À la fin de l’année dernière, le Gouvernement avait lancé une réflexion sur la remise à plat de la fiscalité. L’objectif est de parvenir à des règles d'imposition plus justes, plus simples, plus lisibles, plus stables et plus favorables à la croissance, la compétitivité et l'emploi.
Pour mener à bien ce vaste chantier, un comité de pilotage a été créé autour du Premier ministre. Deux groupes de travail (l’un sur la fiscalité des ménages, l’autre sur celle des entreprises) ont également été constitués. Associant parlementaires (de la majorité et de l'opposition), experts et partenaires sociaux, ils sont chargés de formuler des propositions qui serviront notamment de base à l'élaboration du projet de loi de finances pour 2015.
Souhaitant prendre part à cette réflexion, Jean-Yves LECONTE, Claudine LEPAGE et moi-même avons adressé une contribution, que vous trouverez ci-dessous, aux deux co-présidents du groupe de travail sur la fiscalité des ménages, Dominique LEFEBVRE, député du Val-d'Oise, et François AUVIGNE, inspecteur général des finances.
Monsieur le Député,
Nous souhaitons attirer votre attention sur un sujet qui mériterait, à notre sens, d’être abordé dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité: le mode d’imposition des revenus des Français fiscalement domiciliés à l’étranger.
Comme vous le savez sans doute, la grande majorité des 2,5 millions de Français établis hors de France sont assujettis à l’impôt dans leur pays de résidence. D’autres, en revanche, ont le statut fiscal de non-résident et restent ainsi assujettis à différents impôts dans notre pays, selon des règles qui sont parfois contestables au regard du principe d’égalité devant l’impôt.
Nous sommes fréquemment saisis par des contribuables qui s’estiment discriminés. Ils critiquent notamment le principe selon lequel les personnes ayant leur domicile fiscal hors de France ne peuvent déduire aucune charge de leur revenu global imposable.
Posé à l’article 164 A du code général des impôts, ce principe est notamment motivé par le fait que l’impôt dont les non-résidents sont redevables en France est établi uniquement sur leurs revenus de source française – ou sur leurs revenus dont l’imposition est attribuée par la France par une convention fiscale – alors que les charges sont un emploi de l’ensemble de leurs revenus, incluant donc les revenus de source étrangère.
En d’autres termes, ce principe vise à éviter qu’en cas de disproportion significative entre le revenu de source française et le revenu de source étrangère – notamment dans le cas où ce dernier serait très nettement supérieur au premier – la déductibilité ne permette d’échapper purement et simplement à toute imposition. Il semble également que l’autorisation d’une telle déductibilité pourrait parfois aboutir à une double déduction de la même charge, à la fois en France et dans le pays ou le contribuable a sa résidence fiscale.
En pratique cependant, force est de constater que l’application de ce principe général pose problème lorsque le non-résident ne perçoit aucun ou quasiment aucun revenu de source étrangère. Dans ce cas, certaines charges normalement non déductibles peuvent en effet faire l’objet d’une double imposition, à la fois au titre des revenus de la personne non domiciliée en France et au titre de ceux de la personne attributaire. Tel est notamment le cas des pensions alimentaires et des prestations compensatoires.
Partant de ce constat, nous avions déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2014 afin de permettre la déductibilité des charges supportées par les non-résidents établis dans les États tiers à l'Union européenne (UE) et à l'Espace économique européen (EEE) dont les revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75% de leur revenu mondial imposable.
Ce faisant, nous proposions de traiter de façon identique ces non-résidents et ceux qui sont établis dans un autre État membre de l’UE, en Islande, au Liechtenstein ou en Norvège. En effet, ces derniers, plus communément appelés "non-résidents Schumacker", sont déjà autorisés à déduire de leur revenu global certaines charges lorsque leurs revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75% de leur revenu mondial imposable. Cette possibilité résulte de l’entrée en vigueur d’une instruction fiscale du 13 janvier 2012, qui tire les conséquences d’un arrêt du 14 février 1995 de la Cour de justice de l'Union européenne.
Lors de la séance publique du 22 novembre dernier, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, M. François MARC, avait apporté son soutien à notre amendement – finalement rejeté –, estimant que la jurisprudence dite "Schumacker" "a pu faire naître le sentiment d’une forme de discrimination au détriment de nos compatriotes établis, par exemple, en Tunisie, au Canada ou aux États-Unis, bref dans un État tiers à l’Espace économique européen". D’après notre collègue, la solution que nous souhaitions faire adopter était "raisonnable" car elle concernait des non-résidents qui "contribuent […] déjà de manière importante à l’impôt en France".
Un autre sujet qui suscite beaucoup de mécontentement parmi nos concitoyens fiscalement domiciliés à l’étranger concerne la différence de traitement entre les non-résidents en matière d’imposition des plus-values immobilières réalisées en France.
Actuellement, le taux d’imposition de ces revenus varie selon le pays de résidence du cédant. L’article 244 bis A du code général des impôts prévoit un prélèvement forfaitaire libératoire de droit commun de 33,33%. Ce taux est réduit à 19% pour les non-résidents dont le domicile fiscal se situe dans un État membre de l’EEE. Il est enfin porté à 75% pour les non-résidents qui sont établis dans les États et territoires non coopératifs (ETNC).
Ces différents taux d’imposition, auxquels viennent s’ajouter les prélèvements sociaux, sont certes applicables sous réserve des conventions fiscales. Cependant, certaines conventions ne sont pas correctement appliquées. Tel est notamment le cas de celle qui lie la France et la Suisse. Dans un arrêt du 20 novembre 2013, le Conseil d’État a ainsi décidé que l’application du taux majoré de 33,33% aux plus-values immobilières réalisées par des résidents suisses n’est pas compatible avec la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, qui comprend une clause de non-discrimination.
En 2012 et 2013, nous avions proposé, en vain, de mettre un terme à la différence de traitement qui a été instituée par la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 et la loi du 31 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004. Ce sont en effet ces deux textes qui ont aligné le taux d’imposition des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents fiscaux établis dans un État européen sur celui des plus-values réalisées par les personnes fiscalement domiciliées en France, conformément au principe communautaire de libre circulation des capitaux.
Nous sommes régulièrement interpellés par des Français résidant fiscalement dans les pays tiers à l’EEE qui ne comprennent pas pourquoi ils sont soumis à une sur-taxation lorsqu’ils réalisent une plus-value à l’occasion de la vente d’un bien immobilier situé en France.
Nous partageons entièrement leur sentiment car, de notre point de vue, rien ne s’oppose en droit à ce que les contribuables non-résidents établis dans les États tiers à l’EEE soient placés sur un pied d’égalité avec ceux qui sont domiciliés dans les États membres de l’EEE. Par ailleurs, nous pensons que le passage du taux de droit commun de 33,33% à 19% contribuerait à "fluidifier" encore davantage le marché immobilier.
Par ailleurs, nous souhaitons appeler votre attention sur l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers (revenus fonciers et plus-values) de source française perçus par les personnes fiscalement domiciliées à l’étranger.
Prévue par la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, cette mesure fait l’objet de contestations récurrentes de la part de non-résidents qui ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire français d’assurance maladie. Ils estiment que la soumission de leurs revenus immobiliers à des prélèvements dont le produit est exclusivement affecté au financement de la protection sociale est incompatible avec le droit de l’Union européenne, qui prévoit qu’en matière de sécurité sociale, les personnes "ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre". Ils remettent ainsi en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle les prélèvements sociaux constituent des "impositions de toute nature" à vocation universelle: leur paiement n’ouvre droit à aucune prestation sociale en contrepartie, à la différence des cotisations sociales, mais finance des dépenses de solidarité.
Suite à de nombreuses plaintes, les services de la Commission européenne ont demandé aux autorités de notre pays des éclaircissements sur la portée des dispositions introduites en 2012 dans le code de la sécurité sociale.
D'après la direction générale emploi, affaires sociales et inclusion, l'analyse de la réponse apportée par la France montre que "les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine sont affectés spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale en France et présentent donc un lien suffisamment pertinent avec les lois des branches de la sécurité sociale au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n°883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale".
Partant, la Commission a ouvert une procédure d'infraction contre notre pays. Pour sa part, le Conseil d’État a transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur ce même sujet.
Au regard de ce constat, il conviendra d’être attentif à la décision que rendra la Cour de Luxembourg.
Comme vous pouvez le constater, ces différents dossiers sont particulièrement complexes car ils font intervenir des règles fiscales internationales. Nous considérons qu’ils méritent la plus grande attention, compte tenu de la hausse continue du nombre de Français s'établissant à l'étranger (4% de plus par an au cours des dix dernières années).
Soucieux d’apporter une réponse aux préoccupations exprimées par nos compatriotes établis hors de France, nous souhaiterions que ces sujets puissent être traités dans le cadre du groupe de travail dont vous assurez la co-présidence avec M. François AUVIGNE.
Vous remerciant d’avance pour l’attention que vous voudrez bien porter à notre demande, nous vous prions de croire, monsieur le Député, à l’expression de notre meilleure considération.
Jean-Yves LECONTE Claudine LEPAGE Richard YUNG