La polémique enfle autour de l’interdiction des représentations du spectacle « Le Mur » de M. M’Bala M’Bala, chacun y allant de son petit commentaire sur l’action du Ministre de l’Intérieur qualifiée tantôt de gesticulation inutile, de crime contre la liberté d’expression ou au contraire de mesure salutaire de protection de la dignité et de la mémoire de la communauté juive. Je soutiens pour ma part l’action déterminée du Ministre de l’Intérieur car j’estime que tout doit être fait pour empêcher la diffusion de propos racistes et antisémites.
Je comprends que cette solution gêne certains. Les mêmes questions reviennent constamment : est-il interdit d’interdire ? Faut-il tolérer l’intolérance ? S’agissant de la liberté d’expression, la loi est claire et encadre strictement cette liberté qui ne peut couvrir des propos incitant à la discrimination, à la haine, à la violence. Ainsi, certains discours tenus par M. M’Bala M’Bala ne relèvent pas de la liberté d’expression et tombent sous le coup de la loi pénale. Diffamation, injure antisémite, incitation à la haine des juifs : M. M’Bala M’Bala collectionne les condamnations en justice depuis l’an 2000 (sans parler de ses démêlés avec le fisc). Dans son nouveau « spectacle » (meeting serait un mot plus exact) dont plusieurs représentations ont déjà été données à Paris et qui sera bientôt présenté en tournée dans plusieurs villes de France, il récidive en tenant des propos similaires. La justice sera vraisemblablement saisie et condamnera comme elle l’a déjà fait les propos qui sont pénalement répréhensibles. Dans la circulaire qu’il a transmise le 6 janvier 2014 aux préfets, le Ministre de l’Intérieur insiste sur cette réponse pénale en demandant aux préfets de saisir le juge judiciaire si de tels propos ont été tenus lors d’un spectacle qui n’aurait pas été interdit.
Faut-il cependant aller plus loin et interdire à M. M’Bala M’Bala de se produire sur scène ? C’est la voie choisie par le Ministre de l’Intérieur qui demande aux préfets de considérer l’interdiction de ses spectacles sur la base du trouble à l’ordre public. Il rappelle que l’autorité administrative titulaire du pouvoir de police est, dans certaines circonstances et à titre exceptionnel, en droit de faire cesser ou de prévenir un trouble grave à l’ordre public. L’ordre public, ce n’est pas seulement la sécurité (encore qu’il faudrait apprécier les risques de manifestations et contre-manifestations aux abords du théâtre), c’est aussi, comme l’a reconnu le Conseil d’État dans l’affaire du lancer de nains, le respect de la dignité de la personne humaine. Peut-être me trompé-je mais dignité de la personne humaine et incitation à la haine raciale me semblent difficilement compatibles. Quoiqu’il en soit, à ceux qui estiment que le trouble à l’ordre public n’est pas qualifié, je rappelle que la décision du préfet ou maire d’interdire la représentation d’un spectacle peut être attaquée devant la justice administrative qui, elle seule, en tirera les conclusions qui s’imposent.
Ainsi, si la décision d’interdire les spectacles de M. M’Bala M’Bala peut paraitre juridiquement infondée à certains – mais seule la justice nous éclairera sur ce point – elle est politiquement juste. C’est un risque à prendre car l’autre risque, bien plus grand, bien plus impardonnable, serait de laisser une idéologie antisémite, raciste et xénophobe insoutenable se diffuser, essaimer, et tracer lentement mais surement son chemin macabre sans que l’État n’ose intervenir. C’est bien sûr à la société de réagir en premier lieu aux attaques qui menacent sa cohésion en prenant pour cible une catégorie d’individus en raison de leurs origines ou religion, mais c’est aussi à la République, garante du pacte social, de protéger tous ses citoyens contre la discrimination, la haine ou la violence dont ils font l’objet.
J’entends déjà râler ceux qui reprocheront au Ministre de l’Intérieur d’en faire trop, à tous les « bien-pensants » de faire de la publicité à l’adversaire qu’ils abhorrent, à moi de lui offrir une nouvelle tribune... Outre que ces mêmes personnes contribuent souvent elles-aussi à élargir cette tribune par leurs réactions, ont-elles conscience de donner des arguments aux partisans de celui qui certes les choque mais pas assez pour en parler ? À partir de quand doit-on d’ailleurs sortir de son silence pour dénoncer des propos infâmants ? À partir de quel degré d’intensité une attaque peut-elle déclencher une indignation publique légitime ? Je crois pour ma part qu’on ne rappellera jamais assez combien l’antisémitisme et le racisme ne sont pas une opinion mais un délit – dont la diffusion doit être empêchée, quitte à interdire un spectacle qui en fait son commerce. L’indignation et l’engagement me paraissent bien plus sains pour la démocratie qu’un mutisme froid, apathique, pleutre et complice.