voies possibles pour aider les PME françaises à pénétrer le marché russe.
M. Jean de Gliniasty, notre ambassadeur, me reçoit ensuite pour un briefing sur la situation russe et sur les questions concernant la communauté française. Il me confirme l’abandon du projet de relocalisation de l’école française à Babouchkinski.
Un cocktail me permet ensuite de rencontrer de nombreux compatriotes, en particulier dans les entreprises installées en Russie.
Un entretien avec la magistrate de liaison me montre que les problèmes de garde voire d’enlèvement d’enfant dans les couples qui se déchirent ne sont pas rares et méritent un travail de fond (voir ce qu’une association comme SOS papa fait pour les enfants franco-japonais).
Le soir, dîner avec mon ami Alexander Grigoriev, président de l’Office eurasiatique des brevets.
Mardi 13 octobre
Visite du consulat avec M. Jean Ulric Cillard, notre Consul et Mme Caroline Gaglione-Guenon, consule adjointe.
La saisie des données biométriques pour les passeports se révèle longue : 20 à 30 minutes. De plus l’obligation de deux déplacements (une pour la saisie des données l’autre pour retirer le passeport) est une contrainte lourde pour les Français qui sont éloignés de Moscou. Il serait nécessaire de mettre à disposition des mallettes de saisie permettant de décentraliser celle-ci par exemple par les consuls honoraire (dont le nombre devrait s’accroître vu la taille du pays et les communautés françaises en province).
Avec Mme Bobenrieth, nous visitons le service des visas, toujours le premier du monde avec 250 à 300 000 demandes par an (soit une recette de 10 millions d'euros). L’examen des dossiers a été externalisé mais il reste la décision d’accorder ou non le visa (2 à 3% de refus).
La solution de bon sens est de rapidement arrêter ce système peu efficace et coûteux en personnel (pour le MAE) mais une décision communautaire est nécessaire puisque nous sommes dans le cadre de Schengen.
Entretien avec M. Jean- Luc Goester, responsable non seulement des questions scolaires et universitaires mais de toutes les actions culturelles de coopération, très diversifiées dans un pays aussi important. Nous nous rendons ensuite à l’école maternelle et primaire qui est située dans ce qu’on appelle ici « l’immeuble de France » situé en face de l’ambassade et qui abrite plusieurs services français, nous y avons 21 classes dont 9 maternelles réparties sur plusieurs étages (peu optimum). Une des questions difficiles est celui du manque de terrains de sport et de gymnases. Il a fallu y installer le 1er cycle à cause du manque de place sur le site principal du lycée.
Je revois M. le Consul pour un déjeuner avec les chefs d’îlots qui permet de faire le point sur les questions de sécurité de nos résidents français à Moscou.
L’après-midi est consacré aux contacts avec certains responsables politiques russes. Je suis accompagné de Cédric Etlicher.
A la Douma, entretien avec Tatiana Moskalkova, députée et vice-présidente du comité CEI et des relations avec les Russes de l’étranger. Son parti qui se revendique d’inspiration social démocrate et qui est observateur à l’IS, compte 38 députés à la Douma (sur 450).
Elle m’expose les orientations de son parti dans le domaine social qui est probablement le seul domaine dans lequel « Russie juste » se démarque de « Russie unie » de Poutine and Co : Fiscalité sur le revenu plus progressive, aide au pouvoir d’achat des plus démunis.
Pour le reste on se prend à accorder foi à l’idée que c’est une création contrôlée par le pouvoir central pour figurer une opposition sage et docile. Ainsi Russie juste a soutenu les candidatures présidentielles de Poutine et Medvedev. Ils en sont du reste mal récompensés puisque lors des élections municipales et régionales du dimanche 11 octobre, ils ont été écartés, sans doute par la fraude, des conseils municipaux des principales villes du pays.
Les chances de M. Sergueï Mironov (leader de Russie juste) d’accéder à la présidence sont extrêmement réduites, voir nulles d’autant que Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev vont continuer leur numéro bien rodé de duettistes qui leur permettra de rester au pouvoir pendant plusieurs lustres.
Ensuite, visite au Conseil de la Fédération, qui est une sorte de Sénat composé de conseillers certains élus d’autres nommés par des provinces, avec moins de pouvoirs que le Sénat français (cela n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance compte tenu de la centralisation du système de pouvoir russe, « la verticalité » chère à Poutine. J’y rencontre Alexander Podlevov spécialiste de politique étrangère. A mes questions sur la situation en Georgie, il répond par l’affirmation de « l’agression géorgienne contre l’Ossétie du Sud dont les habitants ont demandé la protection russe et qui devrait devenir un État indépendant » (sic). On voit qu’il y a encore du chemin à faire.
Il déplore par ailleurs qu’aucun dirigeant du PS français n’ait visité la Russie depuis plus de 20 ans malgré des invitations réitérées. (C’est une situation que je connais bien puisque depuis 1995 les responsables de notre parti n’ont rendu aucune visite à aucun pays significatif en dehors d’Europe). Le narcissisme franco-français n’est pas un vain mot.
En quittant le parlement nous visitons la Fondation Russie Juste avec l’ami Boris Guseletov. C’est une fondation d’études et de recherche sur le modèle de la fondation Jean Jaurès avec laquelle elle a des liens d’amitiés.
Le soir dîner avec les sections ADFE et PS.
Mercredi 14 octobre
Petit-déjeuner avec le Club France, forme moscovite de la Chambre de commerce (directeur M. Pavel Chinsky) avec une trentaine de représentants d’entreprises russes ou françaises.
J’explique en quoi consiste le travail d’un sénateur des Français à l’étranger et je présente Cédric Etlicher. Suit une séance de questions-réponses sur des sujets relatifs a la vie des Français expatries et aux questions économiques.
Nous nous rendons ensuite au Centre culturel français dirigé par Dominique Jambon que j’avais déjà rencontré lors de ma précédente visite. Il est maintenant assisté par Nathalie Lemaire comme secrétaire générale. Nous parlons surtout, avec M. Goester, conseiller culturel, du projet d’institut culturel commun avec l’Allemagne. Une des questions qui restent à trancher est la fore de la participation financière, soit sous forme d’une prise de participation de 7,5 millions euros soit sous forme de loyer.
M. le Consul offre ensuite un déjeuner avec les présidents des associations françaises : Moscou accueil, l’APENG (parents d’élèves), la Chambre de commerce française en Russie,… et des responsables de l’ambassade.
Je découvre en particulier le CUF (Collège universitaire français, directeur : Guillaume Garreta) qui forme les étudiants des bonnes universités russes au niveau Master 1 en sciences humaines, les meilleurs des étudiants obtenant ensuite des bourses pour poursuivre leurs études (Master 2, thèse, ...) en France dans les Universités partenaires. 500 à 600 étudiants suivent cette formation qui me semble être un travail intelligent pour créer des réseaux d’influence.