Le Conseil d’État considère qu’un contribuable établi à l’étranger dont l’unique source de revenus est constituée par une pension de retraite française versée sur un compte bancaire en France peut être considéré comme fiscalement domicilié en France.
La détermination du domicile fiscal est une opération complexe qui donne lieu à de fréquentes contestations. D’où une jurisprudence abondante.
En droit interne, les critères d’appréciation de la résidence fiscale sont fixés par l’article 4 B du code général des impôts. S’inspirant de la jurisprudence du Conseil d’État et des critères retenus par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ils sont de natures personnelle, professionnelle et économique.
Sont ainsi considérés comme fiscalement domiciliés en France :
- les personnes qui ont sur le territoire français leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
- celles qui y exercent une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles n’établissent que cette activité est exercée en France à titre accessoire ;
- celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ;
- les agents de l’État exerçant leurs fonctions ou chargés de mission dans un pays où ils ne sont pas soumis à un impôt personnel sur l’ensemble de leurs revenus.
Ces critères sont alternatifs et indépendants les uns des autres. En d’autres termes, il suffit qu’un seul d’entre eux soit rempli pour qu’un contribuable soit considéré comme fiscalement domicilié en France.
Dans une décision rendue le 17 juin dernier, le Conseil d’État a précisé la notion de centre des intérêts économiques à l’occasion d’un litige concernant un retraité établi au Cambodge.
De 1996 à 2007, M. B. exerçait, dans son pays d’accueil, des activités bénévoles auprès d’organisations non gouvernementales. Pendant ces années, il a perçu une pension de retraite versée par un organisme français sur un compte bancaire ouvert en France. Considéré par le fisc français comme ayant son domicile fiscal à l’étranger, M. B. a vu sa pension supporter une retenue à la source, conformément aux dispositions de l’article 182 A du code général des impôts. En effet, le Cambodge et la France n’étant pas liés par une convention fiscale, les revenus de source française perçus par les non-résidents sont imposés selon les critères fixés par le droit interne français.
Estimant être fiscalement domicilié en France et donc ne pas être redevable de la retenue à la source, M. B. s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation d’un arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Lyon avait rejeté sa requête aux fins d’annulation d’un jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait rejeté sa demande tendant à obtenir la restitution des sommes prélevées par l’administration fiscale.
Considérant que le requérant « n’avait en France ni son foyer ni le lieu de son séjour principal, qu’il n’exerçait pas en France d’activité professionnelle et qu’il n’y avait pas le centre de ses intérêts économiques », la CAA de Lyon a jugé qu’il ne pouvait être regardé comme ayant son domicile fiscal en France.
Pour juger que le centre des intérêts économiques de M. B. ne se trouvait pas en France, la CAA a relevé que « le versement de sa pension de retraite sur un compte bancaire en France ne constituait qu’une modalité de versement réalisée à sa demande », qu’il « en faisait […] virer une partie au Cambodge pour ses besoins et ceux de sa famille et qu’il administrait ses différents comptes depuis le Cambodge ». Elle a également estimé que « cette pension ne présentait pas le caractère d’une rémunération résultant de l’exploitation d’une activité économique en France ».
Pour le Conseil d’État, « en se fondant sur ces éléments, qui n’étaient pas de nature à établir que le requérant avait cessé d’avoir en France le centre de ses intérêts économiques, alors qu’il n’était pas contesté que les revenus qu’il percevait étaient exclusivement de source française », la CAA « a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».
Partant, le Conseil d’État a partiellement annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire à la CAA de Lyon. M. B. devrait ainsi se voir reconnaître la qualité de résident de France. Il devrait obtenir le remboursement des sommes prélevées à la source. Et les pensions de retraite qu’il a perçues entre 1996 et 2007 devraient être soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État, qui, au cours des dernières années, a développé une conception extensive de la notion de centre des intérêts économiques.
Il importe de préciser que cette décision, si elle fait jurisprudence, devrait avoir des conséquences pour les seuls retraités qui, d’une part, n’ont pas d’autre source de revenus qu’une pension française et, d’autre part, résident dans des pays qui, à l'instar du Cambodge, ne sont pas liés à la France par une convention fiscale. En effet, les conventions fiscales conclues par la France contiennent des stipulations relatives à la détermination de la résidence fiscale qui, en vertu de l’article 55 de notre Constitution, prévalent sur les critères prévus par le code général des impôts.
Vous trouverez, ci-dessous, le texte de la décision du Conseil d’État.
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Conseil d'État
N° 371412
ECLI:FR:CESSR:2015:371412.20150617
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème/10ème SSR
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mercredi 17 juin 2015
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand la restitution des retenues à la source opérées sur sa pension de retraite au cours des années 1996 à 2007. Par un jugement n° 0901279 du 5 juin 2012, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 12LY01855 du 18 juin 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 19 août 2013, 19 novembre 2013 et 25 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B...demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la restitution des retenues à la source opérées sur ses pensions de retraite au titre des années 1996 à 2007 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. B...;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus " ; qu'aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a) Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b) Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c) Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., retraité, a vécu de 1996 à 2007 au Cambodge où il exerçait des activités bénévoles auprès d'organisations non gouvernementales ; que, pendant ces années, il a perçu une pension de retraite versée par un organisme français sur un compte bancaire ouvert en France ; que ces pensions ont donné lieu à l'application d'une retenue à la source en application de l'article 182 A du code général des impôts ; que M. B..., qui ne conteste que les motifs de l'arrêt par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il rejette sa demande tendant à la restitution de ces retenues à la source, doit être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt attaqué dans cette seule mesure ;
3. Considérant qu'après avoir relevé qu'au cours des années d'imposition en litige, M. B... n'avait en France ni son foyer ni le lieu de son séjour principal, qu'il n'exerçait pas en France d'activité professionnelle et qu'il n'y avait pas le centre de ses intérêts économiques, la cour administrative d'appel a jugé qu'il ne pouvait être regardé comme ayant son domicile fiscal en France selon aucun des critères alternatifs mentionnés à l'article 4 B du code général des impôts cité au point 1 ; que, pour juger qu'il n'y avait pas le centre de ses intérêts économiques, la cour a relevé que le versement de sa pension de retraite sur un compte bancaire en France ne constituait qu'une modalité de versement réalisée à sa demande, que le requérant en faisait d'ailleurs virer une partie au Cambodge pour ses besoins et ceux de sa famille, qu'il administrait ses différents comptes depuis le Cambodge et que cette pension ne présentait pas le caractère d'une rémunération résultant de l'exploitation d'une activité économique en France ; qu'en se fondant sur ces éléments, qui n'étaient pas de nature à établir que le requérant avait cessé d'avoir en France le centre de ses intérêts économiques, alors qu'il n'était pas contesté que les revenus qu'il percevait étaient exclusivement de source française, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... tendant à la restitution des retenues à la source opérées sur ses pensions de retraite au titre des années 1996 à 2007 ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros à verser à M. B..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE:
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 18 juin 2013 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... tendant à la restitution des retenues à la source opérées sur ses pensions de retraite au titre des années 1996 à 2007.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'État versera une somme de 3 500 euros à M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et au ministre des finances et des comptes publics.