Ce samedi 12 juin ont eu lieu les premières élections législatives depuis la chute du président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, sur fond de corruption et d’intensification de la répression du mouvement populaire « Hirak ». Le Front de Libération Nationale (FLN), parti historique ayant accompagné le processus d’indépendance, a obtenu le plus de sièges.
Les principales forces d’opposition - dont le mouvement antisystème du Hirak - ayant recommandé le boycott du scrutin, le taux de participation de 23,03 % est le plus faible jamais enregistré dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Pour la comparaison, la présidentielle de décembre 2019 avait attiré 39,88 % des électeurs tandis que les législatives de mai 2017 en avait attiré 35,37 %. Les autorités au pouvoir, qui souhaitaient faire de ces élections le synonyme d’une Algérie nouvelle, n’ont donc pas réussi leur coup. Bien que le président actuel, Abdelmajid Tebboune, ait indiqué avant le vote qu’il n’avait cure du taux de participation, c’est un record qu’il ne peut ignorer. Le scrutin reconduit des partis discrédités depuis 20 ans, alors que le Hirak devient une vraie force de contre-pouvoir. En Kabylie, région historiquement opposée au pouvoir d’Alger, le taux de participation était inférieur à 1 %, et les Algériens de l’étranger n’ont participé qu’à hauteur de 4,6 %, reflétant davantage le déséquilibre politique que subit de plein fouet le pays depuis plusieurs mois.
Tebboune est fébrile, et il a raison de l’être : la dynamique protestataire ne s’est pas ténue après le départ de Bouteflika, et le Hirak exige le « départ du système ». En guise de représailles, 225 personnes affiliées au mouvement sont détenues - les autorités affirment que ses principales revendications du mouvement ont été satisfaites.
De surcroît, les médias sont muselés : lundi 14 juin, Alger a même décidé de retirer son accréditation à la chaîne France 24, accusée « d’hostilité manifeste et répétée »” et d’une prétendue agressivité à l’égard de l’Algérie. Dans le pays, tous les médias étrangers sont soumis à une procédure d’accréditation bureaucratique aux critères très obscurs - par exemple, le directeur de l’AFP pour l’Algérie, Philippe Agret nommé en octobre 2019, n’a jamais obtenu d’accréditation.
Une tendance intéressante dans ces élections est toutefois la percée des « indépendants » qui réalisent le deuxième meilleur score du scrutin, avec 78 sièges sur 407. Quelques questions méritent d’être posées sur leur réelle indépendance, beaucoup de leurs campagnes ayant été financées par le pouvoir en place. Le mouvement islamiste de la société pour la paix est arrivé troisième avec 64 sièges sur 407, et les alliés traditionnels du FLN, le Rassemblement National Démocratique est arrivé 4ème avec 57 sièges. Le FLN en a gagné 105. Le système n’a en rien changé ; les manifestations ne risquent donc pas de s’arrêter du jour au lendemain. J’espère que le pouvoir en place arrêtera le harcèlement juridique des opposants et préservera la liberté de la presse. Ces premiers petits pas éteindront peut-être progressivement la colère des Algériens, avec laquelle je compatis en l’état actuel des choses.