Ce n’est pas être cocardier que de mettre en avant Paris comme siège du tribunal européen des brevets (de son vrai nom : division centrale de la juridiction des brevets). En un mot il s’agit d’achever l’unification du système européen des brevets en ayant un brevet unique couvrant tous les pays de l’Union. La délivrance serait faite par l’Office européen des brevets (à Munich). Les litiges iraient devant des tribunaux spécialisés à vocation régionale (couvrant plusieurs pays) et, en appel, devant ce tribunal européen. Ceci représente un progrès considérable pour l’industrie européenne et pour les inventeurs : simplification des démarches, régime des langues limité à deux ou trois, coûts divisés par 10 ou 15. Rappelons que nous courons après ce grand progrès depuis 40 ans et qu’enfin, le brevet européen rivalisera avec le brevet américain et japonais.
Reste un problème à régler : celui du choix du siège de ce tribunal. Paris se trouve en compétition avec Londres et Munich, chaque ville représentant un des trois pays ayant une grande activité en matière de brevets. Munich aurait pu être une candidature intéressante car c’est la « capitale » de la propriété industrielle allemande. Mais elle dispose déjà du siège de l’Office européen des brevets (7000 personnes), et il y a un risque politique qu’un tel choix soit interprété comme une « main mise » complète de l’Allemagne sur la propriété industrielle. Ceci n’est pas souhaitable dans la situation européenne actuelle. Il y a plus grave : la tradition de liens forts entre l’industrie et la justice économique font que la jurisprudence allemande peut être considérée comme particulièrement « douce » en faveur de l’industrie dans les questions de brevets et peu protectrice des droits de l’inventeur.
Londres a une activité essentiellement au service des déposants américains et pratique un droit national qui n’est pas celui de l’Europe. La Grande-Bretagne n’est pas dans la zone euro, ce qui la rendra plus chère pour les autres pays. Elle est assez peu dans l’Union et s’en éloigne chaque jour davantage. Là encore, le message politique au reste du monde ne serait pas le bon.
Reste donc Paris qui, outre d’excellentes installations et la plus grande commodité d’accès, a développé un grand savoir faire et une jurisprudence constante et de qualité grâce à la centralisation des litiges auprès d’une seule chambre du TGI de Paris. Un corps de magistrats spécialisés, formés à la propriété industrielle, disposant d’une grande expérience garantit une jurisprudence équilibrée, qui satisfait les différents utilisateurs, entreprises comme consommateurs.
L’idée de diviser le tribunal européen en deux endroits (Londres et Paris) est typique des compromis boiteux qu’affectionnent les négociateurs mais ne me parait pas appropriée. Ce tribunal sera une entité de petite taille (environ une centaine de personnes en régime de croisière).Outre les coûts supplémentaires non nécessaires qu’elle engendrerait (par exemple, il faudrait deux greffes), elle ferait perdre de l’attractivité à cette belle unification en créant le risque de jurisprudences différentes voir opposées. C’est précisément à cela que la création d’un tribunal unique veut mettre fin.
Tout milite donc pour Paris, les arguments politiques, juridiques et financiers. Non vraiment il n’y a qu’un siège : Paris soutenu par toute son industrie, son gouvernement, la très grande majorité des autres États de l’Union, et j’en suis sûr par son Parlement.