Nicole Castioni, une Franco-Suisse de 53 ans, brigue les suffrages pour représenter les Français de l’étranger aux élections législatives de 2012. Portrait
Son passé, elle l’a enterré. Pantalon et polo noir certes, mais un regard enjoué plein de charisme et de séduction. La cinquantaine heureuse. Un visage aux traits incroyablement lisses, comme si ses souffrances passées n’avaient pas voulu laisser de traces. Sa beauté de tragédienne la fait ressembler à Mélina Mercouri qui fut l’égérie de la résistance grecque à la dictature au début des années 1970. D’une famille genevoise, protestante et bourgeoise, Nicole Castioni est remarquée très jeune pour son physique. « Un corps de rêve ! 85-60-90 ! », se rappelle un de ses amis d’enfance. À 18 ans, on lui propose d’être mannequin. Elle accepte. « Si je dois réussir dans la vie, ce sera par mon corps », écrit-elle dans son autobiographie(1). S’empressant de préciser que c’était « surtout pour oublier [son] enfance piétinée ». Car, dès l’âge de 8 ans, elle est abusée sexuellement par un ami de ses parents. « Je le leur ai dit mais ils ont toujours refusé de voir l’évidence. C’était plus fort qu’eux. » L’enfer dure six ans. Il a « faussé tous mes repères et m’a fait me haïr. » À 21 ans, n’ayant plus d’autre atout que celui de « miser sur son corps », elle se présente à l’élection de Miss Suisse. C’est l’échec : elle arrive quatrième sur vingt-huit candidates. Elle se cherche une autre voie. Au théâtre, dans « les Hauts de Hurle-vent », mis en scène par Robert Hossein, elle fait de la figuration. Au cinéma, elle parvient à dire deux phrases dans « Sauve qui peut la vie », un film de Jean-Luc Godard avec Nathalie Baye et Jacques Dutronc.
Et puis le vide. Tout bascule quand sa route croise celle de Jean-Michel, un playboy arnaqueur qui prétendait faire d’elle mieux qu’un simple mannequin, une star. Il la flatte. Ivre de passion pour lui, elle le croit. Il la fait rêver en lui offrant bijoux, cadeaux et voyages. Le conte de fées se révèle être du bluff. Au bout d’un an, plus d’argent. Le couple est en perdition. L’unique solution pour Jean-Michel : que Nicole se prostitue. « Je l’aimais follement. Il était beau, intelligent, malin et charismatique. » Elle devient Gilda. « Nicole était morte, tuée par la drogue et l’amour. Avec Gilda, j’entrais dans un dangereux processus schizophrénique. Je voulais m’humilier pour me venger. » « C’est sexy, Gilda, comme prénom », m’a dit une amie prostituée, avant de m’enseigner les rudiments du métier. « Le client doit payer avant. Rue Saint-Denis, c’est 150 francs habillée [environ 22 euros : ndlr], 200 francs nue. Pour l’ordinaire, tu ne proposes pas de préservatifs s’ils n’en demandent pas. » A 21 ans à peine, elle arpente les trottoirs de Paris, rue Saint-Denis. Le début d’une incroyable descente aux enfers, entre 1980 et 1985. « Je louais un studio qui appartenait... à la mère de Jean-Michel. Je gagnais en moyenne 3 500 francs par jour. Et je travaillais vingt jours par mois pour un revenu mensuel de 70 000 francs. Là-dessus, 20 000 francs passaient dans la poche d’un flic pour que personne ne s’intéresse à mes papiers suisses, 10 000 autres dans celle de Mouche, la mère maquerelle et propriétaire du studio. Les 40 000 restants étaient pour Jean-Michel et alimentaient notre train de vie fastueux, et surtout le dealer qui nous fournissait la coke. Rien à la banque et rien pour moi. Je me suis mise à la cocaïne, car les coups, le froid, les fous ont fini par m’anéantir. Je voulais arrêter mais j’étais tellement accrochée et surtout terrorisée parmon type que je n’y arrivais pas. »
Une hépatite aiguë la sort de l’enfer. Elle retourne chez elle à Genève. Une fois remise, elle cherche du travail. N’importe quoi pourvu qu’elle se reconstruise : standardiste, gérance immobilière, tout en suivant des cours à la faculté de psychologie pour devenir juge assesseur au tribunal. Inscrite au Parti socialiste suisse, elle est élue conseillère municipale, puis députée de Genève en 1993, réélue deux ans plus tard. Une trajectoire incroyable, qui n’est pas finie. Elle brigue désormais l’élection à l’Assemblée nationale, le 3 juin prochain, sous les couleurs socialistes. Nicole Castioni se présente devant les Français résidant en Suisse et au Liechtenstein, qui constituent la sixième circonscription électorale(2). Son passé lui « donne une certaine compétence sur des sujets comme les violences faites aux femmes, la précarité ou l’enfance s, note-t-elle. Femme libre et «blindée », elle connaît ses dossiers par cœur : l’enfance malheureuse, les femmes battues, l’injustice sociale. Et même si les Français de Suisse votent plutôt à droite, elle croit en ses chances.
ALAIN CHOUFFAN, Nouvel Obs 24 nov. 2011
(1) « Le Soleil au bout de la nuit », Albin Michel
(2) Pour la première fois, près d’un million et demi de Français vivant à l’étranger – dont 120 000 en Suisse – sont invités à participer aux élections législatives pour élire 11 députés au Palais-Bourbon.