Dans un précédent billet, j’ai défendu notre système d’allocations familiales et m’interrogeais sur le bien-fondé d’une remise en cause de leur universalité. Entre temps, le rapport Fragonard portant sur les « aides aux familles » a été remis au Premier ministre.
Certaines propositions semblent tout à fait légitimes comme la hausse du financement des services aux familles, en particulier le développement de l’offre d’accueil des jeunes enfants, et le soutien accru aux familles nombreuses et aux familles monoparentales via une revalorisation du complément familial et de l’allocation de soutien familial. D’autres, en revanche, me laissent plus perplexes. Ainsi, la réforme des allocations familiales dans le but affiché de combler le déficit de la branche famille de la Sécurité sociale à l’horizon 2016 ne me parait pas souhaitable.
En premier lieu, le principe même de la réduction du déficit de la branche famille ne va pas de soi. Ce déficit est en effet relativement contenu – de l’ordre de 2 Milliards d’euros. Quand on connait la réussite de la politique familiale française – taux de fécondité le plus élevé d’Europe avec l’Irlande – et les effets indirects que cela implique pour le développement de notre économie, il faut regarder plus loin que les simples impératifs budgétaires. Ensuite, le déficit de la branche famille est purement artificiel : il est en effet gonflé par la prise en charge des dépenses du Fonds de solidarité vieillesse relatives aux majorations de retraites pour les assurés ayant trois enfants ou plus. En réalité, la branche famille est structurellement bénéficiaire car les allocations familiales sont indexées sur l’indice des prix et non celui des salaires qui est plus élevé : les prélèvements augmentent donc davantage que les dépenses. Ainsi, sans qu’aucune réforme ne soit engagée, la branche famille retournerait naturellement à l’équilibre en 2019. Vouloir hâter ce retour ne me semble pas forcément nécessaire.
En second lieu, la méthode choisie n’est pas exempte de critiques. La réforme des allocations familiales ne fait pas consensus. Le système français d’allocations familiales se fonde sur l’universalité. Le rapport Fragonard le reconnait et écarte donc la piste parfois évoquée d’une suppression des allocations familiales au-delà d’un certain plafond de ressources, lui préférant une modulation des allocations familiales selon le revenu. Une telle modulation a l’avantage de préserver l’universalité des prestations tout en faisant davantage contribuer les familles aux hauts revenus. Cependant, ce système a de nombreux défauts. Il souffre premièrement d’un manque de lisibilité pour les familles. De plus, il ne peut échapper aux travers des effets de seuil. Si un lissage est proposé dans le rapport, il en résultera toujours une complexification du système d’attribution qui entrainera des couts de gestion supplémentaires pour les CAF qui sont déjà saturées. Au final, le bénéfice de la réforme sera donc peu élevé au regard des complications certaines qu’elle entrainera.
Une réforme de la politique familiale française mérite cependant d’être engagée mais sur d’autres bases. La réflexion devra davantage porter sur notre système d’imposition qui ne bénéficie pas aux familles de manière équitable. Ainsi, le quotient conjugal favorise les foyers aisés, notamment ceux dont l’un des deux membres – pour ne pas nommer la femme – ne travaille pas (ce qui limite en pratique le taux d’activité des femmes et augmente leur dépendance financière vis-à-vis du conjoint). Le quotient conjugal bénéficie en outre à hauteur de 65% à des couples qui n’ont pas d’enfants. De même, le quotient familial est connu pour ses effets anti-redistributifs puisque plus les revenus du couple sont élevés, plus la réduction d’impôts qui en résulte est importante. Sans compter que le quotient familial, tout comme le quotient conjugal, ne bénéficie qu’aux personnes redevables de l’impôt. Au total, ils coutent chaque année environ 30 Mds d’euros à l’État. Les marges de manœuvre sont donc immenses. Un nouvel abaissement du quotient familial ou sa forfaitisation, ainsi qu’une limitation du quotient conjugal, permettrait de rendre notre système d’imposition plus juste entre les familles tout en faisant rentrer de nouvelles ressources. Le surplus dégagé pourrait être utilisé pour revaloriser les prestations destinées aux familles qui en ont le plus besoin, à savoir les familles monoparentales et les familles nombreuses, mais aussi, pourquoi pas, pour instaurer une allocation dès le premier enfant.