Remarques sur le rapport sur la France et la mondialisation d’Hubert Védrine
Même avec un peu de retard (le rapport a été publié en septembre), il est utile de se pencher sur ce rapport qui marque, à mon avis, un progrès important dans l’approche de la mondialisation par la Gauche française, quoique Hubert Védrine s’exprime là à titre personnel dans ce rapport commandité par le Président de la République.
Je pense qu’il est utile de le verser aux dossiers de la rénovation et au forum que la FFE anime sur la question parce qu’il est au cœur de l’approche que nous devons avoir vis-à-vis de l’économie de marché mais aussi qu’il dessine les contours d’une politique efficace en la matière.
La grande méfiance des Français envers la mondialisation est certes partagée par la plupart des opinions publiques en Europe et aux États-Unis, mais elle est plus marquée qu’ailleurs.
Cela tient à plusieurs facteurs : rôle traditionnel de l’État, attachement au système de protection sociale, importance de la culture et de l’identité nationale, méfiance envers ce qui apparaît comme une américanisation du monde et envers l’économie de marché en général et le profit en particulier renforcées par la tradition catholique et la culture marxiste, toutes deux fortes dans notre pays. Ces éléments distinguent la France des pays à tradition libre-échangiste et libérale où le marché joue le rôle central et l’Etat un rôle bien moindre et où donc la mondialisation est perçue comme un fonctionnement, certes élargi, mais normal du marché.
Ce qui est encore plus caractéristique de la sensibilité française, c’est le manque de confiance en nous-mêmes, en nos forces et en nos atouts. La situation est vécue comme un mal nécessaire, inévitable, inéluctable. L’économie française est considérée moins compétitive que les autres en Europe et surtout les puissances asiatiques émergentes (nouvelle forme du péril jaune). Elle est destinée à subir les délocalisations et les pertes d’emploi qui vont avec, toujours vécues localement – et à juste titre – comme un drame même si au niveau national, la part des délocalisations dans les pertes d’emploi fait débat et ne méritent pas la diabolisation facile qu’en font le PC et les officines dites d’extrême-gauche. Il n’y a qu’à se référer aux emplois créés par les exportations françaises et par les investissements étrangers en France.
Je n’ai pas entendu grand monde dénoncer le fait que l’essentiel des profits de Renault proviennent de sa filiale Nissan.
La première action est donc d’affirmer nos atouts dans la mondialisation et des valoriser : productivité élevée, attractivité pour les investissements, force des grandes entreprises françaises (40 parmi les 500 premières mondiales), capacités technologiques dans des secteurs de pointe, force de notre agriculture et de notre industrie agro alimentaire, puissance de notre tourisme, importance de l’industrie du luxe et des marques, …
Il faut ensuite en tirer profit en développant les secteurs industriels et des services dans lesquels nous avons un avantage comparatif (transports, nucléaire, logiciels, agriculture, luxe, …), en améliorant notre système éducatif et notre enseignement supérieur, en valorisant notre image, en nous engageant particulièrement sur une croissance écologique et environnementale.
En même temps, Hubert Védrine propose que nous engagions aussi dans une politique de protection là où cela est nécessaire, contre les pratiques commerciales et capitalistiques déloyales (pratiques des fonds souverains, propriété industrielle, utilisation beaucoup plus récurrente de l’arbitrage de l’OMC, conditions des OPA, …).
Nous devons également protéger certains secteurs stratégiques pour nous comme le font les États-Unis, la Russie, la Chine et de nombreux autres pays.
Il propose enfin une régulation de la mondialisation, idée qui répugne aux libéraux mais qui sert de bannière à la gauche, à l’extrême gauche, ainsi qu’aux gouvernements européens, sud américains, africains. Un premier débat est de déterminer la bonne « enceinte » ou organisation ou forum international : un Conseil de sécurité élargi responsable des questions économiques, sociales et environnementales, un G 20 regroupant toutes les organisations des Nations Unies, revoir le fonctionnement de l’OMC, du FMI et de la banque mondiale, mieux les coordonner.
Le second débat est celui du contenu des politiques à mener. Ceci couvre le débat avec les États-Unis, les pays émergents en cherchant les points de convergence et en soulignant les différences comme les normes sociales, en ayant conscience qu’ils ne peuvent du jour au lendemain respecter les mêmes règles que nous, mais que le temps aussi est compté.
Dernier volet des orientations stratégiques que propose Hubert Védrine : une politique communautaire beaucoup plus exigeante. Il aurait pu d’ailleurs commencer par là tant il propose d’y englober tous les aspects de la politique économique.
Libérée de l’hypothèque constitutionnelle et institutionnelle, l’ambition européenne devient la réaction à et la maîtrise de la mondialisation. Voilà déjà de quoi dégager une nouvelle stratégie qui devrait comprendre :
- accepter un certain degré de protection ;
- une nouvelle politique agricole et agro-alimentaire valorisant nos forces ;
- une politique commune de l’énergie, de la recherche net du éveloppement technologique ;
- un plan d’ensemble pour notre industrie (rapports Jouyet-Verhaugen) ;
- un programme écologique transversal ;
- la compensation des secteurs qui bénéficient de la parité forte de l’euro avec les autres.
C’est rassurant car les propositions ne manquent pas d’ambition et de contenu alors même que chacun connaît la tiédeur d’Hubert Védrine envers la construction européenne, plus précisément envers ce qu’il appelle l’option fédéraliste européenne, le courant « européiste » et l’on sent bien que dans son esprit ces termes ne sont guère louangeurs mais plutôt synonymes de « doux rêves, naïveté, incapacité à agir ».
Ces politiques communes ou partagées ne sont pas foncièrement nouvelles (voir les propositions de Jacques Delors il y a 15 ans). Reste à trouver la volonté de les mettre sur pied à 27 et surtout de les financer avec des finances et budgets communautaires
Qui sont volontairement et drastiquement limités. A quand un impôt européen et la possibilité d’emprunter ?
Pour moi qui reste convaincu de l’ambition fédéraliste, même si je sens s’éloigner pour le moment sa mise en œuvre, c’est une approche que je ne peux que soutenir car elle redonne un contenu positif à l’Europe. Mais en même temps, un marché commun même accompagné de politiques coordonnées, ne peut être la seule finalité de l’Europe. Ce serait la victoire de la conception anglo-saxonne, pour le coup libérale.
La politique européenne du gouvernement Jospin dont Hubert Védrine était responsable n’a pas à cet égard laissé de souvenirs impérissables.
Certes le pragmatisme et les rapports de force sont le pain quotidien de la politique internationale – c’est le message d’Hubert Védrine – mais je demeure persuadé que l’on ne fonde de grande politique que sur de grands desseins : la création, même à quelques uns, d’une Europe puissance, c’est-à-dire dotée d’une politique étrangère commune, voire sur certains dossiers partagée et appuyée par une force de défense intégrée, me parait essentielle pour redonner un idéal aux européens et à nos jeunes générations qui ne soit pas seulement celui de l’individualisme et de la consommation.
Mais il s’agit aussi d’œuvrer aussi au rapprochement des citoyens en travaillant sur les aspects sociétaux comme la justice, la sûreté, l’immigration, … pour que l’Europe soit aussi celle de la vie quotidienne.
Au total, Hubert Védrine nous ouvre les yeux sur nous-mêmes et nous montre avec pédagogie nos forces et nos faiblesses, sans rêves, dans un pragmatisme de bon aloi. Il nous montre que nous ne devons pas craindre la mondialisation, que nous pouvons en retirer beaucoup et que nous ne devons pas hésiter à l’encadrer en mettant en place des politiques de protection et une action européenne forte.