Je profite des longues heures d’avion vers Atlanta où je vais participer à la campagne de Corinne Narrassiguin, notre candidate, pour lire les 34 pages de la Lettre de Nicolas Sarkozy au peuple français.
C’est bien écrit, dans un style ternaire cher à de Gaulle. Le procédé est intelligent : le Président s’adresse à chacun de nous, par une belle Lettre qui vaut donc engagement de sa part ! François Mitterrand en avait usé de la sorte et avec succès en 1988. La presse en à déjà rendu compte, il y a peu de propositions concrètes : avancer le paiement des retraites du 8 au 1er du mois, sortir de Schengen, instaurer la TVA sociale, ...
Elle est surtout intéressante par ce qu’elle montre des conceptions de son signataire : 11 pages consacrées à la sécurité, au terrorisme et l’immigration, visiblement priorité des priorités (les Français ne classent cette question qu’au 7ème rang de leurs priorités). Un développement surprenant sur le travail : plus on travaillerait, plus il y aurait de travail pour tout le monde ! C’est parce que les Français sont paresseux (les 35 h, la retraite à 60 ans, les congés payés, ...) qu’ils manquent de travail ! Le fait d’avoir un million de chômeurs de plus qu’au début de son mandat ne semble pas mettre en cause ce diagnostic !
Autre marronnier idéologique libéral : l’allégement des charges des entreprises pour qu’elles soient plus compétitives et créent des emplois. Conséquence : il faut instaurer la TVA sociale, c’est à dire faire payer les charges sociales patronales par tous, en particulier par les salariés ! La encore, les faits depuis ces 10 dernières années, les allégements très considérables de charges aux entreprises (par exemple la suppression de la taxe professionnelle pour 8 milliards d’euros, le taux de TVA réduit dans la restauration pour 3 milliards d’euros) sans qu’il n’y ait eu de créations d’emplois, même réduites, n’ébranlent guère notre candidat de droite.
Finalement, il est dans son rôle, chassant sans doute plus que d ordinaire du côté de l’extrême droite, le seul réservoir de voix pour le second tour. Cela laisse Jean-Louis Borloo sans voix car c’est son ambition d’incarner le volet social de candidat des droites qui s’est envolée là.
La fin couronne ce petit voyage au pays des valeurs puisque l’exhortation de la Lettre est simple, significative : « aidez-moi ». C’est bien sûr la conception hypercentralisée du pouvoir qui réapparaît là, l’idée selon laquelle, ce n’est pas chacun qui peut faire son destin mais qu’il est dépendant d’en haut (dieu, le roi, le Président).
Et ce petit détour idéologique me fait penser au dernier numéro de la revue Philosophie que je me permets de recommander à celles et à ceux qui suivent la campagne présidentielle. Une comparaison entre Rousseau et Hobbes, entre les deux œuvres majeures « Le contrat social » et « Le Léviathan », croisée avec les valeurs d’électeurs de gauche et de droite d’aujourd’hui (200 ans après), montre combien les premiers se trouvent dans l’œuvre de Rousseau et les seconds dans celle de Hobbes. Sans doute Nicolas Sarkozy a-t-il relu Le Léviathan avant d’écrire sa Lettre, montrant ainsi la permanence des choix idéologiques.