Le 2 mai dernier, j’avais interpellé le ministre de l’Intérieur sur deux dossiers touchant au droit des étrangers, à savoir les discriminations subies par les couples franco-étrangers et le contrôle juridictionnel de la rétention administrative des migrants (voir ma lettre).
Vous trouverez, ci-dessous, la réponse - décevante - que le ministre de l’Intérieur m’a adressée le 30 juillet. Je regrette que Bernard CAZENEUVE ne fasse à aucun moment référence à une décision du 9 avril dernier dans laquelle le Défenseur des droits recommande au Gouvernement de « mettre fin à l’existence d’une discrimination à rebours fondée sur la nationalité liée au fait que les conjoints de Français sont traités moins favorablement que les conjoints des ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne résidant en France ». Par ailleurs, je constate avec déception que le Gouvernement ne prévoit pas de réduire le délai à l’issue duquel l’administration doit saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) si elle souhaite maintenir un migrant en rétention, comme l’avait pourtant proposé le député Matthias FEKL dans un rapport publié l’an dernier.
La discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers en France sera l’occasion d’envisager d’autres initiatives sur ces deux dossiers.
Monsieur le Sénateur,
Vous avez appelé mon attention sur les recommandations formulées par le Défenseur des droits afin de remédier aux différences de traitement qui existeraient dans le droit actuel de l’entrée et du séjour en France entre les étrangers ressortissants de pays tiers selon qu’ils sont conjoints de citoyens français ou de citoyens européens.
Comme il a été indiqué à cette autorité, je dois vous signaler que l’appréciation du régime applicable aux conjoints de ressortissants européens doit faire l’objet d’une approche nuancée. S’il existe des différences entre les deux régimes, l’affirmation de vos interlocuteurs selon laquelle le droit applicable aux conjoints des ressortissants européens est plus favorable que celui des conjoints de Français est inexacte.
Par exemple, le titre de séjour délivré au conjoint d’un Européen n’est pas par principe d’une durée supérieure à celui accordé à un conjoint de Français. Pour accéder au séjour permanent et à la délivrance d’une carte de séjour de résident de dix ans, le conjoint d’un Européen doit même attendre cinq années de résidence régulière en France alors que le conjoint de Français peut en bénéficier après trois armées de mariage.
En outre, ces différences ne peuvent être qualifiées de discriminations et ne l’ont d’ailleurs jamais été par les institutions européennes et par la Cour de justice de l’Union européenne. La directive n° 2004/38/CE dont est issue la réglementation applicable aux conjoints d’Européens n’a pas pour objet d’unifier les règles relatives à l’entrée et au séjour des ressortissants de pays tiers mariés à des citoyens européens dans l’Union européenne.
Elle vise seulement, afin de ne pas priver le ressortissant européen de la jouissance des droits conférés par les traités, à étendre le bénéfice de la liberté de circulation aux membres de sa famille. La réglementation applicable au conjoint d’un citoyen européen n’ayant pas fait usage de son droit de circulation et résidant dans son pays d’origine demeure donc de la compétence des États membres.
Les deux régimes se rapportent donc à des objectifs différents. Si la réglementation européenne applicable aux accompagnants de ressortissants européens a pour objet de garantir l’exercice de la libre circulation, la réglementation du séjour des conjoints étrangers dans les États membres vise à garantir le respect de la vie privée et familiale et à sa conciliation avec l’impératif légitime de lutte contre la fraude et les unions conclues à des fins extérieures à un projet marital.
Je dois toutefois vous indiquer que le Gouvernement est, comme vous, attentif à l’amélioration des conditions de séjour en France des ressortissants étrangers vivant en situation régulière sur notre territoire. Le projet de loi relatif au droit des étrangers, que j’ai présenté le 23 juillet en conseil des ministres, contiendra à cet égard des avancées importantes, notamment pour les couples mixtes.
Ainsi, il sera proposé d’alléger la procédure de délivrance du visa de long séjour en qualité de conjoint de Français par les consulats. Les formations linguistiques et civiques ne conditionneront plus la délivrance du visa mais seront dispensées après l’arrivée sur le territoire.
Min de sécuriser le séjour des étrangers mais aussi de simplifier leurs démarches et par là même d’améliorer leurs conditions d’accueil en préfecture en réduisant le nombre de passages aux guichets, il sera proposé de créer un titre de séjour pluriannuel. Le conjoint de Français y aura accès après un an de séjour en France et ce titre sera valable deux ans à l’issue desquels une carte de résident de dix ans pourra être remise.
Vous m’interrogez également sur les procédures d’éloignement des ressortissants étrangers en situation irrégulière. Je puis vous indiquer qu’en la matière, le projet de loi que j’ai présenté au conseil des ministres du 23 juillet propose, conformément à nos engagements européens, de faire de l’assignation à résidence l’outil de droit commun. Il s’agit d’en renforcer l’efficacité, dans le respect des droits de l’étranger.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.
Je vous prie de croire, Monsieur le Sénateur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Bernard CAZENEUVE