On n’avait pas vu ça depuis Tien An Men. Les tensions entre la Chine et l’Union européenne sont à leur paroxysme cette semaine, après plusieurs actions erratiques de la part de celle qu’on appelait autrefois ‘L’Empire du Milieu’, à la fois envers les européens, mais aussi, plus particulièrement, envers la France, où la liberté des élus et des universitaires a été remise en question.
Cela fait maintenant plusieurs mois que la superpuissance asiatique est accusée de génocide envers la minorité Ouïgour du Xinjiang. De nombreux témoignages de rescapés ainsi que de rares enquêtes viennent corroborer cette accusation : viols, stérilisation, travail forcé… Alors que de nombreux citoyens et associations demandaient des mesures concrètes pour répondre à la sévère répression que Pékin mène à l’encontre cette minorité musulmane, les 27 ont enfin annoncé, en coordination avec le Canada, en début de semaine, des sanctions (gel d’avoirs et interdictions de visas) envers quatre haut responsables chinois concernés par la politique intérieure chinoise envers les Ouïgours, ainsi qu’un organisme, le Bureau de la sécurité publique du corps de production et de construction du Xinjiang. La Chine a alors immédiatement répliqué en doublant, voire triplant la mise, en sanctionnant dix responsables Européens (dont l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, un des premiers à communiquer sur la question ouïgoure) et pas moins de quatre organismes (dont le très important comité de politique et de sécurité de l’UE). Surprise en Europe, où il y a en général une réponse proportionnée quand réponse il y a : la Russie, elle, se « contente » de réciproquer exactement les sanctions. Quand trois diplomates russes sont expulsés de Bruxelles, trois Européens le sont aussi de Moscou. Le défi chinois met considérablement à l’épreuve la coordination européenne en matière de politique extérieure. La ratification de l’accord de commerce et d’investissement sino-européen est en suspens, alors que l’Allemagne faisait de sa signature l’un des objectifs principaux de sa Présidence de l’UE au deuxième semestre de 2020. Il y aura certainement matière à discussion au sommet européen de demain…
Le comportement déconcertant de l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, a également fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. L’Ambassade, très active sur les réseaux, et notamment sur son compte Twitter, a tout d’abord critiqué la décision du groupe d’amitié France-Taïwan du Sénat, dont je fais partie, de potentiellement se rendre sur l’île avant l’été. Grave atteinte à la démocratie française : nous, élus de la République, sommes absolument libres de nos choix. C’est ce qu’Antoine Bondaz, chercheur français spécialiste de la Chine et de la péninsule coréenne, n’a pas manqué de rappeler. Volée de bois vert de la part de notre chère Ambassade de Chine en France, qui l’a traité sur Twitter de … « petite frappe », avant de publier un texte où une jolie métaphore le compare à une « hyène folle ». Dans le sillage de nombreux pays de l’UE suite aux sanctions, mais surtout pour rappeler à son excellence les fondements de notre République, le Quai d’Orsay a convoqué ce dernier lundi. Lu Shaye a d’abord prétexté un rendez-vous avec Pékin pour repousser le rendez-vous, alors même que l’ambassadeur de l’UE en Chine avait été convoqué en pleine nuit. Il s’est finalement rendu au Quai hier matin à 10 heures, où il s’est entretenu avec le directeur Asie.
Aux dernières nouvelles, tandis que la Chine prônait un « débat démocratique sur la liberté d’expression », Antoine Bondaz a été censuré sur TV5 Monde en Chine. Celui-ci n’a d’ailleurs pas trop attendu pour s’en moquer sur son compte Twitter, où il a évoqué « trop d’honneur » pour quelqu’un d’insignifiant dont « les affirmations ne valent même pas la peine d’être réfutées, car elles n’ont aucun poids » - en reprenant les mots publiés par l’Ambassade quelques jours plus tôt.
Retrouvez ici la déclaration du Quai d’Orsay concernant les propos de l’Ambassadeur Lu Shaye.