De plus en plus de demandes de CNF de personnes nées ou originaires de l'Algérie sont refusées sous prétexte que leurs parents ou arrières grands-parents se sont mariés devant le cadi et non de manière civile. La cour de cassation dans une décision de juillet 2010 et trois décisions de juillet 2011 remet en cause ces décisions arbitraires. J'ai posé la question orale suivante au Garde des Sceaux lors de la séance du 20 décembre 2011. Je ne suis pas entièrement satisfait de la réponse transmise par Frédéric Lefebvre, car elle ne précise pas clairement si le garde des sceaux a donné des instructions claires aux greffiers pour prendre en compte cette jurisprudence.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 1469, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ma question concerne le droit de la nationalité.
À l'occasion de trois arrêts du 6 juillet 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que la célébration des mariages respectifs d'un père et d'un fils devant un cadi, c'est-à-dire une autorité religieuse, et non devant un officier d'état civil, était sans incidence sur la transmission de ce statut de droit commun, et donc de la nationalité française, à leurs enfants, et que, en l'absence de dispositions expresses, le mariage traditionnel d'une personne de statut civil de droit commun ne lui faisait pas perdre le bénéfice de ce statut. Ces arrêts faisaient suite à une jurisprudence de cette même chambre du 8 juillet 2010, selon laquelle la filiation est établie dès lors que la désignation de la mère en cette qualité dans l'acte de naissance est suffisante pour établir la filiation maternelle.
M. le garde des sceaux a-t-il bien pris acte de ces arrêts de la Cour de cassation, qui tendent à rappeler des principes fondamentaux en matière de dévolution de la nationalité française, et en a-t-il informé les greffes des tribunaux d'instance ? Nous sommes en effet saisis de cas assez nombreux dans lesquels le greffe du tribunal d'instance refuse de délivrer les certificats de nationalité française au motif que les ascendants des demandeurs ont été mariés religieusement devant le cadi.
Je tiens également à rappeler que, jusqu'en 1960 ou 1962, le mariage devant le cadi, était reconnu dans une partie du territoire français.
J'ai écrit à ce sujet au garde des sceaux, mais n'ai pas obtenu de réponse. Voilà pourquoi j'ai souhaité poser cette question aujourd'hui.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Michel Mercier, qui, ne pouvant être présent au Sénat ce matin, m'a confié le soin de vous répondre.
Vous vous interrogez sur la suite réservée aux arrêts que la Cour de cassation a rendus le 6 juillet 2011 sur les conditions de conservation et de transmission du statut de droit commun aux descendants d'une personne admise en Algérie à la qualité de citoyen français par décret ou par jugement.
À la suite de l'indépendance de l'Algérie, selon qu'elles relevaient du statut de droit commun ou du droit local, les personnes ont perdu ou, au contraire, conservé la nationalité française.
S'est posée en jurisprudence la question des conditions exigées pour permettre aux descendants d'une personne admise à la qualité de citoyen français de revendiquer le bénéfice accordé aux personnes de statut de droit commun et d'accéder ainsi à la nationalité française. Fallait-il exiger que cette personne ait eu un comportement présumant son adhésion au statut civil de droit commun, et donc exclure les filiations résultant de mariages célébrés devant les cadis, ou suffisait-il aux descendants d'apporter la preuve d'une chaîne de filiations ininterrompue avec cet ascendant ?
S'appuyant sur la jurisprudence majoritaire en ce sens, il était soutenu, notamment par le ministère de la justice et des libertés, que les mariages cadiaux établissaient la preuve que les personnes avaient en réalité fait le choix de renoncer à leur statut civil de droit commun.
Ainsi, le fait d'avoir un ascendant relevant du statut de droit commun marié par un cadi rompait cette chaîne de filiations, faute de pouvoir produire un acte de mariage dressé par un officier de l'état civil seul habilité à célébrer les mariages. En conséquence, le descendant de l'admis n'étant pas considéré comme ayant conservé la nationalité française, un certificat de nationalité française ne pouvait lui être délivré.
Toutefois, certaines juridictions ont adopté une position différente, consacrée par la Cour de cassation dans les arrêts du 6 juillet dernier que vous avez évoqués. La haute juridiction considère en effet que le mariage cadial ne fait pas perdre le statut civil de droit commun à son bénéficiaire et qu'il est sans incidence sur la transmission du statut de droit commun aux descendants de l'intéressé.
Prenant acte de ce revirement, les greffiers en chef et les services de la Chancellerie tirent les conséquences de cette jurisprudence récente dans les procédures de délivrance de certificats de nationalité. Vous pouvez donc être rassuré à cet égard, monsieur le sénateur.
M. Richard Yung. Évidemment, le garde des sceaux ne peut que prendre acte des arrêts de la Cour de cassation. C'est le minimum dans un état de droit !
Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question, monsieur le secrétaire d'État. Je vous ai demandé, en effet, si le garde des sceaux avait informé de cette jurisprudence les greffiers des tribunaux d'instance.
Dans la réalité, en dépit de ces arrêts de la Cour de cassation, les greffiers perpétuent leurs anciennes pratiques, peut-être pas ignorance de cette nouvelle jurisprudence, et continuent à refuser de délivrer les certificats de nationalité française en se fondant sur une certaine interprétation, que vous avez évoquée, de la rupture du statut de droit commun.
M. Richard Yung. Il me semblerait opportun que le garde des sceaux rappelle cette nouvelle jurisprudence aux greffiers des tribunaux d'instance. En attendant, ma question reste sans réponse.