Contacté avant l’été par un ressortissant français établi au Cambodge qui s’est vu refuser le droit de se marier avec son compagnon cambodgien, j’avais demandé à la garde des sceaux des éclaircissements sur l’articulation entre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et les onze conventions bilatérales signées par la France qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle.
Dans une lettre datée du 20 août dernier, Christiane TAUBIRA m'informe que ses services ont récemment adressé aux procureurs généraux une dépêche précisant sur ce point la circulaire de présentation de la loi du 17 mai 2013. Concrètement, certains des accords bilatéraux, dont celui avec le royaume du Cambodge, devraient pouvoir être appliqués de manière souple afin de permettre la célébration du mariage. Cette annonce va dans le bon sens. Elle devrait rassurer des couples binationaux qui sont actuellement plongés dans l’incertitude.
Toute la question est désormais de savoir si les autres conventions - celles qui prévoient un renvoi exprès à la loi personnelle du ressortissant étranger - pourraient être écartées sur le fondement de l'ordre public français. Tel est l'objet d'une question écrite que j'ai adressée à la ministre de la justice et qui est en attente de réponse.
Monsieur le Sénateur,
Vous avez appelé mon attention sur la situation d’un ressortissant français établi au Cambodge qui souhaiterait se marier avec son compagnon cambodgien. A cet égard vous vous interrogez sur la portée des accords entre la France et le Cambodge des 29 août et 9 septembre 1953 en ce qu’ils prévoient que « le statut personnel des ressortissants de l’Union française sera soumis, suivant les règles de droit international privé à leur loi nationale » et plus précisément sur leur compatibilité avec les dispositions de l’article 202-l alinéa 2 du code civil, issu de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe qui permet d’écarter la loi personnelle d’un des futurs époux lorsque celle-ci prohibe le mariage entre personnes de même sexe. Vous vous interrogez en outre sur la possibilité de dénoncer ou de renégocier ces conventions bilatérales qui prévoient le rattachement du statut personnel à la loi nationale.
Comme vous le savez, afin de garantir l’application la plus large de la loi précitée, le gouvernement a souhaité déroger aux règles du droit international privé pour permettre d’écarter la loi personnelle d’un des futurs époux, si celle-ci fait obstacle à la célébration du mariage entre deux personnes de même sexe et ce dès lors que, pour au moins l’une d’elle, soit sa loi personnelle soit la loi de l’État de résidence permet ce mariage.
Ce principe dérogatoire est codifié à l’article 202-1 du code civil.
La question de l’articulation entre les dispositions de l’article 202-1 du code civil et les conventions bilatérales, qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle a fait l’objet d’une attention particulière dans la circulaire d’application de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Ainsi, s’agissant de la difficulté évoquée ci-dessus, la circulaire rappelle que si l’article 202-1 alinéa 2 du code civil permet d’écarter la loi personnelle d’un des futurs époux lorsque celle- ci prohibe le mariage entre personnes de même sexe, ces dispositions ne peuvent toutefois pas s’appliquer pour les ressortissants des pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales, qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle.
Dans ce cas, en effet, en raison de la hiérarchie des normes, les conventions ayant une valeur supérieure à la loi en application de l’article 55 de notre Constitution doivent être appliquées.
Par application de ces principes, il a dans un premier temps été répondu pour la situation que vous évoquez, que la règle de conflit de lois prévue par les échanges de lettres liées au protocole de transfert du Gouvernement royal du Cambodge des compétences judiciaires exercées par la France sur le territoire du Royaume du 29 août 1953, devait être regardée comme bilatérale et conduire ainsi à écarter les dispositions de l’article 202-1 du code civil.
Toutefois, depuis cette première réponse, la Chancellerie a poursuivi sa réflexion en prenant l’avis de la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères. Celle-ci considère que, sous réserve de l’appréciation faite par les juridictions judiciaires, une interprétation plus souple de cette convention pouffait être envisagée dans la mesure où celle- ci n’opère pas de renvoi exprès à la loi personnelle du ressortissant étranger.
Il convient ainsi de distinguer dans la liste des conventions bilatérales mentionnées par la circulaire d’application de la loi du 17mai2013 les conventions qui renvoient expressément à la loi nationale de chacun des époux (l’époux français et l’époux étranger) pour régir les conditions de fond du mariage des conventions qui ne visent expressément que la situation des « Français» en stipulant que ces derniers sont régis pour leur statut personnel par la loi française, sans évoquer un renvoi exprès quant à son statut personnel à la loi personnelle du ressortissant étranger.
Si pour les premières, sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions, le mariage ne devrait pas pouvoir être célébré, une interprétation plus souple pourrait être envisagée s’agissant des secondes, faute d’un renvoi exprès à la loi personnelle du ressortissant étranger.
Afin de faire état de ces nouveaux éléments d’analyse, la Chancellerie a diffusé le 1er août dernier auprès des procureurs généraux une dépêche précisant sur ce point la circulaire.
S’agissant d’une éventuelle renégociation de tout ou partie de ces conventions, il convient de conserver à l’esprit que ces textes constituent d’abord un cadre protecteur des intérêts des ressortissants français à l’étranger. Ainsi, en matière de mariage, le principe du rattachement à la loi personnelle de chaque époux permet, entre autres, de protéger les ressortissants français qui se marient à l’étranger devant une autorité locale par l’exigence du respect des conditions prévues par la loi française (la comparution personnelle lors de la célébration du mariage, l’âge légal minimum, la prohibition de la bigamie, la nécessité d’un consentement libre et éclairé et d’une intention matrimoniale notamment).
Ces accords ont en outre souvent un champ d’application plus vaste que la seule question de la loi personnelle applicable au mariage. Ils peuvent par exemple contenir des stipulations relatives à l’entraide judiciaire en matière civile et/ou pénale. Or, depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, la première relève en principe exclusivement de la compétence de l’Union européenne et non plus de celle des États membres.
Enfin, une éventuelle réouverture des discussions sur ces textes conduirait naturellement et légitimement nos partenaires à solliciter la remise en cause d’un certain nombre des dispositions avantageuses négociées dans des contextes bien particuliers.
En tout état de cause, cette renégociation relève de la compétence du Ministre des Affaires étrangères.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Sénateur, l’expression de ma meilleure considération.
Christiane TAUBIRA