Il n’est dans mon habitude d’agiter le chiffon rouge et de céder aux sirènes protectionnistes de certains mouvements de protestation pour lesquels « commerce », « libre-échange » ou « États-Unis » sont des gros mots. Pour autant, je regarde avec beaucoup de réserves le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) actuellement négocié par Bruxelles et Washington.
Cet accord prévoit la création d’une vaste zone de libre-échange transatlantique couvrant près de 50% du PIB mondial. Je ne peux que souscrire à la volonté d’accroitre les échanges commerciaux et les investissements entre les pays de l’UE et les États-Unis si cela permet, nous dit-on, de libérer la croissance et de créer des emplois sur les deux rives de l’Atlantique. Ne nous emballons pas non plus : l’étude d’impact adoptée par la Commission et les États-membres chiffre les gains potentiels à 0,5% de croissance et 500.000 emplois créés à horizon 2027, autant dire une goutte d’eau dans la mer quand on sait que le chômage touche plus de 25 millions d’européens… Le Parlement européen est encore moins optimiste et pointe du doigt les risques pour les secteurs sensibles à la concurrence comme l’agriculture ou les transports. Quoiqu’il en soit, l’expérience m’a convaincu qu’il ne faut pas prêter une attention trop grande aux prévisions macro-économiques qui se révèlent bien souvent loin du compte.
Il me parait donc plus judicieux d’examiner le contenu même de l’accord. Plusieurs points me semblent aller a priori dans le bon sens. Je suis ainsi favorable à la suppression totale des tarifs douaniers. Ces derniers sont déjà globalement très faibles et pénalisent davantage les européens (pensons aux exportations surtaxées de fromages français) que les américains. L’ouverture des marchés publics (à l’exception des domaines sensibles comme la défense) est également souhaitable car favorable au développement de nos entreprises sur le sol américain. Là encore, nous avons peu à craindre puisque 90% des marchés publics européens sont déjà ouverts aux entreprises étrangères contre seulement 30% des marchés publics américains.
En revanche, la question des réglementations, sanitaires notamment, est épineuse et je vois émerger un certain nombre de sujets sur lesquels les positions de l’UE et des États-Unis sont inconciliables sauf à renoncer aux règles européennes de protection du consommateur auxquelles, je le crois, les européens en général et les français en particulier sont très attachés. L’harmonisation par le bas de ces réglementations est inconcevable. Nous ne voulons ni bœuf aux hormones ni poulet à la javel dans nos assiettes. De plus, notre système d’appellation d’origine qui a fait ses preuves (qualité, traçabilité, renommée) ne doit pas être remis en cause comme le voudraient les américains qui préfèrent les marques aux appellations d’origine.
Plusieurs autres garde-fous doivent être posés. Je pense en premier lieu à la protection des données personnelles des citoyens européens qui ne doivent pas être privatisées et transmises sans contrôle hors de l’UE. Le Parlement européen vient d’ailleurs de prendre position en ce sens. En second lieu, l’exception culturelle doit être défendue. L’exclusion du champ des négociations obtenue pour ce domaine est insuffisante car elle ne concerne que le secteur audiovisuel alors que l’exception culturelle ne s’y limite pas. Enfin, ce qui m’inquiète le plus est le projet d’arbitrage privé entre les États et les entreprises étrangères qui investissent dans un pays. Ces entreprises pourraient attaquer l’État si ce dernier prend une décision qui affecte leurs intérêts (hausse du smic, changement de réglementation…).
En définitive, les points d’achoppement de ces négociations semblent être plus nombreux que ceux qui font consensus. Il est doublement difficile de se faire une véritable opinion sur le futur TTIP, d’une part parce qu’on ne peut préjuger de l’aboutissement des négociations (est-ce que toutes nos craintes seront entendues ?), d’autre part, et surtout, parce que le mandat même des négociations n’a pas été divulgué et que les américains nous interdisent de briser ce secret. Que l’on soit favorable ou non à un accord de libre-échange, il faut avouer que cette manière de mener des négociations si peu transparentes est assez anti-démocratique. Ce n’est pas la première fois que l’UE agit ainsi : on se souvient encore d’ACTA et de son échec dont visiblement toutes les conséquences n’ont pas été tirées. Cela est regrettable, surtout à un mois des élections européennes.