Au cours des dernières années, j’ai dénoncé à plusieurs reprises les discriminations subies par les couples franco-étrangers par rapport aux couples unissant des citoyens d'autres États membres de l'Union européenne à des ressortissants d'États tiers (voir notamment mes questions écrites des 19 janvier 2012 et 1er novembre 2012).
En l’état actuel du droit, un ressortissant d’un État tiers conjoint d’un ressortissant allemand résidant en France, par exemple, a un statut plus favorable qu’un ressortissant d’un État tiers conjoint d’un citoyen français.
Cette situation paradoxale s’explique tout d’abord par le fait que les conjoints extra-communautaires de Français ont l'obligation de solliciter la délivrance d'un visa de long séjour s'ils souhaitent séjourner en France pour une période supérieure à trois mois. Cette exigence pose plusieurs problèmes. Les délais d’attente, par exemple, sont souvent très longs alors même que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prescrit une obligation de diligence. Les demandeurs sont même parfois contraints de saisir le juge administratif afin de décrocher le fameux sésame.
Pour ce qui concerne les conjoints de Français qui sont déjà sur notre territoire, ils peuvent certes effectuer leurs démarches auprès de la préfecture. Cependant, cette procédure – dite « simplifiée » – s’applique uniquement aux étrangers qui sont entrés régulièrement en France et qui y séjournent depuis plus de six mois avec leur conjoint français. De plus, il n’est pas rare que certaines préfectures opposent aux demandeurs des conditions qui ne sont pas prévues par les textes.
Pour obtenir un premier titre de séjour, les conjoints de Français qui sont entrés en France de façon illégale doivent au préalable acquitter un droit de visa de régularisation d’un montant égal à 340 euros, dont 50 euros non remboursables sont perçus lors de la demande de titre! Et, s’ils demeurent irrégulièrement sur notre sol, ils peuvent faire l’objet de mesures d’expulsion.
Par ailleurs, lorsqu’ils sollicitent le renouvellement de leur carte de séjour « vie privée et familiale », les conjoints de Français doivent effectuer des démarches administratives particulièrement lourdes et verser une taxe d’un montant égal à 87 euros ! Leur situation peut même s’avérer inextricable lorsque la demande de renouvellement est effectuée après un divorce lié à des violences conjugales. En effet, dans ce cas, le nouveau titre de séjour n’est délivré de plein droit que lorsque la victime bénéficie d’une ordonnance de protection. Or, peu de victimes se voient remettre un tel document.
À noter également que les conjoints de Français ne peuvent pas bénéficier de la délivrance de plein droit de la carte de résident.
À l’inverse, les ressortissants d'États tiers mariés à des citoyens non-français de l'UE bénéficient d’un traitement plus favorable, conformément à la directive du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Ces personnes sont ainsi dispensées de l’obligation de visa de long séjour et se voient délivrer de plein droit et gratuitement une carte de séjour portant la mention « CE-membre de famille-toutes activités professionnelles » et dont la durée est identique à celle de leur conjoint européen, dans la limite de cinq ans.
Après cinq années de résidence ininterrompue en France, elles acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. L'administration leur délivre alors une carte de séjour portant la mention « CE-séjour permanent-toutes activités professionnelles ». Ce droit leur permet de demeurer définitivement en France, sous la seule réserve qu'elles ne représentent pas une menace grave pour l'ordre public.
Quant aux circonstances dans lesquelles elles peuvent être éloignées de notre territoire, elles sont exceptionnelles (condamnation définitive pour contrefaçon, falsification, établissement sous un faux nom ou défaut de titre de séjour ; refus ou retrait du titre de séjour pour menace à l'ordre public ; travail sans autorisation ou menace pour l'ordre public durant les trois premiers mois du séjour en France).
Saisi par la Cimade et le collectif Les Amoureux au ban public, le Défenseur des droits a considéré, dans une décision du 9 avril dernier, que ces différences de traitement constituent une discrimination à rebours fondée sur la nationalité (*).
Estimant qu’il est ainsi porté atteinte au droit fondamental de mener une vie privée et familiale normale, garanti par l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), il recommande au ministre de l’Intérieur de modifier le CESEDA.
Je me réjouis de cette décision et espère que la discussion du futur projet de loi relatif à l’immigration sera l’occasion de traduire dans la loi les recommandations du Défenseur (délivrance de plein droit de la carte de résident à la condition d’être mariés depuis au moins deux ans et de ne pas avoir rompu la communauté de vie ; renouvellement de plein droit du titre de séjour d’une personne victime de violence, même en l’absence d’ordonnance de protection ; exonération de toute taxe liée à la délivrance et au renouvellement du titre de séjour ; etc.). Je m'entretiendrai prochainement de ce dossier avec des représentants de la Cimade.
(*) Une discrimination à rebours désigne une situation moins avantageuse pour un national (ou un membre de sa famille) que pour un ressortissant de l’UE dans l’application par son État membre du droit européen.