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Je vous souhaite la bienvenue sur ce site archive de mon mandat de sénateur des Français hors de France.

Mandat que j'ai eu l'honneur de faire vivre de 2004 à 2021.
Ce site est une image à la fin de mon mandat.
Vous y trouverez plus de 2 000 articles à propos des Français de l'étranger. C'est un véritable témoignage de leur situation vis-à-vis de l'éducation, de la citoyenneté, de la protection sociale, de la fiscalité, etc. pendant ces 17 années.

Je me suis retiré de la vie politique à la fin de mon mandant en septembre 2021, je partage désormais mes réactions, points de vue, réflexion sur https://www.richardyung.fr

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Richard Yung
Octobre 2021

« Un train de vie de première classe », « des retraites généreuses », « des fonctionnaires dorés sur tranche », « des sénateurs fantômes », « des collaborateurs qui rapportent gros », « des financements sans contrôle », « une cagnotte bien garnie », « des électeurs triés sur le volet », « une batterie de casseroles » : le journal l’Express paru mercredi 24 septembre 2014 n’est décidément pas tendre avec le Sénat.

SénatSous la plume acerbe de Matthieu Deprieck, Thierry Dupont, Anne Vidalie, Tugdual Denis, Coralie Bonnefoy et Léa Delpont (il fallait bien être six pour écrire un article d’une telle originalité et subtilité), on apprend que les papis bien nourris que sont nos sénateurs ont deux activités favorites : se tourner les pouces en journée et détourner des fonds publics la nuit. Cette avalanche de critiques s’achève sur une conclusion qui me laisse pour le moins pantois : « le temps est venu de mettre fin à ces dérives : il faut supprimer le Sénat ». J’invite notre « Club des Six » à mener leurs investigations du côté de l’Assemblée nationale : ils y découvriront que l’herbe est loin d’y être plus verte. Si l’on suit leur logique curieuse mais implacable, il ne restera alors qu’une seule solution : supprimons aussi l’Assemblée nationale ! Et puisque le gouvernement, on en a eu la triste démonstration, n’est pas non plus à l’abri des affaires, je propose son abolition. Ainsi lavée de toute corruption, la démocratie française n’en sera que renforcée !

Trêve de plaisanteries, chacun sait que le débat est ailleurs. Même s’il ne faut pas les négliger mais au contraire les combattre, les dérives supposées du Sénat sont avant tout un alibi au service d’une remise en cause de la légitimité démocratique de cette institution. Le Sénat n’était déjà plus en odeur de sainteté depuis que Lionel Jospin l’a qualifié d’« anomalie  démocratique », voilà qu’il doit payer aujourd’hui les pots cassés du rejet global de la classe politique. Il est vrai que le Sénat souffre d’une image bien plus dégradée que d’autres institutions dans l’imaginaire collectif mais il y a là matière à faire plus de pédagogie. Trop vieux nos sénateurs ? L’âge moyen des sénateurs élus ce dimanche est de 56 ans contre 55 ans chez les députés élus en juin 2012. Drogués au cumul des mandats ? Autant que les députés. Du reste, la loi sur le non-cumul leur sera applicable à partir de 2017. Trop cher à faire fonctionner le Palais du Luxembourg ? Il en coûte toutefois 200 millions de moins par an aux contribuables que pour le Palais Bourbon. Un cénacle réservé aux hommes ? La proportion de femmes est identique dans les deux chambres du Parlement. Un manque de représentativité de la population ? Il y a pourtant moins de fonctionnaires et plus d’entrepreneurs au Sénat qu’à l’Assemblée. On pourrait continuer ainsi ces comparaisons, qui en définitive ne sont flatteuses pour aucune des deux chambres, mais ce serait esquiver la vraie question : a-t-on vraiment besoin du Sénat ou son existence n’est-elle qu’un archaïsme démocratique ?

Une vielle antienne fait de la création du Sénat une erreur de parcours dans notre marche démocratique et considère qu’il n’aurait jamais dû être institué. Il est vrai que le bicaméralisme n’a pas toujours existé dans notre histoire constitutionnelle. Les périodes monocamérales n’ont cependant pas été les plus heureuses de toutes – il suffit de penser aux douloureuses années de la Convention. Le Sénat tel que nous le connaissons nous vient de la IIIème République qui a conçu cette chambre comme un contrepoids à la chambre des députés, réputée dangereuse car, étant élue directement par le peuple, elle répondrait à toutes ses velléités, là où un Sénat élu indirectement par de grands électeurs ferait la part des choses entre les bas instincts et les aspirations légitimes, garantissant ainsi la pérennité de l’ordre social. Cette justification de l’existence du Sénat nous parait aujourd’hui datée et, surtout, elle ne correspond plus à notre vision de la démocratie : qui accuserait aujourd’hui notre Assemblée nationale de menacer l’ordre établi ? C’est même le procès inverse qu’on lui fait : manque de représentativité du peuple et faible prise en compte de ses aspirations. Dans ces conditions, pourquoi conserver un Sénat quand l’Assemblée fait déjà office de chambre conservatrice ? Enfin, la mort du Sénat n’a-t-elle pas déjà été actée par la Constitution de la Vème République qui lui réserve un rôle secondaire et donne le dernier mot à l’Assemblée, alors qu’il avait un droit de véto sous la IIIème République ? Quelle est alors l’utilité du Sénat ? Ces questions sont légitimes et il faut y répondre.

Tout d’abord, il faut rappeler que la Constitution de la Vème République donne au Sénat une fonction bien particulière, celle de représenter les collectivités territoriales, et jusqu’à récemment les Français établis hors de France – il partage maintenant cette prérogative avec l’Assemblée. C’est la moindre des choses dans un pays qui se dit décentralisé : démocratie locale et démocratie nationale ne peuvent s’ignorer complètement. Le Sénat permet justement leur lien afin que l’expression des territoires rencontre celle de la volonté nationale. Face à une Assemblée encore très jacobine et un gouvernement qui veut imposer des normes écrites sur un coin de table dans un ministère parisien, le Sénat est le défenseur d’une certaine souplesse normative qui s’adapte à la réalité des territoires. C’est ainsi qu’il cherche parfois à promouvoir les possibilités d’initiatives et d’expérimentations locales. À cet égard, loin d’être conservateur, il peut être facteur d’innovation. Si la France veut donc conserver une forme décentralisée – et la réforme de la carte territoriale semble aller dans ce sens avec des régions plus fortes – l’existence du Sénat se justifie pleinement. Il conviendrait d’ailleurs de lui donner le même poids que l’Assemblée dans l’examen des textes de loi relatifs à l’organisation territoriale et pas seulement la primeur de cet examen déjà prévue par l’article 39 de la Constitution.

Ensuite, le Sénat assure la stabilité et la pérennité de nos institutions républicaines. C’est un point essentiel à garder en mémoire. À la différence de l’Assemblée nationale qui peut théoriquement être dissoute presque tous les ans par le président de la République, le Sénat est entièrement indépendant du pouvoir exécutif. Il est le garant de la Constitution car son accord est nécessaire pour la modifier, sauf en cas de recours au référendum. Le Sénat exerce ainsi un rôle de contre-pouvoir censé mettre nos institutions à l’abri de toute dérive autocratique. Un point clé de notre Constitution illustre ce rôle de protecteur des institutions joué par le Sénat : en cas de vacance du pouvoir, c’est le président du Sénat qui assume la période de transition. Par ailleurs, l’indépendance du Sénat à l’égard de l’exécutif, mais aussi d’une certaine manière vis-à-vis des partis politiques – on observe dans les faits que le Sénat est moins perméable aux logiques partisanes, peut-être grâce à son mode de scrutin – est très précieuse pour son travail de tous les jours car elle le conduit à adopter des positions qui rappelle parfois l’exécutif ou l’Assemblée à la « sagesse ». Ce fut le cas en 2007 lorsque le Sénat, pourtant à droite, a fait obstacle à une disposition du projet de loi sur l’immigration prévoyant le recours aux tests ADN dans le cadre des procédures de regroupement familial. De manière générale, le Sénat se montre souvent bien plus attentif à la protection des libertés individuelles (numériques par exemple) ou collectives que l’Assemblée.

Enfin, le fait que l’Assemblée ait le dernier mot dans la procédure législative pour les lois ordinaires ne nous apprend rien de l’utilité réelle du Sénat. Les auditions qui ont lieu dans chaque assemblée sur les textes de loi sont très utiles, et pourtant les personnes auditionnées n’ont aucun pouvoir de décision. Même s’il ne peut pas toujours trancher in fine, le Sénat conserve donc une capacité à influencer un texte de loi. L’Assemblée nationale et le gouvernement sont d’autant moins sourds aux critiques du Sénat que le travail des commissions de la Haute chambre est reconnu pour sa qualité et sa propension à dégager des consensus. Quoiqu’il en soit, toute discussion me semble être un apport plus qu’un frein démocratique. La « navette parlementaire » entre les deux assemblées permet d’affiner un texte de loi ou, comme le dit si justement mon collègue Jean-Pierre Sueur, de « polir le texte comme la mer polit le galet ». Dans la pratique, le travail d’amendements des sénateurs fait en effet apparaitre des difficultés qui n’avaient pas été nécessairement perçues par les députés. Je considère donc qu’il vaut mieux prendre le temps de faire des bonnes lois que refaire tous les jours de nouvelles lois pour corriger les anciennes.

Toutes ces raisons me conduisent à penser que la suppression du Sénat n’irait pas dans le sens d’un progrès démocratique. Pour autant, il est évident que son fonctionnement doit être profondément réformé : non-cumul des mandats (y compris dans le temps), règles de transparence plus strictes, réduction du nombre de parlementaires, modification du mode de scrutin pour assurer une meilleure représentativité de la population, etc. Mais tout ceci doit se faire dans le cadre d’une réflexion beaucoup plus large sur nos institutions. Je crois d’ailleurs que s’il faut en supprimer une, on devrait regarder du côté de la fonction de Premier ministre plutôt que du Sénat. C’est selon moi à un président de la République élu au suffrage universel de conduire la politique de la nation, comme aux États-Unis, et non à un Premier ministre non élu qui en définitive ne sert qu’à faire échapper le président à ses responsabilités.