Alors que la plupart des sondages donnent le FN en tête du premier tour des élections départementales, la gauche s’interroge sur la stratégie à adopter pour combattre l’extrême-droite.
Le Premier ministre, Manuel Valls, a choisi celle de la dramatisation, qui consiste à pointer du doigt l’ennemi en révélant le danger qu’il représente pour la République. Certains, dont l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ont émis des réserves sur cette méthode volontairement offensive en soulignant que la diabolisation a été un échec jusqu’ici et qu’il faudrait faire davantage de pédagogie envers les électeurs d’extrême-droite plutôt que de les culpabiliser. Je comprends ces critiques mais je n’y souscris pas entièrement.
En premier lieu, il n’est pas démontré que la diabolisation a favorisé le FN. Il faut distinguer corrélation et causalité. Entre reconnaitre les succès grandissants du FN dans les urnes et attribuer la responsabilité de ces résultats à la stratégie de diabolisation de la gauche, il y a un pas que je me refuse à franchir. Ne faisons pas ce cadeau à la droite en nous accusant de la montée d’un parti à laquelle nous ne sommes pas certains d’avoir contribué. La porosité croissante des idées de la droite traditionnelle et de l’extrême-droite est une autre explication, beaucoup plus crédible selon moi, de cette poussée du FN.
En second lieu, il est possible de renverser le problème et de se demander si la diabolisation n’a pas permis, au contraire, de limiter ou de retarder la diffusion des idées du FN. Qui nous dit, en effet, que le FN ne serait pas beaucoup plus haut aujourd’hui si on l’avait laissé prospérer sans réaction aucune en faisant comme s’il s’agissait d’un parti comme un autre, d’un adversaire respectable avec lequel on peut débattre normalement, trouver des terrains d’entente, des compromis et – en tout logique dédiabolisante – former des alliances politiques ? Je ne saurais pas dire les effets qu’aurait eus une telle stratégie sur les scores actuels du FN mais, ce qui est sûr, c’est que nous aurions perdu notre crédibilité et notre honneur à ce jeu-là.
En troisième lieu, et pour pousser la contradiction jusqu’au bout, je vous soumettrai la question suivante : n’est-ce pas justement parce que nous avons arrêté de diaboliser le FN et accepté sa banalisation que ce dernier atteint des sommets électoraux ? En avril 2002, Jacques Chirac refusait de débattre avec le FN pour le second tour des élections présidentielles. En serait-il de même aujourd’hui ? Assurément, non. Même chez les socialistes, peu ont conservé une conception viscérale de l’opposition au FN. Le relativisme a gagné notre camp : il faudrait désormais discuter avec le FN, ne pas le stigmatiser, serrer la main de sa présidente (et bientôt lui claquer la bise ?), répondre avec courtoisie et rationalité à ses arguments, faire l’effort de comprendre ses électeurs et pardonner leur égarement, etc.
Tout cela est bien joli mais que fait le FN dans le même temps ? Se prive-t-il de jouer sur les peurs ? De faire le lien entre immigration, islam et insécurité ? D’opposer les Français « de papier » aux Français « de souche » et les « bobos parisiens » aux « vrais gens » ? De fustiger le « système UMPS » et la classe politique corrompue (dans laquelle il ne s’inclut évidemment pas) ? Non quatre fois !
Face à ces manœuvres écœurantes qui flattent les pensées les plus viles de l’esprit humain, nos bons sentiments et nos arguments rationnels ne peuvent pas faire le poids. Cessons donc de nous laisser dicter l’agenda politique par le FN ! Reformons la digue qui reléguait ce parti en dehors du champ républicain ! Soyons précis dans nos arguments mais aussi dans la dénonciation de l’idéologie ignoble qui guide ce parti ! N’ayons pas peur de répéter que ce parti représente un danger pour la République et pour la France ! Trouvons le moyen de responsabiliser les électeurs face à ce danger plutôt que de leur chercher des excuses au vote FN ! Bref, n’hésitons pas à faire de ce parti notre ennemi et à le combattre avec force et conviction !