Après le LuxLeaks, révélé en novembre 2014, ou encore le SwissLeaks, qui a fait trembler le groupe HSBC l’année dernière, c’est l’affaire des Panama Papers qui secoue la planète toute entière. 108 journaux ont révélé simultanément les informations contenues dans les 11,5 millions de fichiers issus du cabinet Mossack Fonseca, un des spécialistes de la domiciliation offshore basé à Panama.
Ce nouveau scandale marque une nouvelle fois la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale, et de faire de la transparence l’une des priorités politiques de l’Union européenne. D’une ampleur monumentale, il souligne non seulement le rôle de nombreuses personnalités publiques, qui font usage de mécanismes financiers complexes pour échapper à l’imposition dans leur pays, mais également de certaines grandes entreprises et banques à l’activité particulièrement dynamique et opaque au sein des paradis fiscaux.
Parmi les personnalités et entreprises françaises mises en cause se trouvent notamment des proches de Marine Le Pen. Frédéric Chatillon et Nicolas Crochet, déjà mis en examen suite à la campagne législative du FN en 2012 pour escroquerie et financement illégal présumé, auraient organisé un système de dissimulation d’avoirs financiers en passant par les Caraïbes et Hong Kong, selon les informations parues dans le journal du Monde. Le majordome de Jean-Marie Le Pen, Gérald Gérin, est également mis en cause. Il aurait servi de prête-nom à ce dernier pour lui permettre de dissimuler une partie de sa fortune au fisc français.
Plus que ces personnalités publiques, c’est également l’une des plus grandes banques françaises, la Société Générale, qui devra rendre des comptes à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). En effet, elle a demandé à Mossack Fonseca la création de quelques 979 sociétés offshores pour ses clients, avec usage de prête-noms et montages opaques à tous les échelons de responsabilité. À ce jour, 68 sociétés-écrans seraient toujours actives, alors même que le groupe avait promis de régulariser son activité dans les paradis fiscaux dès 2012.
Ces nombreuses révélations confortent les conclusions du rapport concernant l’activité des banques françaises dans les paradis fiscaux, rendu en mars 2016 par le CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et le Secours Catholique-Caritas, en partenariat avec la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires. Ce dernier analyse les données issues du premier reporting pays par pays que les cinq plus importantes banques françaises ont dû réaliser, suite à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi bancaire de 2013 et de nouvelles exigences européennes.
Les informations issues de ce reporting ont permis de révéler plusieurs tendances. Ainsi, les banques françaises réalisent un tiers de leurs bénéfices, déclarent un quart de leurs activités internationales, paient un cinquième de leurs impôts et emploient un sixième de leurs employés dans les paradis fiscaux. Une déconnexion importante des bénéfices déclarés et des activités réelles au sein de ces territoires apparait nettement, ce qui pourrait indiquer un transfert artificiel des bénéfices des banques vers ces derniers. Les dispositions réglementaires et fiscales plus clémentes qui y sont vigueur encouragent également les banques à y placer leurs activités les plus spéculatives, ce qui induit de facto une prise de risque financière importante, qui avait déjà conduit, en 2008, à une déstabilisation durable de l’économie mondiale.
Il est alors nécessaire de souligner le rôle ambigu de certains États membres de l’UE. Ainsi, le Luxembourg accueille à lui seul près de 11% des bénéfices réalisés par les banques françaises à l’international. Plus que ce territoire, ce sont la City de Londres, l’Irlande, les Pays-Bas, la Belgique, ou encore l’île de Jersey qui sont au cœur des stratégies offshores des banques.
La nécessité d’une plus grande transparence pour lutter contre ces systèmes, qui encouragent tous les abus, est donc cruciale. Celle-ci doit notamment passer par un élargissement du système de reporting pays par pays aux multinationales de tous les secteurs, ainsi que par son uniformisation et une plus grande publicisation. La France s’est déjà engagée sur cette voie à travers la loi de finances pour 2016, qui prévoit l’introduction, à partir de 2017, du reporting pays par pays pour les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffres d’affaires.
Il est également nécessaire d’établir une liste commune aux pays de l’union et si possible de l’OCDE des paradis fiscaux et pays non coopératifs (proposition de Wolfgang Schauble).
J’ajouterai pour ma part la suppression pur et simple du statut de société offshore qui, dans la quasi-totalité des cas, ne sert que des objectifs d’évasion ou de dissimulation. Il sera possible de trouver une forme juridique adéquate pour les quelques cas très rares où le statut se justifie.
Enfin, ce n’est que grâce à une meilleure coordination internationale et un meilleur transfert des informations que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales pourra être réellement efficace. L’entrée en vigueur, dès 2017, de l’échange automatique de renseignements entre administrations fiscales constitue un premier pas sur cette voie. Le scandale des Panama Papers nous oblige cependant à reconsidérer l’ampleur du phénomène, et nous encourage à aller encore plus loin dans notre action.