Le 25 mai dernier, seuls 4 électeurs français sur 10 ont participé au scrutin européen. En réussissant à mobiliser son électorat sur ses thèmes traditionnels, le FN est le seul parti qui tire profit de cette abstention massive. La réaction ne s’est pas fait attendre : plusieurs parlementaires, dont mon collègue Roland Povinelli, ont pris des initiatives visant à rendre le vote obligatoire. Qu’en penser ?
Une telle proposition peut sembler radicale. À regarder de près, elle ne l’est pas tant que cela. Loin d’être nouvelle, elle revient depuis plusieurs années dans le débat politique, dépassant souvent les clivages partisans. En 2003, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale déposait une proposition de loi en ce sens. Parmi ses signataires, deux futurs premiers ministres : Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. L’an dernier, plusieurs députés UMP dont Thierry Mariani ont fait la même proposition qui a reçu le soutien du président socialiste de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.
Même si aucune de ces initiatives n’a encore abouti en France, plusieurs pays étrangers pratiquent depuis longtemps le vote obligatoire : la Belgique et le Luxembourg près de chez nous mais aussi l’Australie ou encore le Brésil. Bien que les sanctions ne soient pas toujours appliquées, l’incitation civique reste forte puisque le taux de participation aux élections est plus important dans ces pays qu’ailleurs (plus de 90% aux dernières élections européennes en Belgique et au Luxembourg).
Alors que la démocratie représentative traverse une crise particulièrement grave en France – les raisons sont multiples : défiance à l’égard des élus et des partis touchés par les scandales, sentiment de ne plus être entendu, dépit et résignation face à l’impuissance du politique, etc. – il est urgent de stopper l’hémorragie démocratique en réhabilitant le suffrage universel et direct, conquête républicaine pour laquelle tant d’hommes et de femmes se sont battus, parfois au péril de leur vie. Dans cette optique, le vote obligatoire est une option qui peut se justifier.
« Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique ». Voilà qui résume bien le sens profondément républicain du vote obligatoire. Ces mots figurent déjà sur toutes les cartes électorales. Pourquoi ne pas les inscrire dans le marbre de la loi ? Je sais que l’association droit/devoir peut susciter les sarcasmes. C’est méconnaitre notre tradition et nos institutions dans leur existence actuelle. La France reconnait ainsi un droit à l’éducation à tous les enfants sur son territoire, y compris aux enfants étrangers en situation irrégulière en vertu de la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, mais l’école y est aussi obligatoire jusqu’à 16 ans. Va-t-on s’en plaindre ? Notons par ailleurs que l’inscription sur les listes électorales est déjà obligatoire en France de même que le vote … aux élections sénatoriales ! Pourquoi ne pas aller plus loin et rendre le vote obligatoire à toutes les élections ?
Le vote obligatoire aurait en effet plusieurs vertus : responsabiliser les électeurs mais aussi les élus, accroitre la légitimité de ces derniers, rendre les assemblées plus représentatives et éviter qu’un parti ne remporte une élection avec moins de 10% des inscrits, inciter les partis à s’adresser à toute la population, etc. En définitive, rendre le vote obligatoire, c’est faire progresser le rejet du système et de la « classe » politique vers un renouveau du système et de l’offre politique. Bien sûr, un tel projet n’a de sens que s’il s’accompagne d’autres avancées démocratiques : revalorisation du parlement, instauration d’une dose de proportionnelle, comptabilisation du vote blanc dans les suffrages exprimés, renforcement des lois sur le non-cumul des mandats (dans le temps notamment), la transparence et la lutte contre les conflits d’intérêts…
Si les Français semblent être dans l’ensemble prêts à cette réforme – 57% d’entre eux se déclaraient favorables au vote obligatoire dans un sondage réalisé en 2011 – j’ai conscience qu’elle serait moins bien accueillie parmi les Français établis hors de France qui n’ont été que 16,5% à prendre part aux élections consulaires. Pourtant, il n’y a pas de raison de les exempter de ce devoir civique, à condition d’en faciliter les modalités d’exercice. Il est nécessaire que les citoyens français établis à l’étranger conservent un lien politique avec la France, dont le réseau consulaire, troisième au monde, est déjà un vecteur essentiel et qu’ils participent aux décisions budgétaires importantes qui les affectent.