Vendredi dernier des dizaines de milliers de palestiniens ont manifesté à proximité de la frontière séparant la bande de Gaza d’Israël. Cette action s’inscrivait dans le cadre de la « marche du grand retour », initiative visant à réclamer les terres perdues en 1948 par les palestiniens expulsés lors de la création d’Israël.
Bien que cette démarche privilégie un mode opératoire pacifique, les autorités israéliennes s’y sont préparées comme si leur pays était sur le point de subir une attaque majeure. L’armée a été placée en alerte maximale et plus de cent tireurs d’élite ont été déployés le long de la frontière. Les responsables israéliens avaient prédit un « cauchemar » et leur prophétie s’est auto-réalisée. Le bilan de la manifestation est en effet particulièrement sanglant: l’armée a tué 18 palestiniens et en a blessé 1400 – dont plusieurs centaines par balles réelles. De son côté, Tsahal n’a pas dénombré le moindre blessé.
Qu’a pu justifier une telle riposte de la part des soldats israéliens ? La question demeure entière, car le danger les menaçant, lui, était pratiquement inexistant. Ainsi, de nombreux reporters sur place ont fait part d’une « écrasante majorité » de manifestants pacifiques. Une vidéo montre même un groupe de palestiniens en prière visé par des tirs israéliens. Il y a certes eu des violences côté palestinien : Plusieurs militants, dont des enfants, ont jetés des pierres à l’aide de frondes ; d’autres ont fait brûlé des pneus et ont lancés des cocktails Molotov. Mais en aucun cas ces actes présentaient un véritable risque physique pour les soldats israéliens, à l’abri derrière une colline. L’armée a aussi mis l’accent sur la présence de deux terroristes armés. Mais cela ne justifie que 2 morts sur 18.
Tout porte à croire que Tsahal ait surréagi face à ces manifestations, et plusieurs commentateurs ont parlé d’un cas d’« usage disproportionné de la force ». Mais en plus d’être disproportionnée, la réaction des forces armées israéliennes pourrait s’avérer contre-productive. Remettant en cause la relative sécurité dont doivent bénéficier les participants d’une manifestation pacifique, elle décrédibilise l’utilité de ce mode de contestation et favorise ainsi la voie armée. Historiquement au plus bas dans l’opinion publique palestinienne, le Hamas pourrait bel et bien tirer avantage de ce sanglant épisode pour légitimer l’action militaire comme seul recours possible face à la domination israélienne. S’il parvient à remobiliser parmi les habitants de la bande de Gaza, et que la riposte israélienne se durcit, nous pourrions alors revivre une situation d’affrontement sans précédent depuis la guerre de 2014.
Afin d’éviter un tel scénario, la communauté internationale se doit d’agir en faveur d’un apaisement des tensions. Depuis leur décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, les États-Unis de Donald Trump ne semblent plus en mesure d’assumer le rôle d’« honest broker » qui a été le leur jusqu’à maintenant. Ce vide diplomatique doit être comblé, et la France et l’Union Européenne ont ainsi une opportunité historique de s’affirmer comme les arbitres incontournables de ce conflit.
La demande d’« une enquête indépendante et transparente » formulée par la représentante de la diplomatie européenne, Frederica Mogherini, est en ce sens une démarche positive. Mais il nous faut aller beaucoup plus loin, d’autant plus que les responsables israéliens, refusant pour l’instant la moindre remise en question, ont rejeté cette proposition avec force. Les capitales européennes doivent se mobiliser, et condamner avec la plus grande fermeté ce recours à la force démesuré. Il n’est plus acceptable aujourd’hui qu’une démocratie réprime avec tant de violence des manifestations d’ordre pacifique.